La liberté de circulation des capitaux au sein de la Communauté européenne
(Extrait du traité du CEDIN –
à paraître)
Frédéric LEPLAT
Avocat à la Cour
Docteur en droit
1.
Toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre
les États membres sont interdites. En ces termes, le premier paragraphe de
l’article 56 du Traité instituant la Communauté européenne (ex-article 73
B, § 1) consacre la liberté de circulation des capitaux dans le marché
commun.
2.
Liée au
progrès de l’Union Economique et Monétaire, la libéralisation des mouvements de
capitaux s’acheva tardivement. Initialement, le Traité obligeait les États
membres, au cours d’une période
transitoire, à supprimer progressivement les entraves à la circulation des
capitaux, dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun. A
la différence de sa jurisprudence relative aux autres libertés de circulation,
la Cour de justice ne reconnut pas un effet direct à cette obligation à
l’expiration de la période transitoire (C.J.C.E., 11 nov. 1981, Cassati,
203/80, Rec. p. 2595). Les mouvements de capitaux risquaient de nuire
au bon fonctionnement du marché commun en déstabilisant la politique économique
et monétaire des États membres. Le
Conseil conserva son pouvoir d’appréciation. Sa dernière directive, en date du
24 juin 1988, interdit toutes les entraves aux mouvements de capitaux entre les
États membres. A la suite des
accords signés à Maastricht, le Traité donne notamment pour mission à la
Communauté la construction de l’Union Economique et Monétaire, consacre la
liberté de circulation des capitaux entre les Etats membres, et l’étend aux
pays tiers.
3.
Elle accède ainsi au rang de liberté fondamentale de la
Communauté (voir notamment P. Juillard, Lecture critique des Articles 73 B, 73 C et 73 D du Traité de
Communauté européenne, in Weber A. (éd.), Währung und Wirtschaft,
Festschrift für Prof. Dr. Hugo J. Hahn zum 70 Geburstag, Nomos,
Verlgsgeselschaft, Baden-Baden, 1998, p. 177 et
s. ; Ph.-E. Partsch, in Commentaire
article par article des traités UE et CE, H&B, Dalloz, Bruylant, 2000,
p. 486 et s.). Elle participe à la construction du marché commun. Cet
objectif partagé par toutes les libertés de circulation rapproche leurs
régimes. Néanmoins, la liberté de circulation des capitaux présente des traits
distinctifs. Elle concourt à la création d’un espace financier de dimension
internationale, et à la réalisation des objectifs de la politique économique et
monétaire de la Communauté. Surtout, depuis que l’Euro a supprimé les risques
de change, les mouvements de capitaux ouvrent une concurrence directe entre la
fiscalité des États membres. En principe, les libertés de circulation
rapprochent les législations nationales, non seulement, par l’incitation du
marché, mais également, par des mesures d’harmonisation. Cependant, la
fiscalité directe relève toujours de la compétence des États membres. Le veto
des États attachés à leur souveraineté fiscale ou au secret bancaire bloque
l’adoption de nouvelles directives qui neutraliseraient ce facteur exogène de
concurrence entre les placements proposés sur le territoire des différents
États membres. En tout état de cause, à l’instar des autres libertés, le
Traité interdit les entraves (Section 1) non justifiées (Section 2) à
la circulation des capitaux au sein de la Communauté.
Section 1 – L’interdiction des entraves
4.
L’obligation
à la charge des États membres de
supprimer les entraves à la libre circulation des capitaux a un effet direct vertical. Mais les particuliers ne peuvent
s’en prévaloir que si leur situation présente un élément d’extranéité. En
revanche, le Traité ne subordonne plus le bénéfice de cette liberté à une
condition de résidence. Les principales questions soulevées par
l’article 56, § 1 CE portent sur la définition des mouvements de capitaux (§ 1)
et des entraves (§ 2).
§ 1 – Les mouvements de
capitaux
5.
Le
Traité ne définit pas les mouvements de capitaux. Leur nomenclature
annexée à la directive tacitement
abrogée du 24 juin 1988 conserve une valeur indicative (C.J.C.E., 16 mars 1999,
Trummer et Mayer, C-222/97, non encore publié au Recueil, point 21). Bien que le Traité ne les
distingue pas expressément, les mouvements de capitaux peuvent revêtir deux
sens différents. Bien que le Traité les distingue formellement, les mouvements
de capitaux, dans l’acception large de ce terme, englobent les paiements. En
effet, le chapitre désormais intitulé « les capitaux et les
paiements » fusionne l’ancien régime des transferts monétaires (A), et
d’un de leurs objectifs possibles, la constitution d’un avoir (B).
