Com, 26 mars 2002, Bull n° 60, N° 00-10-528

 

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Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SARL En Scène, constituée par M. Charpentier et Mme Lebuhôtel, avait pour activité la conception, l'organisation et la réalisation de prestations publiques ou privées dans le domaine du spectacle et de l'événement ; que, mise en redressement judiciaire en 1992, elle a été cédée à la société Denis et Co avec faculté de substitution par une société en cours de constitution ; que, le 27 juin 1994, la SA En Scène, constituée à cet effet, a racheté les actifs de la SARL En Scène et repris les contrats de travail de quatre salariés de la SARL En Scène parmi lesquels M. Charpentier et Mme Lebuhôtel ; que les contrats de travail de ces deux derniers comportaient une clause de non-concurrence ; que M. Charpentier et Mme Lebuhôtel ont démissionné de la SA En Scène en octobre 1995 et ont constitué la société Daniel Charpentier événements (la société Daniel Charpentier) ; que, se plaignant de la concurrence déloyale que la société Daniel Charpentier aurait commise avec le concours de la société Legrand, qui s'était préalablement adressée à elle pour étudier l'organisation d'une « convention » à Séville, pour ensuite confier celle-ci à la société Daniel Charpentier, la SA En Scène, aux droits de laquelle vient la société Groupe Denis et Co (société Groupe Denis), les a assignées en paiement de dommages-intérêts ; que son action a été accueillie en ce qui concerne la société Daniel Charpentier, mais rejetée en ce qu'elle était dirigée contre la société Legrand ;

 

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

 

    Attendu que la société Groupe Denis fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande dirigée contre la société Legrand, alors, selon le moyen, que commet une faute le tiers, jucien en connaissance de cause, se rend complice d'un acte de concurrence déloyale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Daniel Charpentier, pour être

à  même de soumettre, dès le 25 novembre 1995 d la société Legrand, un budget prévisionnel, avait nécessairement profité et utilisé les informations recueillies et les repérages effectués par MM Charpentier et Monteau lors de leur voyage à Séville en août 1995, lorsqu'ils étaient au service de la société En Scène, ce qui était contraire aux usages loyaux du commerce ; que l'arrêt a encore relevé que la société Le grand avait été informée de ce que le choix de la ville de Séville, plus généralement le projet soumis, avait été confu et initié par la société En Scène gui y avait travaillé dès août 1995 et qui avait d'ailleurs assumé, à cette date, les frais de déplacement et d'hébergement à Séville, y compris pour les salariés de la société Legrand ; qu'en jugeant néanmoins due la société Legrand n avait commis aucune faute en confiant, en novembre 1995 le marché en cause à la société Daniel Charpentier, société nouvelle ment créée par l'ancien salarié de la société En scène, qui était en charge du projet, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de

l article 1382 du Code civil ;

 

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que si la société En Scène avait présenté au cours de l'été 1995 un budget prévisionnel à la société Legrand pour la convention prévue en janvier 1996, celle-ci n'avait pris aucun engagement formel à son égard et qu'il n'est pas démontré que la société Legrand ait demandé à la société Daniel Charpentier de reprendre certaines des propositions faites par la société En Scène et que le prix proposé par la société Daniel Charpentier ait été inférieur à celui de la société En Scène ; qu'en l'état de ces constatations, desquelles il ne résultait pas que la société Legrand avait nécessairement connaissance de l'utilisation fautive par la société Daniel Charpentier des informations recueillies par M. Charpentier et M. Moreau alors que ceux-ci étaient au service de la société En Scène ou aurait profité d'un prix inférieur grâce à l'utilisation de ces informations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;

 

Mais sur la seconde branche du moyen unique

 

Sur la fin de non-recevoir soulevée par la défense

 

Attendu que la société Charpentier soutient que le moyen tiré de la faute commise par la société Legrand pour tierce complicité de la violation de l'obligation de loyauté de M. Charpentier et Mme Lebuhôtel envers la société En Scène est nouveau et mélangé de fait et de droit ;

 

Mais attendu que dans ses conclusions d'appel, la société En Scène faisait expressément valoir que la société Legrand avait été informée de ce que M. Charpentier et Mme Lebuhôtel seraient encore dans les liens du contrat de travail au-delà de la date prévue pour la tenue de la « convention » pour l'organisation de laquelle la société Legrand cherchait un prestataire de services et avait commis une faute en confiant le marché dont il s'agissait à la société qui les employait ; qu'il suit de là que le moyen était dans le débat soumis aux juges du fond ;

 

Et sur le moyen

 

Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil ;

 

Attendu que pour décider que la société Legrand n'avait pas commis de faute à l'égard de la société Groupe Denis, l'arrêt retient que la société Legrand, qui connaissait M. Charpentier et Mme Lebuhôtel depuis plusieurs années et qui appréciait leur travail, n'a pas commis de faute en décidant, le 30 novembre 1995, soit postérieurement à leur démission, de confier le marché en cause à la société Daniel Charpentier ;

 

Attendu qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur la circonstance selon laquelle la société Legrand avait été informée de ce que M. Charpentier et Mme Lebuhôtel n'avaient pas accompli leur préavis lorsqu'ils ont commencé leurs activités, concurrentes de celles de la société En Scène, au profit de la société Daniel Charpentier, dont il résultait que la société Legrand ne pouvait ignorer le préjudice qu'elle causait à la société En scène, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

 

Par ces motifs

 

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 octobre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.