Affaire : Mlle S.

 

 

Consultation

 

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Résumé et conseil. Mlle S. ne peut plus exercer d’actions en responsabilité, mais elle peut demander la destruction des aménagements effectués par Mlle F.. Une transaction est envisageable. Mlle S. et Mlle P. renoncent à demander la destruction des aménagements. En contrepartie, Mlle F. indemnise Mlle S. et Mlle P..

 

SOMMAIRE

 

1 - Faits

2 – Action personnelle en responsabilité

2.1 – Sur le fond

2.1.1 - Fondement de la responsabilité et identification du responsable

2.1.2 – Qualification du droit accordé à Mlle F.

2.2  Sur la procédure

2.2.1 – Péremption

2.2.2 – Prescription

3 – Action réelle en destruction des aménagements

 

 


 

1 - Faits

 

Chronologie. Entre janvier et juillet 1983, Mlle F effectue des travaux dans le grenier situé au dessus de son appartement du 5e étage de l’immeuble situé au 2 rue D. à B.. Elle a transformé son studio en duplex.

Le 31 janvier 1984, le procès verbal de l’assemblée générale des copropriétaires autorise Mlle F. à « aménager le grenier » situé au dessus de son appartement. Seule la signature de Mlle F. figure sur le procès verbal en qualité de Présidente de la séance. Le procès verbal ne comporte pas signature des assesseurs.

Le 2 juin 1988, l’assemblée générale régularise le procès verbal du 31 janvier 1984, bien que la question ne figure pas à l’ordre du jour.

En 1987, à la suite des travaux effectués par Mlle F., Mlle S. et Mlle P. constatent en 1987 des désordres dans leurs appartements.

Le 15 janvier 1988, le syndic est assignée par Mlle S. et Mlle P.. L’acte elle est rectifiée. Le syndic est assigné en qualité de représentant du syndicat des copropriétaire par acte du 20 avril 1988. Mlle S. et Mlle P. demandent la destruction des constructions effectuées par Mlle F. et l’indemnisation du préjudice subi. Le syndic appel en garantie Mlle F. qui est défaillante.

Le 11 juin 1988, le syndic s’engage au nom de la copropriété à faire exécuter les travaux chez les demanderesses. En contrepartie P. et S. s’engagent à arrêter la procédure contre la copropriété.

Le 9 septembre 1988, des conclusions sont déposées.

Le 15 mars 1988, le TGI de Nanterre ordonne la nomination d’un expert.

Selon l’expertise, le grenier semble appartenir aux parties communes et les désordres chez Mlle S. et Mlle P. sont imputables à Mlle F.. Les travaux « ont entraîné des désordres au niveau des fenêtres et des fissures dans le plafond des pièces des appartements S. et P. ».

Il n’existe pas entre les parties d’actes ou de lettres postérieures au dépôt du rapport d’expertise.

 

Objet de la demande. Selon le PV d’AG ordinaire du 20 avril 1999, Mlle S. exige des dommages et intérêts, la restitution du grenier annexé par Mlle F., une indemnisation au titre de l’article 700 du NCPC et le paiement des frais d’expertise. Mlle S. évalue son préjudice à 30.000 F. Elle en demande réparation au syndicat des copropriétaires et au syndic. Selon S. les travaux effectués dépasse l’autorisation accordée. Selon le syndic, Mlle F. ne dispose que d’un droit exclusif de jouissance. Selon l’expert, un transfert de propriété déguisé s’est opéré.

L’actions en responsabilité ne peut plus aboutir (2°), mais Mlle S. peut exiger la destruction des constructions édifiées par Mlle F. (3°). Une transaction est donc envisageable.


 

2 – Action personnelle en responsabilité

2.1 – Sur le fond

Le fondement de la responsabilité et l’identification du responsable dépendent de la nature des droits de Mlle F. sur le grenier.

 

2.1.1 - Fondement de la responsabilité et identification du responsable

 

Qualification du droit de Mlle F. et identification du responsable. La personne responsable des dommages causés à Mlle S. dépend de la nature des droits conférés à Mlle F. sur le grenier.

Si Mlle F. n’a obtenu qu’un droit de jouissance exclusif sur le grenier, celui-ci demeure une partie commune. Le syndicat des copropriétaires est alors responsable des dommages occasionnés à Mlle S.. En effet, l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 dispose que le syndicat des copropriétaires « est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires ».

Si Mlle F. a bénéficier d’un transfert de propriété du grenier, elle est seule responsable du préjudice occasionné à Mlle S. sur le fondement des articles 1382 et 1384 al 1er du Code civil.

Ainsi, la nature des droits de Mlle F. sur le grenier doit préalablement être examinée.

2.1.2 – Qualification du droit accordé à Mlle F.

 

Le grenier, partie commune. La validité et l’étendue des droits conférés par l’AG à Mlle F. ne se pose que si le grenier est une partie commune de l’immeuble. Elle ne se pose pas si ce grenier est une partie privative du lot de Mlle F..