A – Les transferts monétaires
6.
Le
Traité utilise exceptionnellement le terme de mouvements de capitaux dans un
sens large pour désigner les transferts monétaires. Le terme englobe alors les paiements qui constituent la contre-prestation
d’une transaction sous-jacente. Par exemple, l’article 58 CE prévoit des
« procédures de déclaration des
mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou
statistique ». Dans ce cas, la
qualification des mouvements de capitaux ne dépend pas de la contrepartie ou de
la finalité du transfert monétaire. Ces procédures de déclaration des mouvements de capitaux peuvent
indistinctement s’appliquer au versement d’un salaire, à des transferts de
fonds vers un établissement situé sur le territoire d’un autre État membre, au
paiement du prix de marchandises, de services ou de valeurs mobilières. Mais
une qualification exclusive sépare les capitaux des marchandises, et, bien sûr,
des personnes exerçant leur droit de déplacement et de séjour.
Ainsi, les pièces en alliage de métaux
précieux qui ont cours légal dans un État membre ne sont pas des marchandises (C.J.C.E., 23 nov. 1978, Thompson
e.a., 7/78, Rec. p. 2247 point 26). Néanmoins, le régime de l’opération dicté par la contrepartie du
transfert monétaire s’applique cumulativement. Ainsi, la suppression des
entraves aux transferts monétaires ne préjuge pas de l'application des
restrictions compatibles avec le Traité en matière de droit d'établissement
(Art. 58, § 2). En l’absence de précisions sur la nature de cette contrepartie,
l’opération serait présumée constituer un avoir (Comp. C.J.C.E., 14 déc. 1995, Sanz
de Lera e.a, C-163, C-165, et C-254/94, Rec.
p. I-4821, point 33).
B – La constitution d’un avoir
7.
Au
sens strict, le plus courant, la circulation des capitaux se définit par sa
finalité : la constitution d’un avoir (P. Juillard, La libre circulation des capitaux, D.P.C.I.
1988, t. 14, n° 4, spéc. p.627). S’il existe un transfert monétaire, la
qualification de l’opération dépend de sa contrepartie. De ce point de vue, une
distinction classique oppose les mouvements de capitaux aux paiements courants.
En apparence, elle n’a plus d’intérêt ; le même chapitre et le même
article interdisent désormais de les entraver. En réalité, le Traité maintient
cette distinction. Les mouvements de capitaux, au sens strict, sont des
opérations financières destinées à réaliser un placement ou un investissement,
alors que les paiements constituent la
contre-prestation dans le cadre d’une transaction sous-jacente (Rappr. C.J.C.E.,
22 juin 1999, ED Srl, C-412/97, non encore publié au Recueil, point 16), sauf lorsque cette contre-prestation rémunère
une transaction financière liée à une opération d’assurance vie, de banque
(Art. 51, § 2 CE), ou portant sur des valeurs mobilières (Rappr. art. 43 al. 2
CE). Les paiements sont donc nécessairement l’accessoire d’une autre
liberté de circulation.
8.
La
distinction entre les mouvements de capitaux et les paiements recoupe celle entre la libre
circulation des capitaux et les autres libertés de circulation dans le marché
commun. Néanmoins, la même mesure nationale, envisagée d’un point de vue
différent, peut entraver l’exercice de plusieurs libertés. La conformité de
cette mesure au Traité s’apprécie alors par rapport à la liberté de circulation
directement entravée (C.J.C.E., 28 janv. 1992, Bachmann, C-204/90, Rec., p. I-249, point 34). Lorsque la
mesure nationale entrave directement
l’exercice de plusieurs libertés, son incompatibilité avec le Traité ressort
suffisamment de l’atteinte à une seule liberté. Il est ainsi inutile de rechercher une atteinte au droit d’établissement
après avoir relevé une atteinte à la liberté de circulation des capitaux (C.J.C.E.,
1er juin 1999, Konle, C-302/97, non encore publié au Recueil,
point 55).
§ 2 – L’entrave
9.
