Com, 6 juin
2001, Bull n° 111, N° 99-18-296
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Attendu, selon
l'arrêt attaqué, que les sociétés La Redoute France, France Printemps et FNAC,
filiales du groupe Pinault Printemps Redoute ainsi que la société financière
Finaref dont les activités sont connexes ou accessoires des précédentes
diffusent auprès des consommateurs des « chèques-cadeaux » «
ulti-enseignes » portant mention de leurs dénominations sociales respectives, permettant
aux porteurs d'obtenir en contrepartie, auprès de l'une quelconque des sociétés
du groupe, un produit ou un service pour le montant qui s'y trouve
indiqué ; que la société Tir Groupé achète 'en, nombre ces «
chèques-cadeaux » pour un prix inférieur à leur valeur faciale, les réunit dans
un catalogue, et revend à ses clients ses propres « chèques-cadeaux » intitulés
« chèques-cadeaux Tir Groupé » utilisables par échanges avec les «
chèques-cadeaux » figurant à son catalogue ; que faisant valoir que ces « chèques-cadeaux
» constituaient des moyens de paiement au sens de l'article 4 de la loi du 24
janvier 1984 et qu'en les achetant pour les revendre, les sociétés
intermédiaires effectuaient des opérations de banque, la société Finaref, s'en
prétendant l'émettrice, a fait sommation à la société Tir Groupé de justifier
qu'elle remplissait les conditions exigées par les articles 10, 13 et 65 à 71
de la loi susvisée ; que la société Tir Groupé n'ayant pas satisfait à
cette exigence, les sociétés La Redoute France, France Printemps et FNAC et la
société Finaref, celle-ci disant agir tout à la fois en qualité de mandante des
sociétés La Redoute France, France Printemps et FNAC en vertu de conventions
souscrites le 25 mars 1995, et comme établissement de crédit, ont saisi le juge
pour faire prononcer la nullité ou subsidiairement la résiliation des
conventions les liant à la société Tir Groupé ; que, confirmant le
jugement déféré, l'arrêt attaqué a déclaré la société Finaref irrecevable à
agir en la condamnant à payer des dommagesintéréts pour procédure abusive et
rejeté les prétendons des autres demanderesses ;
Sur le deuxième
moyen, pris en ses sept branches
Attendu que les
sociétés La Redoute France, France Printemps et FNAC et Finaref font grief à
l'arrêt d'avoir estimé que les « chèques-cadeaux« ne constituaient pas un moyen
de paiement au sens des articles 1- et 4 de la loi du 24 janvier 1984, et de
les avoir en conséquence ; déboutées de l'intégralité des demandes
qu'elles avaient formées contre la société Tir Groupé, alors, selon le moyen
1° que
constituent des opérations de banque, réservées aux établissements de crédit,
la mise à disposition ou la gestion de moyens de paiement que sont tous les
instruments qui, quel que soit le support ou le procédé technique utilisé,
permettent à toute personne de transférer des fonds ; qu'après avoir
constaté, d'une part, que la société Tir Groupé achetait auprès des sociétés du
groupe Pinault, Printemps, Redoute, leurs « chèques-cadeaux » et vendait à ses
clients ses propres « chèques-cadeaux » et, d'autre part, que ceux-ci
s'adressaient ensuite à cette dernière pour échanger ces « chèques-cadeaux »
contre ceux émis par des fournisseurs n'appartenant pas nécessairement au
groupe Pinault, Printemps, Redoute, afin d'obtenir des biens ou des services
auprès de ces derniers, ce dont il résultait que les « chèques-cadeaux »
opéraient un transfert de fonds du client au distributeur qui l'acceptait et
constituaient donc des moyens de paiement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences
légales de ses propres constatations et violé les articles 1, 4 et 10 de la loi
du 24 janvier 1984 ;
2° que selon
l'article 12-5° de la loi du 24 janvier 1984, l'interdiction d'effectuer des
opérations de banque à titre habituel ne fait pas obstacle à ce qu'une
entreprise puisse émettre des bons délivrés pour l'achat, auprès d'elle, d'un
bien ou d'un service déterminé, qu'il résulte de la combinaison des articles 1,
4, 10 et 12-5° de la loi du 24 janvier 1984, que la délivrance de «
chèques-cadeaux » constitue bien une opération de banque ; qu'ainsi en se
prononçant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les dispositions
précitées ;
3° qu'elles
faisaient valoir dans le dernier état de leurs écritures que l'intérêt du
public appelait ici la garantie assurée par le monopole des établissements de
crédit, au regard du volume de masse financière ici créée et des risques de
contrefaçon et d'insolvabilité, qu'en ne répondant pas à ce chef des
conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure
civile,
4° que la cour
d'appel ne pouvait, sans se contredire, constater, d'une part, que les «
chèques-cadeaux » émis par les sociétés distributrices « sont au porteur et
peuvent faire l'objet de reventes » et, d'autre part, que le « chèque-cadeau »
« ne peut être échangé contre un autre instrument de transfert de fonds tels
que des espèces, un chèque, une lettre de change, un billet à ordre » ;
qu'en se prononçant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les dispositions
de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5° que le moyen
de paiement, au sens de la loi du 24 janvier 1984, n'est pas nécessairement
échangeable contre un instrument de transfert de fonds et ne doit pas
