par Bruno DONDERO,
maître de conférences à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne.
Trois personnes physiques avaient constitué une société civile immobilière. Cette société fit l’acquisition d’un appartement qu’elle loua d’abord à une associée et à son conjoint, avant qu’un autre associé, P. F., ne l’occupe. L’année 1970 vit P. F. devenir le gérant de la société, et acquérir les parts de l’associée ayant occupé précédemment l’appartement. Le troisième associé céda en 1972 ses parts à la mère de P. F., qui les céda ensuite à sa fille. Celle-ci ayant signé des actes de cession en blanc, son frère P. F. céda les parts sociales de sa sœur en 1982. Après le décès de P. F., survenu en 1993, la signataire des actes de cession en blanc les dénonça. Peu de temps après, la veuve de P. F. fit enregistrer la cession de parts faite à l’initiative de son mari en 1982.
La cédante et son mari assignèrent la veuve de P. F. devant le Tribunal de grande instance aux fins d’obtenir la nullité de l’acte de cession et le paiement de dommages-intérêts.
La Cour d’appel de Paris, saisie de l’affaire, fut amenée à juger par un arrêt en date du 28 janvier 1999 que l’action en nullité de la société n’était pas prescrite en 1973. Au vrai, on ne sait pas de quelle manière cette question s’articulait avec l’action en annulation de la cession de parts sociales. Peut-être les demandeurs espéraient-ils que la nullité de la société (non encore prononcée par une décision de justice semble-t-il et dépourvue d’effet rétroactif, aux termes de l’art. 1844-15 du Code civil) permettrait la remise en cause de la cession des parts émises par la société ? Les magistrats de la Cour d’appel de Paris jugèrent en tous cas que l’action en nullité de la société n’était pas prescrite en 1973 : s’agissant d’une « nullité permanente », seule la disparition de la cause de celle-ci – et donc la reconstitution de l’affectio societatis – aurait fait courir la prescription triennale. Ainsi, l’arrêt d’appel avait situé la disparition de l’affectio societatis à l’année 1970, mais il admettait que l’action en nullité de la société n’était pas prescrite en 1973.
Cette solution est désapprouvée par la première Chambre civile de la Cour de cassation, qui censure l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au visa de l’art. 1844-14 du Code civil. Ce texte dispose que « les actions en nullité de la société ou d’actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue ». A se conformer à la lettre du texte, le délai de prescription de l’action en nullité courait dès le premier jour d’absence de l’affectio societatis. Quand bien même l’on admettrait que l’affectio societatis puisse se « reconstituer », la solution de l’arrêt d’appel encourait donc la cassation pour violation de la loi. Les juges d’appel avaient transposé à l’action en nullité pour défaut d’affectio societatis le régime de la prescription de l’action en nullité d’un contrat pour vice du consentement (art. 1304, al. 2 du Code civil), qui ne court qu’à compter de la cessation de la violence ou de la découverte de l’erreur ou du dol, c’est-à-dire à compter de la disparition de l’élément ayant altéré le consentement de l’une des parties.
Mais tant l’arrêt de cassation que l’arrêt d’appel censuré appellent la critique, en ce que tous deux admettent que la société puisse être annulée en raison de la disparition de l’affectio societatis survenue postérieurement à sa constitution. L’affectio societatis est l’un des éléments constitutifs du contrat de société, qui serait nul si cet élément manquait lors de la formation du contrat (sur ce point, notre droit des sociétés est d’ailleurs en contradiction avec la directive communautaire n° 68/151 du 9 mars 1968, dont l’art. 11 énonce une liste limitative de causes admissibles de nullité des sociétés, sans permettre l’annulation pour défaut d’affectio societatis). En revanche, la disparition de l’affectio societatis postérieurement à la formation du contrat de société ne devrait pas être une cause de nullité de la société. Seule la dissolution de la société pour mésentente entre les associés devrait pouvoir être prononcée par le juge dans cette hypothèse (art. 1844-7, 5° du Code civil, qui exige que la mésentente paralyse le fonctionnement de la société). L’arrêt commenté surprend donc quelque peu en laissant entendre que la nullité pouvait être prononcée du fait d’une disparition de l’affectio societatis survenue deux ans après la constitution de la société.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième
branche
Vu l'article 1844-14 du Code civil ;
Attendu, selon ce texte, que les actions en
nullité de la société se prescrivent par trois ans à compter du jour où la
nullité est encourue ;
Attendu que Paul Fachena a constitué, le 11
mars 1968, avec Mme Coltelloni et M. Bernaroyat la société civile immobilière
du 4, rue Picot (la SCI) au capital de 90.000 francs, chacun des associés étant
porteur de 300 parts ; que cette SCI a acquis un appartement situé à
l'adresse ci-dessus, loué aux époux Coltelloni et occupé ultérieurement par