A l’instar des autres libertés de circulation, la Cour
de justice adopte une interprétation extensive de l’article 58, § 1. Une mesure
n’ayant pas formellement pour objet de restreindre les mouvements de capitaux
peut néanmoins avoir cet effet. Constitue une entrave, toute mesure nationale
de nature à dissuader les mouvements de capitaux entre les États membres (C.J.C.E., 14 oct. 1999, Sandoz
GmbH, C-439/97, non encore publié au Recueil, point 31). Tel est par exemple le cas d’une réglementation
nationale interdisant l’inscription d’une hypothèque en garantie d’une créance
libellée en monnaie étrangère (C.J.C.E., 16 mars 1999, Trummer et
Mayer, C-222/97, non encore publié au Recueil, point 26). Cette
interprétation extensive suscitera inéluctablement les mêmes interrogations
qu’en matière de liberté de circulation des marchandises. Une distinction
s’impose entre l’effet dissuasif inhérent à toute réglementation qui ne relève
pas du Traité, et l’effet d’une réglementation dissuadant principalement la
liberté de circulation des capitaux entre les États membres que le Traité
interdit. La liberté de circulation des capitaux ne devrait pas interdire une
entrave purement hypothétique dans des circonstances aléatoires. Pour l’heure,
la Cour de justice examine de telles réglementations au regard des exceptions
jurisprudentielles.
Section 2 – La justification des entraves
10.Les entraves à la libre circulation des capitaux
peuvent se justifier, et échapper ainsi à l’interdiction édictée par l’article
58, § 1. La construction du marché commun n’est qu’un instrument au service des
objectifs plus vastes de la Communauté (Art. 2 CE). En l’absence
d’harmonisation, une mesure nationale ne méconnaît pas ces objectifs
lorsqu’elle entrave la libre circulation des capitaux dans le but de protéger
l’intérêt général.
11.Quelle que soit la nature de la mesure nationale,
l’entrave ne se justifie que si elle remplit plusieurs conditions. Elle doit
rester proportionnée à l’intérêt protégé. Tel est le cas, selon la Cour de
justice, si la mesure restrictive est nécessaire
à la protection de l’intérêt en cause, et s’il n’existe pas de mesures moins
restrictives permettant d’atteindre le même objectif (C.J.C.E., 14 mars
2000, Association Eglise de scientologie de Paris, C-54/99, non encore
publié au Recueil, point 17). L’entrave ne doit pas servir à protéger un
intérêt purement économique. Les autres conditions varient selon la nature de
la mesure.
12.Lorsque la mesure nationale entrave les transferts
monétaires, l’article 58, § 1, b CE admet pour seule justification
l’application de procédures de déclaration à des fins d’information
administrative ou statistique. A contrario, une autorisation, par définition préalable, et générale, même réputée
acquise de plein droit après un bref délai n’est pas compatible avec le Traité.
Mais ce texte ne préjuge pas de l’application des restrictions
compatibles avec l’objectif du transfert monétaire. Ainsi, une autorisation
exigée avant de réaliser un investissement direct sur le territoire d’un État membre peut se justifier par des
motifs d’ordre public ou de sécurité publique mentionnés à l’article 58, § 1,
si elle se limite à certains investissements et si les intéressés connaissent les circonstances spécifiques dans lesquelles
l’autorisation est requise.
13.Lorsque la mesure nationale est ouvertement
discriminatoire, l’article 58, § 1 CE dresse une liste des justifications
admises. Cet article autorise : les différences de traitement en matière fiscale
selon le lieu où le contribuable réside ou investit ses capitaux (Art. 58, § 1, a CE),
les mesures protégeant l’ordre public ou la sécurité publique (Art. 58,
§ 1, b CE), et, a fortiori,
les mesures destinées à lutter contre la fraude notamment en matière fiscale et
en matière de contrôle du respect des normes prudentielles par les
établissements de crédit (Art. 58, § 1, b CE). Une interprétation stricte s’impose car ces mesures dérogent à une liberté fondamentale. Les États membres ne peuvent pas déterminer
unilatéralement les motifs d’ordre public et de sécurité publique, sans un
contrôle des institutions de la Communauté. Ces motifs supposent une menace
réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (C.J.C.E.,
14 mars 2000, Association Eglise de scientologie de Paris, C-54/99, non
encore publié au Recueil, point 17). Dans
tous les cas, la mesure nationale ne doit constituer « ni un moyen de
discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation
des capitaux et des paiements » (Art. 58, § 3 CE). Cette condition
s’applique même aux mesures fiscales qui ne
permettent pas aux États membres de
s’opposer aux mouvements de capitaux conformes au droit communautaire (C.J.C.E.,
18 nov. 1999, X AB, Y AB, C-200/98, non encore publié au Recueil, point
28). Autrement dit, les États membre peuvent prendre des mesures préservant la
cohérence de leur système fiscal, mais ils ne peuvent adopter des mesures
protectionnistes.
14.