nécessairement être « déposé ou viré sur un compte bancaire » ; qu'ainsi,
en décidant que le « chèque-cadeau » n'était pas un moyen de paiement soumis à
la loi bancaire parce qu'il ne pouvait être ni déposé ni viré sur un compte
bancaire, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1 et 4 de la
loi du 24 janvier 1984 ;
6° que la
qualification de moyen de paiement, au sens de la loi du 24 janvier 1984, ne
dépend ni du nombre des opérateurs auprès desquels il est accepté ni de la
nature de l'opération économique sous-jacente au transfert de fonds, qu'ainsi,
en décidant que le « chèque-cadeau » n'était pas un moyen de paiement soumis à
la loi bancaire, parce qu'il ne pouvait être présenté comme moyen d'échange
qu'auprès de certaines personnes, et que pour des biens ou services
limitativement définis, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1
et 4 de la loi du 24 janvier 1984 ;
7° que la faculté
de transférer des fonds qui caractérise un moyen de paiement, au sens de la loi
du 24 janvier 1984, peut avoir une origine conventionnelle ; qu'ainsi, en
décidant que le « chèque-cadeau » n'était pas un moyen de paiement soumis à la
loi bancaire, parce qu'il trouvait sa valeur dans un engagement contractuel des
sociétés émettrices et non dans la. volonté de la puissance publique, la cour
d'appel a violé les dispositions des articles 1 et 4 de la loi du 24 janvier
1984 ;
Mais attendu, en
premier lieu, qu'il ne résulte pas des dispositions de l'article 12.5° de la
loi du 24 janvier 1984 devenu l'article L. 511-7 du Code monétaire et
financier, qui autorise l'émission par les entreprises de bons et cartes
délivrés pour l'achat auprès d'elles-mêmes d'un bien ou d'un service déterminé,
que la diffusion de « chèques-cadeaux » « multi-enseignes » permettant
d'acquérir un bien ou un service auprès de l'un quelconque des distributeurs
partenaires, est une opération de banque ;
Attendu, en
second lieu, qu'aux termes des articles ln, alinéa 2, et 4 de la loi du 24
janvier 1984 devenus les articles L. 311-1 et L. 311-3 du Code monétaire et
financier, les moyens de paiement sont des instruments, qui, quel que soit le
support ou le procédé utilisé, permettent à toute personne de transférer des
fonds ;
Attendu que
l'arrêt relève qu'après avoir été achetés par la société Tir Groupé aux
sociétés émettrices, pour un prix inférieur à leur valeur faciale, les «
chèques-cadeaux » ne peuvent, pendant la durée limitée de leur validité,
qu'être échangés auprès de personnes et contre des biens ou des services
limitativement définis, ajoute qu'ils ne sont jamais convertibles en monnaie,
toute restitution d'une différence de valeur éventuelle entre le prix du bien
ou du service acquis et le montant des « chèques-cadeaux N étant, notamment,
interdite et qu'ils ne sont pas non plus susceptibles d'être virés ou déposés
sur un compte ; qu'ayant ainsi fait ressortir que ces « ah8quescadeaux »,
dépourvus de tout caractère fongible et liquide, ne représentaient pas une
valeur monétaire, pas mémo après inscription en compte pour une utilisation
ultérieure de leurs montants à des fins indifférenciées, la cour d'appel, qui
n'avait pas à répondre aux conclusions inopérantes visées par la troisième
branche du moyen et abstraction faite de la contradiction de motifs dénoncée
par la quatrième branche qui reste sans conséquence sur la solution, en a
exactement déduit qu'ils n'étaient pas des instruments de paiement mais des
moyens de transférer des créances sur des débiteurs prédéterminés ;
Que le moyen
n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le
premier moyen, pris en sa deuxième branche
Vu les articles 1
et 10 de la loi du 24 janvier 1984 devenus les articles L. 511-1, L. 311-1, L.
511-5 du Code monétaire et financier, et 6 du Code civil ;
Attendu que pour
déclarer la société Finaref irrecevable en son action, la cour d'appel retient
qu'elle est sans qualité à poursuivre, fût-ce pour défaut de respect des
dispositions de la loi du 24 janvier 1984, la nullité des conventions tacites
souscrites entre la société Tir Groupé et les sociétés La Redoute France,
France Printemps et FNAC auxquelles elle est étrangère ;
Attendu qu'en
statuant ainsi alors que les dispositions dont s'agit sont d'ordre public et
que leur application peut être demandée par toute personne y ayant intérêt, la
cour d'appel a violé, par fausse application les textes susvisés ;
Et sur le premier
moyen, pris en sa huitième branche
Vu l'article 625
du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que les
dispositions de l'arrêt ayant déclaré la société Finaref irrecevable à agir
étant cassées, celles relatives à la condamnation prononcée pour abus du droit
d'agir en justice le sont aussi par voie de conséquence ;
PAR CES MOTIFS,
et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs
CASSE ET ANNULE,
mais seulement dans ses seules dispositions ayant déclaré la société Finaref
irrecevable à agir et l'ayant condamnée à payer des dommages-intérêts pour
procédure abusive à la société Tir Groupé, l'arrêt rendu le 10 juin 1999, entre
les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence,
quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant
ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de
Paris.
Société la
Redoute France et autres contre société Tir Groupé.