La distinction entre les parties privatives et les parties commune d’un immeuble en copropriété est précisée par les articles 2 et suivants de la loi du 10 juillet 1965. En l’espèce, le règlement de copropriété ne précise pas la qualification du grenier. Dans le silence ou la contradiction des titres, l’article 3 de la loi établit une liste des parties présumées communes. Selon ce texte, « le gros œuvre des bâtiments » figure parmi les parties communes. La jurisprudence a parfois retenu cette qualification à propos des combles. L’expert semble également abonder en ce sens.

En conséquence, le grenier semblais appartenir aux parties communes de l’immeuble avant la décision de l’AG autorisant Mlle F. à l’aménager.

 

Interprétation de l’autorisation accordée à Mlle F.. Le grenier devrait demeurer une partie commune de l’immeuble malgré l’autorisation accordée à Mlle F. de « l’aménager ». La doctrine reconnaît au titulaire d’un droit de jouissance exclusive la possibilité de procéder à des « aménagements » (J.L Bergel, M. Bruschi, S.Cimanonti, Les biens, LGDJ, n° 566, p 563).

Si le grenier demeure une partie commune, Mlle F. a dépassé l’autorisation conférée par l’assemblée générale.

 

Régularité de la décision de l’AG. De plus, il semble que l’assemblée générale ne pouvait de toute façon pas attribuer gratuitement à Mlle F. un droit privatif sur l’immeuble sans respecter les dispositions de l’article 26 de la loi. Par ailleurs, le procès verbal de l’assemblée générale de 1984 n’a pas valablement été régularisé en 1988, la question ne figurant pas à l’ordre du jour, Mlle S conserve la possibilité de le contester.

Cependant, l’action en nullité doit être exercée dans un délai de deux mois (art. 42) et selon la Cour de cassation, l’article 42 de la loi est applicable à toutes les décisions prises par les assemblées générales de copropriétaires, même si elles sont irrégulières (Civ. III, 9 janvier 1973, JCP 1973.II.17374).  Néanmoins, ce délai pourrait être porté à dix ans lorsque la question ne figure pas à l’ordre du jour (Civ. III, 22 févr. 1995, Henneresse c/ SA des Halles à Strasbourg, et art. 10 de la loi), mais ce délai est déjà écoulé.

 

Conclusion. Le grenier serait ainsi une partie commune de l’immeuble. L’action en responsabilité doit être exercée contre le syndicat des copropriétaires.

 

2.2  Sur la procédure

 

Une action en responsabilité a été engagée notamment par Mlle S mais le tribunal a ordonner une mesure d’expertise. Selon l’article 153 du NCPC, la décision qui ordonne une mesure d’instruction ne dessaisit pas le juge. Dès lors, la question se pose dès lors de savoir si l’instance engagée peut être poursuivie.

 

2.2.1 – Péremption

 

Notion. L’article 386 du NCPC dispose que « L’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans ». La péremption est un mode d’extinction de l’instance fondée sur l’inertie procédurale des parties. Elle joue devant toutes les juridictions de l’ordre civile, et notamment, en l’espèce, devant le Tribunal de Grande Instance.

 

Délai. Le délai de péremption est de deux ans à partir de la saisine de la juridiction. Le cabinet L. et D. est assigné par un acte du 15 janvier 1988, puis par un acte du 20 avril 1988.

Dès lors, la péremption est acquise sous réserve d’une cause d’interruption ou de suspension.

 

Interruption. L’interruption du délai de péremption fait en principe courir un nouveau délai de deux ans. La diligence doit émaner d’une partie. Le rapport d’expertise déposé par M. G. n’interrompt donc pas le délai de péremption.

Les diligences interruptives de prescription doivent faire partie de l’instance et être destiné à la continuer. Elles sont largement admises. Selon l’interprétation a contrario d’un arrêt de la Cour de cassation les diligences accomplies au cours d’une expertise peuvent interrompre la prescription à condition de faire partie de l’instance et de la continuer (Civ. II 12 juin 1985, GP 1985.2, pan, 363). M. H. a adressé une lettre à l’expert le 21 septembre 1989 et le même jour, le représentant de Mlle S. a participé à une réunion avec l’expert.

En conséquence, le délai de péremption de 10 ans est à ce jour écoulé.

 

Effets. La préemption doit être demandée par la partie adverse et ne peut être soulevée d’office par le juge. Les frais de l’instance périmée sont supportés par celui qui l’a introduite, c’est à dire, Mlle S. et Mlle P.. La péremption engage la responsabilité de l’avocat du demandeur, mais rien ne précise en l’espèce les causes de cette péremption.

La péremption n’interdit pas d’engager une nouvelle action, à condition toutefois que le délai de prescription ne soit pas écoulé.

