Com, 26 juin 2001, Bull n° 125, N° 97-11-914

 

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Attendu, selon l'arrêt déféré (Rouen, 27 novembre 1996), que, par acte du 10 avril 1991, M. Pauthe s'est porté caution solidaire de toutes sommes que la société Sefri (la société) pourrait devoir à la Banque Delubac et compagnie (la banque) à concurrence de 1 000 000 francs ; que la société ayant fait l'objet d'une procédure collective, la banque, qui avait escompté des lettres de change, a assigné la caution en exécution de son engagement ;

 

Sur les premier, deuxième et quatrième moyens, pris en leurs diverses branches, réunis

 

Attendu que la banque reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement par la caution de la somme de 755199,18 francs, avec intérêts, et de la somme de 296 500 francs, alors, selon le moyen

 

I° que la caution ne peut être déchargée de son engagement que lorsque le créancier a, par sa faute, perdu un droit, privilège ou hypothèque dont la caution aurait pu bénéficier par subrogation, qu'en l'espèce, la cour d'appel prononce la décharge de la caution sans relever que la banque créancière avait fait perdre à M. Pauthe, caution, un privilège ou droit hypothécaire dont il aurait pu bénéficier par subrogation ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2037 du Code civil ;

 

2° que la caution n'avait nullement invoqué une créance de dommages-intérêts d l'égard de la banque et pas davantage demandé une compensation entre cette créance de dommagesintérêts et les sommes dues en vertu du cautionnement, qu'en rejetant la demande de la banque formée à l'encontre de la caution, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

 

3° que la cour d'appel ne relève pas la faute de la banque qui aurait fondé une créance de dommages-intérêts au bénéfice de la caution et justifié une éventuelle compensation entre la créance de dommages-intérêts et les sommes dues au titre du cautionnement ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;

 

4° que le contrat de cautionnement lie le créancier à la caution ; que le débiteur est un tiers d l'engagement de caution, que la caution est tenue envers le créancier dès lors que le débiteur est défaillant, quel que soit le fait générateur de cette défaillance, réserve faite de l'hypothèse où le créancier aurait participé à la fraude du débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel se borne à relever les agissements frauduleux de la société Sefri, débitrice, sans relever la fraude de la banque ; qu'en exonérant néanmoins la caution sur le fondement de la fraude commise par le tiers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 2015 du Code civil ;

 

5° que la banque qui escompte une traite crédite le compte de son client tireur ; que si la traite est nulle, faute de cause, le client tireur doit restitution à la banque des sommes dont son compte a été crédité, que la créance de la banque s'analyse donc en une créance de restitution ; qu'en rejetant la demande de la banque, motif pris de ce que la caution n'avait pas garanti les créances de nature délictuelle alors que la banque faisait valoir une créance de restitution, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

 

6° que la banque qui a escompté une traite non payée à son échéance a droit à restitution des sommes dont elle a crédité le compte de son client tireur ; que l'action en paiement intentée par la banque s'analyse en une action en restitution distincte d'une créance de nature délictuelle, qu'en rejetant da demande de la banque, prétexte pris que sa créance était de nature délictuelle, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

 

7° que la demande en restitution par la banque des sommes dont elle a crédité le compte de son client est distincte d'une créance de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice subi par la banque du fait de la restitution ; qu'en rejetant la demande de la banque en restitution des sommes dont elle avait crédité le compte de la société Sefri, prétexte pris de ce que la banque aurait bénéficié de dommages-intérêts, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

 

Mais attendu que loin de décharger la caution d'un engagement dont elle était tenue ou d'allouer des dommages-intérêts puis de prononcer leur compensation avec une créance de la banque, l'arrêt relève que les sommes litigieuses demandées par la banque, dont celle de 296 500 francs, le sont au titre de fausses traites et de lettres de change de complaisance et non causées, faits pour lesquels la dirigeante de la société a été condamnée pénalement ; que l'arrêt en déduit que ces créances avaient une origine délictuelle et retient souverainement que le cautionnement n'a pas été consenti en garantie de dettes de cette nature ; que la cour d'appel ayant ainsi légalement justifié sa décision, le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

 

Et sur le troisième moyen, pris en ses trois branches

 

Attendu que la banque reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement des sommes de 382 740 francs et 227 628 francs, alors, selon le moyen

 

1° que la banque ne commet aucune faute lorsqu'elle escompte une traite ayant une cause ; qu'en l'espèce, il est constant, et la cour d'appel le relève, que les deux traites litigieuses sont causées et constituent deux effets de commerce entrant dans le champ du cautionnement ; qu'en considérant que la banque avait commis une faute en escomptant ces traites causées, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

 

2° que les deux traites litigieuses étant causées, la caution était redevable de leur paiement en cas de défaillance du débiteur ; qu'en condamnant néanmoins la banque à réparation alors qu'aucun lien causal n'existait entre la faute reprochée à la banque -escompte des traites en août 1991- et le préjudice allégué par la caution, la cour d'appel a violé les articles 1108, 1147 et 2015 du Code civil, ainsi que les articles 117 et 118 du Code de commerce ;

 

3° que l'escompte d'une traite constitue l'opération par laquelle la banque reçoit un effet de commerce de son client et en paie le montant en créditant le compte ; qu'ainsi, en escomptant une traite, la banque se borne à prendre acte d'un titre de créance que son client lui remet, sans consentir à ce dernier un crédit artificiel dont le seul but serait d'assurer la survie artificielle de l'entreprise ; qu'en considérant que la banque avait commis une faute en escomptant les traites dont s'agit, motif qu'elle aurait aggravé le passif de la société Sefri, alors que l'escompte fondé sur des traites causées augmentait le crédit de la société, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 2015 du Code civil, ainsi que les articles 117 et ! 18 du Code de commerce,

 

Mais attendu qu'ayant relevé que la banque, après avoir déposé une plainte avec constitution de partie civile, le 12 août 1991, à la suite de la connaissance qu'elle avait acquise des agissements frauduleux du gérant de la société Sefri, avait escompté, le 26 août 1991, les lettres de change d'un montant de 382 740 francs et 227 628 francs tirées par la société, la cour d'appel a pu estimer que la banque, qui n'avait pas agi avec prudence, avait commis une faute en aggravant le passif de la société d'une créance qui n'aurait pas existé si la banque avait cessé ses relations commerciales en temps utile et a pu retenir l'existence d'un lien de causalité entre cette faute et le préjudice de la caution tenue de garantir cette créance ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

 

PAR CES MOTIFS

 

REJETTE le pourvoi.