Civ I, 4 décembre 2001, Bull n° 302, N° 98-21-212

 

_________________________________

 

Attendu que la Société de banque de l'Orléanais (la banque) a, le 6 novembre 1990, consenti à Mme Marie-France Royoux un prêt destiné à financer l'acquisition d'un fonds de commerce ; que le Crédit d'équipement pour les petites et moyennes entreprises (CEPME) a garanti, par son cautionne­ment solidaire, le remboursement de cet emprunt et obtenu d'être garanti, pour la totalité de la dette, par les époux Jean Royoux, Marie Dantas, ainsi que, pour la moitié de la dette, par la banque ; que l'emprunteuse ayant été placée en liquida­tion judiciaire le 18 juin 1993, le CEPME a exécuté son obli­gation, la banque exécutant la sienne par compensation ; que la banque a alors demandé en justice, d'une part, que les époux Royoux soient condamnés à lui rembourser les sommes ainsi payées, d'autre part, que lui soit déclarée inopposable la dona­tion en usufruit de l'immeuble leur appartenant faite par eux à deux autres de leurs enfants, par acte du 6 janvier 1993 ;

 

Sur le second moyen pris en ses deux branches

 

Attendu que M. et Mme Royoux, ainsi que leurs enfants Claude et Claudine, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré cette donation inopposable à la banque, alors, selon le moyen

 

1° qu'en armant, pour décider que la banque pouvait attaquer la donation, qu'elle disposait d'un principe certain de créance à l'encontre des époux Royoux, dès le 6 novembre 1990, tout en constatant par ailleurs que cet enga­gement avait été consenti non au profit de la banque mais à celui du CEPME, caution principale, de sorte que la banque n'avait pas la qualité de créancier actuel et même futur des époux Royaux au moment où la libéralité a été consentie, la cour d'appel aurait violé l'article 1167 du Code civil,

 

2° qu'en se bornant à relever, pour décider que les époux Royoux avaient nécessairement conscience, en consentant la donation litigieuse, que leur immeuble échapperait à la banque, que leur fille Marie-France avait cessé son activité depuis le mois de décembre 1992, soit antérieurement à la donation, sans constater qu'ils avaient effectivement connais­sance de cette cessation d'activité au moment où ils ont consenti cette libéralité à leurs deux autres enfants, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil ;

 

Mais attendu que la cour d'appel a constaté que le CEPME, qui avait cautionné le remboursement de l'emprunt, avait obtenu la garantie tant des époux Royoux, à concurrence de la totalité de la dette, que de la banque, à concurrence de la moi­tié de celle-ci, ce dont il résultait que l'obligation des époux Royoux envers leur cofidéjusseur était née dès le jour de leur engagement de caution ; qu'elle a exactement décidé que la banque possédait un principe certain de créance antérieurement à la donation ; que mal fondé en sa première branche, le moyen ne peut être accueilli en sa seconde branche qui, sous couvert d'un grief non fondé de défaut de base légale, ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine par les juges du fond de la connaissance qu'avaient les donateurs du préjudice qu'ils causaient à leur créancier au moment où ils se sont appauvris ;

 

Mais sur les première et troisième branches, réunies, du premier moyen

 

Vu les articles 2029 et 2033 du Code civil ;

 

Attendu que pour condamner les époux Royoux à paiement de la somme de 198 233,41 francs au profit de la banque, l'arrêt retient qu'au résultat des obligations contractées, le CEPME devait régler à la banque la totalité de sa créance et que cette dernière lui devait sa contré-garantie à concurrence de la moitié, en sorte que par le jeu de la compensation, celui-ci avait seulement versé à la banque la moitié de la créance ; qu'il retient encore que la banque s'était trouvée subrogée dans les droits du CEPME pour la partie qui lui incombait compte tenu de sa contre-garantie ; qu'il retient enfin que, sans que les époux Royoux n'aient émis de contes­tation, la banque avait déclaré à la liquidation judiciaire de l'emprunteuse une créance de 173 667,13 francs qui avait été admise et que la créance de la banque sur les époux Royoux devait être fixée au montant de cette somme actualisé au 27 janvier 1995 ;

 

Attendu, cependant, que la subrogation accordée à la caution qui a payé n'opère que pour les droits du créancier contre le débiteur ; que dès lors qu'elle avait constaté que la banque, à l'instar des époux Royoux, avait garanti le CEPME, pour le cas où celui-ci serait amené à exécuter sa propre obligation de caution, ladite banque ne pouvait exercer contre ses cofidéjus­seurs qu'un recours en contribution à concurrence de leur part ; qu'ainsi la cour d'appel, en statuant comme elle l'a fait, a violé, par fausse application, le premier des textes susvisés, et, par refus d'application, le second ;

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du premier moyen

 

CASSE ET ANNULE mais seulement en sa disposition condamnant les époux Royoux à payer à la Société de banque de l'Orléanais la somme de 198 233,41 francs avec intérêts, l'arrêt rendu le 30 juin 1998, entré les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.