Civ III, 31 octobre 2001, Bull n° 115, N° 00-13-763

 

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Sur les deux premiers moyens, réunis

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Amiens, I1 janvier 2000), qu'en 1983, la société coopérative agricole Agro Picardie (société Agro Picardie) a fait réaliser par la société Magnier­Nesle quatre cellules de stockage de céréales et, en 1985, sept nouvelles cellules ; que la société Magnier-Nesle a sous­traité la fourniture et le montage des cellules à la société Phé­nix Rousies, qui a elle-même sous-traité le montage des cel­lules de la seconde tranche à la société Bati Silos, depuis lors en liquidation judiciaire, assurée par la compagnie Winterthur assurances (compagnie Winterthur) ; qu'en 1991, la cellule 66 a éclaté et causé des dommages aux cellules 65, 67, 69 et 70, toutes ces cellules ayant été réalisées par la société Bati Silos ; qu'après transaction intervenue entre la société Agro Picardie et la société Phénix Rousies, ayant abouti à l'indemnisation partielle du maître de l'ouvrage, la société Agro Picardie a demandé à la compagnie Winterthur la réparation du surplus de son préjudice ;

 

Attendu que la compagnie Winterthur fait grief à l'arrêt de déclarer la société Bati Silos entièrement responsable du dom­mage subi par la société Agro Picardie, et de condamner l'assureur à payer diverses sommes à ce maître de l'ouvrage, alors, selon le moyen

 

1° que dès lors que la compagnie Winterthur, en tant qu'as­sureur de la société Bati Silos, contestait le principe de la res­ponsabilité de la société Bati Silos, les juges du fond ne pou­vaient la condamner en tant que garant de la société Bati Silos, sans constater préalablement l'existence de manque­ments permettant de retenir la responsabilité quasi délictuelle de la société Bati Silos ; que faute de s'être expliqués sur les fautes quasi délictuelles pouvant être retenues à l'encontre de la société Bati Silos, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

 

2° que dans l'hypothèse de coobligés in solidum, l'extinction de la dette à l'égard de l'un des coobligés produit effet d l'égard des autres coobligés, et exclut que la victime puisse agir à l'encontre de ces derniers à concurrence de la fraction de la dette qui a été éteinte, qu'en cas de transaction entre l'un des coobligés et la victime, l'extinction s'opère, non pas à concurrence de ce que paie le coobligé, mais d concurrence des droits qui ont été éteints par l'effet de la transaction, que si la transaction a eu pour objet d'éteindre la créance de la victime, à hauteur de la part devant incomber in fine au coo­bligé avec lequel elle a transigé, la dette doit être regardée comme éteinte à hauteur de cette part ; qu'en l'espèce, une transaction est intervenue entre la coopérative agricole Agro Picardie et la société Phénix Rousies à l'effet d'éteindre la fraction de la dette incombant à cette dernière ; qu'en refusant néanmoins de considérer que la demande de la coopérative agricole Agro Picardie ne pouvait porter sur la fraction de la dette incombant à la société Phénix Rousies, les juges du fond ont violé les règles régissant l'obligation in solidum, ensemble les articles 1200, 2044 et 2052 du Code civil ;

 

3° qu'en se bornant à rappeler la règle légale suivant laquelle en cas d'obligation in solidum, chaque coobligé peut être condamné au tout, sans rechercher si la transaction inter­venue entre la coopérative agricole Agro Picardie et la société Phénix Rousies n'avait pas eu pour effet d'éteindre la dette, à hauteur de la part incombant d la société Phénix Rousies, les juges du fond ont, en tout état de cause, privé leur décision de base légale au regard des règles régissant l'obligation in soli­dum, ainsi qu'au regard des articles 1200, 2044 et 2052 du Code civil,

 

Mais attendu, d'une part, qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que la société Bati Silos avait mis en place des montants de 1,5 mm à la place de ceux de 3 mm, que cette inversion au montage ainsi que l'insuffisance de section des montants raidisseurs qui en était résultée expliquait le sinistre, et que le monteur avait, de ce fait, commis une grave erreur, le moyen manque en fait ;

 

Attendu, d'autre part, qu'ayant exactement retenu que cha­cun des responsables d'un même dommage doit être condamné à !e réparer dans sa totalité, et que les premiers juges ne pou­vaient opposer à la société Agro Picardie les fautes de la société Phénix Rousies pour réduire son droit à indemnisation de moitié, la cour d'appel en a exactement déduit que la société Bati Silos devait être déclarée responsable à l'égard du maître de l'ouvrage de l'entier préjudice à la réalisation duquel sa faute avait contribué, la transaction faite par un coobligé ne pouvant être opposée par les autres intéressés pour se sous­traire à leur propre obligation ;

 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

 

Sur le troisième moyen

 

Attendu que la compagnie Winterthur fait grief à l'arrêt de la condamner à payer des sommes à la société Agro Picardie au titre des dommages subis par les ouvrages construits par la société Bati Silos, alors, selon le moyen, que l'assurance obli­gatoire ne s'applique qu'aux personnes physiques ou morales dont la responsabilité peut être engagée à l'égard du maître de l'ouvrage sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil ; que n'entre pas dans cette catégorie le sous-traitant de l'entrepreneur avec lequel le maître de l'ouvrage a contracté ; qu'en l'espèce, la société Bati Silos n'a été que le sous-traitant de la société Phénix Rousies, laquelle n'était elle-même que le sous-traitant de la société Magnier-Nesle ; avec laquelle la Coopérative agricole Agro Picardie avait contracté, d'où il suit que l'arrêt attaqué, qui a raisonné à tort comme s'il était en présence d'une assurance obligatoire, a été rendu en violation des articles L. 241-1 et 1,. 241-2 du Code des assurances, ensemble en violation de l'article 1134 du Code civil,

 

Mais attendu qu'ayant relevé que la société Bati Silos était assurée par la compagnie Winterthur par une police de respon­sabilité décennale la garantissant pour les travaux qu'elle exé­cutait en qualité de sous-traitant comme si elle était intervenue en qualité de locateur d'ouvrage, dés lors que les désordres étaient de nature à entraîner la responsabilité des constructeurs sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil, et retenu, par un motif non critiqué, que les désordres garantis étaient « d'ordre décennal », la cour d'appel en a exactement déduit que la compagnie Winterthur devait garantir les dom­mages matériels aux cellules 65, 66, 67, 69 et 70 réalisées par la société Bati Silos sans application des clauses de franchise et de plafond de garantie inopposables aux tiers-,

 

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

 

PAR CES MOTIFS

 

REJETTE le pourvoi.