Com, 13 mars 2001, Bull n° 56, N° 98-12-438

 

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    Attendu, selon l'arrêt attaqué, que pour les besoins de l'entreprise OGI, qu'il exploitait en nom personnel, M. Gaultier de la Richerie a ouvert un compte dans les livres de la Banque régionale d'escompte et de dépôt (BRED) et souscrit un prêt ; que celle-ci a, le 20 janvier 1993, crédité par erreur ce compte d'une somme de 147 411,94 francs, correspondant au montant d'une lettre de change émise au profit d'un tiers, sur laquelle M. Gaultier de la Richerie a tiré, quelques jours plus tard, un chèque de 80 000 francs qu'il a versé sur son compte chèque personnel ; que, le 12 mars 1993, la BRED, s'étant aperçue de son erreur, a, sans en informer son client, contre-passé l'écri­ture, mettant ainsi le compte de celui-ci à découvert ; qu'un chèque de 769,19 francs présenté à l'encaissement a été rejeté, faute de provision suffisante, cependant que l'échéance de remboursement du prêt du mois de mars 1993 d'un montant de 1 580,02 francs n'a pas été honorée ; que prétendant ne plus être en mesure de poursuivre l'exercice de sa profession du fait des agissements de sa banque, M. Gaultier de la Richerie a cessé ses activités le 20 mars 1993 et fait assigner la BRED pour obtenir notamment l'annulation de la contre-passation et la réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi de ce fait ; que de son côté, après avoir mis en oeuvre une procédure d'in­terdiction bancaire, signifié à M. Gaultier de la Richerie la déchéance du terme de son prêt et fait pratiquer des saisies conservatoires sur ses avoirs, la BRED lui a réclamé paiement de ses diverses créances ; qu'après avoir condamné M. Gaultier de la Richerie à restituer la somme indûment perçue par lui ainsi qu'à payer le solde de son prêt, l'arrêt, retenant que la BRED avait commis des fautes en contre-passant sans aver­tissement préalable l'écriture erronée, en mettant en ceuvre la procédure d'interdiction bancaire, puis en signifiant à M. Gaul­tier de la Richerie, dans les conditions où elle l'avait fait, la déchéance du terme de son prêt, a fixé à 250 000 francs le montant de la réparation due par la BRED et a ordonné la compensation judiciaire des créances ;

 

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis

 

Attendu que la BRED reproche à l'arrêt d'avoir fixé sa créance au titre du prêt consenti à M. Gaultier de la Richerie à la somme de 24 834,76 francs avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 28 mai 1993, de l'avoir condamnée à payer à ce dernier la somme de 250 000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 25 mai 1993 à titre de dommages-intérêts, d'avoir prononcé la compensation judi­ciaire entre les créances réciproques des parties et d'avoir ordonné la mainlevée de toutes les mesures conservatoires et interdictions prises par la banque, alors, selon le moyen

 

1° qu'il résulte de l'article 65-3 du décret-loi du 30 octo­bre 1935 que le banquier-tiré qui a refusé le paiement d'un chèque pour défaut de provision suffisante a l'obligation d'enjoindre au titulaire du compte de ne plus émettre de chèques, si bien qu'en retenant qu'était ,fautive la mise en oeuvre n au prétexte du rejet » d'un chèque, de la procédure d'interdiction bancaire, la cour d'appel a méconnu le texte précité et l'article 1382 du Code civil ;

 

2° que la provision doit exister au moment de l'émission du chèque et jusqu'à la présentation au paiement, si bien qu'en retenant, pour caractériser la faute qu'elle avait commise, que l'émission du chèque rejeté était antérieure au retrait partiel de la provision, la cour d'appel .s'est déterminée par un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 3 du décret-loi du 30 octobre 1935 et de l'article 1382 du Code civil ;

 

3° que l'article 15 du contrat de prêt prévoyait que le contrat serait résilié de plein droit et le solde restant dû deviendra immédiatement exigible en cas de défaut de règle­ment à son échéance d'un seul terme de capital ou d'intérêts, si bien qu'en retenant qu'elle avait commis une faute en fai­sant application de cette clause sans établir l'existence d'in­cidents antérieurs concernant le remboursement de ce prêt, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

 

4° que M. Gaultier de la Richerie n'avait pas soutenu que le solde du compte à fin janvier 1993 permettait le débit des trois échéances .suivantes du prêt, si bien qu'en relevant ce moyen d'office sans inviter les parties à présenter leurs obser­vations, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

 

5° qu'en se fondant sur la .situation du compte à la fin du mois de janvier 1993 pour retenir que le débit des trois échéances suivantes du prêt était possible, .sans rechercher si des opérations effectuées pendant ces trois mois n'avaient pas affecté le solde créditeur, la cour d'appel .s'est déterminée par des motifs inopérants, violant ainsi l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

 

Mais attendu, qu'ayant relevé qu'après avoir contre-passé l'écriture litigieuse sans en avertir son client, la BRED avait le même jour mis en oeuvre une interdiction bancaire pour le rejet d'un chèque de 769,19 francs émis le 4 février précédent et que, refusant ensuite les propositions de règlement amiable de M. Gaultier de la Richerie et son offre de verser à l'encaisse­ment deux chèques qui auraient permis de réduire de manière significative le découvert né de la contre-passation et témoi­gnaient de la bonne santé de l'entreprise, elle avait, sans attendre, notifié la déchéance du terme du prêt souscrit pour défaut de paiement d'une échéance de 1 580,02 francs, alors pourtant que les remboursements antérieurs n'avaient jusqu'a­lors donné lieu à aucun incident, la cour d'appel, quia ainsi motivé sa décision à partir des éléments de fait introduits par les parties et soumis à leur libre discussion, a pu en déduire que ces agissements avaient été constitutifs d'un abus de droit dès lors que la BRED était elle-même à l'origine de la situa­tion litigieuse pour avoir contre-passé, dans les conditions où elle l'avait fait, l'écriture erronée ; que l'arrêt qui n'a pas violé les textes invoqués est légalement justifié ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

 

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

 

Attendu que pour décider que M. Gaultier de la Richerie avait pu considérer que la somme de 147 411,94 francs, portée par erreur au crédit de son compte entreprise, lui était acquise et en disposer librement, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que M. Gaultier de la Richerie ait agi de mauvaise foi en pro­cédant à un retrait de fonds et en n'interrogeant pas la banque sur l'importance de son solde puisqu'il n'avait pas été informé de l'erreur, que son compte était antérieurement créditeur et qu'il pouvait disposer du solde provisoire inscrit à son crédit ;

 

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé le caractère indu du crédit litigieux et que c'était dès lors à M. Gaultier de la Richerie d'établir qu'il avait pu se méprendre sur ses droits et dépenser de bonne foi les sommes portées sur son compte, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;

 

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen

 

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 janvier 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.