 

2.2.2 – Prescription

 

Délai de prescription. L’action contre le syndic a été engagée sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Selon l’article 2270-1 du Code civil, le délai de prescription est de dix ans en cette matière. Cependant ce texte est issu de la loi du 5 juillet 1985 qui est postérieure aux faits. Le doute sur la date à retenir (préjudice révélé en 1987 en raison d’une faute commise en 1983) ne modifie cependant pas ce délai ; selon les principes du droit transitoire, un délai de prescription non écoulé ne confère pas un droit acquis à l’application de la loi ancienne ; ce principe est rappelé par les mesures transitoires de la loi du 5 juillet 1985.

Le délai d’exercice des actions entre copropriétaires ou entre ceux-ci et le syndic est également de dix ans.

Dès lors, l’action est prescrite, sous réserve d’une cause de suspension ou d’interruption.

 

Interruption. Selon l’article 2244 du Code civil, la prescription est interrompue par une demande en justice. Mlle S. et Mlle P. ont exercé une action. Néanmoins, selon l’article 2247 du Code civil, l’interruption est regardée comme non avenue si le demandeur laisse périmer l’instance. En l’espèce l’instance est périmée. La cause d’interruption prévue par l’article 2244 du Code civil ne peut être invoquée.

Le délai de prescription est également interrompue selon l’article 2248 du Code civil par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait. L’acte interruptif résultant d’une reconnaissance par le débiteur du droit du créancier fait courir à compter de sa date un nouveau délai de prescription. L’interprétation du comportement du débiteur est apprécié souverainement par les juges du fond. En l’espèce, par un acte en date du 11 juin 1988, déclaré « caduc » par le tribunal, Monsieur D. s’engage au nom de la copropriété à effectuer des travaux.  Le nouveau délai de prescription est donc de 10 ans et non de 30 ans. En effet, la responsabilité n’est pas contractuel mais délictuel, l’acte du 11 juin 1988 ne pouvant plus être invoqué.

Finalement, quelque soit l’interprétation de cet acte, l’action en responsabilité est donc prescrite.

 

Conclusion. L’action en responsabilité a de très faibles chances d’aboutir. Son sucèès suppose que le syndic oublie de soulever  la prescription. Néanmoins Mlle S. peut exiger de Mlle F. la réparation de la totalité du préjudice subi à l’aide d’une mesure comminatoire. Si Mlle S. n’est pas indemnisée, elle exigera la destruction des aménagements effectués par Mlle F..

 


 

3 – Action réel en destruction des aménagements

 

Procédure antérieure. En raison de la péremption de l’instance, une nouvelle action visant à obtenir la destruction de l’immeuble doit être exercée. En outre, Mlle F. et non le syndicat des copropriétaires doit être assignée. La question se pose cependant de savoir si cette action n’est pas également prescrite.

 

Démolition des constructions effectués par Mlle F.. Selon une jurisprudence ferment établie, le droit de jouissance exclusive n’autorise pas son titulaire à se comporter comme propriétaire exclusif des parties communes. Il ne peut procéder à des constructions sous peine de se voire ordonner de les détruire (Civ III, 28 octobre 1980, JCP 1980, éd N, II, p 113).

En conséquence, Mlle S. peut en sa qualité de copropriétaire exiger la destruction des aménagements effectués dans le grenier par Mlle F..

 

Délai de prescription. Seule la prescription acquisitive pourrait permettre à Mlle F. de faire éche à l’action de Mlle S.. Cette action semble de nature immobilière. En matière immobilière, l’article 2265 du Code civil dispose que « Celui qui acquiert de bonne foi et par juste tire un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.. ». La  bonne foi est souverainement appréciée par les juges du fonds et doit exister au moment de l’entrée en possession. Mlle F. ne peut se prévaloir de ce texte dès lors que le PV de l’AG a été régularisé postérieurement aux travaux et semble avoir été obtenu par des manœuvres dénoncées par Mlle S..

Il en résulte que l’action de Mlle S. se prescrit par trente ans en application de l’article 2262 du Code civil. Elle peut dont encore agir. Son action n’est pas subordonnée à la preuve d’un  préjudice.

 


 

Conclusion

 

Transaction. L’action visant à détruire les parties commune doit être portée devant le Tribunal de Grande Instance du ressort du lieu de situation de l’immeuble, c’est à dire de B..

Il est certainement préférable pour Mlle S. et Mlle P. de conclure une transaction par laquelle elles renoncent à leurs actions contre Mlle F. à condition que celle-ci l’indemnise du préjudice subi. Mlle F. pourrait être rassurée sur le risque d’actions exercées par les autres copropriétaires ; la signature du PV régularisant les travaux effectués pourrait s’interpréter comme une renonciation à leur droit d’agir en destruction. L’échec des précédentes négociations s’explique par le droit de Mlle S. d’exiger à la fois la destruction des construction et la réparation du préjudice subi. Aujourd’hui, elle doit opérer un choix en raison de la prescription de l’action en responsabilité.