Paul Fachena qui a assumé la gérance de la société à partir de 1970 ; que
cette même année, Mme Coltelloni a cédé ses parts à Paul Fachena, M. Bernaroyat
cédant les siennes en 1972 à la mère de Paul Fachena, laquelle les a cédées en
1973, année de son décès, à sa fille, Mme Degardin ; que Paul Fachena a
cédé, le 28 décembre 1982, les 300 parts portées par sa sœur, pour lesquelles
cette dernière avait signé des actes de cession en blanc ; qu'après le
décès de Paul Fachena, survenu en 1993, Mme Degardin a, le 8 avril 1994,
dénoncé ces actes de cession ; que, le 29 avril suivant, Mme Paul Fachena
a fait enregistrer la cession de parts du 28 décembre 1982 ; que les époux
Degardin l'ont, alors, fait assigner devant le tribunal de grande instance de
Paris en nullité de l'acte de cession et paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que, pour juger que l'action en
nullité de la SCI n'était pas prescrite en 1973, soit trois ans après la perte
de toute affectio societatis, l'arrêt
attaqué relève que, s'agissant d'une nullité permanente, seule la disparition
de la cause de celle-ci, soit la reconstitution d'une affectio societatis fait courir la prescription de trois ans de
l'article 1844-14 du Code civil ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la nullité
prononcée pour perte de l'affectio
societatis était encourue en 1970, année où l'arrêt situait cette perte, la
cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de
statuer sur les autres moyens :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions,
l'arrêt rendu le 28 janvier 1999, entre les parties, par la cour d'appel de
Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où
elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie
devant la cour d'appel de Versailles.
Une société avait réalisé un apport partiel d’actif au bénéfice d’une autre, sans doute sous le régime des scissions, puisque l’apporteuse, qui occupait des locaux à usage commercial en qualité de locataire, prétendait avoir transféré la titularité du bail commercial en cours à la bénéficiaire de l’apport.
Le bailleur délivra à la société bénéficiaire un congé pour la date d’expiration du bail, contestant à cette société (qui n’était pas inscrite au registre du commerce et des sociétés pour les locaux concernés) l’application du statut des baux commerciaux, puis l’assigna aux fins d’expulsion.
Par un arrêt en date du 16 décembre 1999, la Cour d’appel de Douai jugea que la bénéficiaire de l’apport ne pouvait prétendre au renouvellement du bail, ordonna son expulsion et la condamna au paiement d’une indemnité d’occupation.
Au soutien de son pourvoi, la bénéficiaire de l’apport invoquait deux arguments, dont un seul mérite d’être relevé (le pourvoi est jugé irrecevable du chef du second argument, car nouveau et mélangé de fait et de droit). Elle prétendait que l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de l’apporteuse devait lui profiter, l’apport partiel d’actif emportant substitution de son bénéficiaire à l’apporteur dans l’intégralité des droits et obligations conférés par le bail apporté. Le moyen de cassation invoqué reposait notamment sur la violation de l’art. 35-1 du décret du 30 septembre 1953 (devenu l’art. L. 145-16 du Code de commerce), texte disposant que la société bénéficiaire d’un apport partiel d’actif (portant sur un bail commercial) est, nonobstant toute stipulation contraire, substituée à la société apporteuse dans tous les droits et obligations découlant du bail.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société bénéficiaire, la substitution intervenue du fait de l’apport partiel d’actif ne permettant pas pour autant à cette société de se prévaloir de l’immatriculation de la société apporteuse au registre du commerce et des sociétés. La société bénéficiaire de l’apport ne pouvait par conséquent prétendre à l’application du statut des baux commerciaux (et notamment au droit au renouvellement du bail). L’arrêt commenté relève que le texte dont la violation était invoquée par le pourvoi ne comportait à cet égard aucune dérogation au principe de l’obligation d’immatriculation au RCS, qui conditionne l’application du statut des baux commerciaux.
On savait déjà que les contrats conclus intuitu personae par une société absorbée n’étaient pas transmis à l’absorbante (Com., 30 mai 2000, Bull. IV, n° 113 ; Bull. Joly 2000, p. 841, note M.-L. Coquelet), solution transposable à l’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions. Si le contrat de bail commercial est quant à lui transmis à la société bénéficiaire de l’apport et ce nonobstant toute stipulation contraire, par application de l’art. L. 145-16 du Code de commerce, le bénéfice du droit au renouvellement du bail suppose que la société bénéficiaire soit inscrite au RCS pour les locaux concernés. Si l’effet de transmission universelle de patrimoine attaché à l’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions, comme aux scissions elles-mêmes et aux fusions (art. L. 236-1 et L. 236-3 du Code de commerce) justifie le transfert du contrat, il ressort de l’arrêt commenté que l’inscription au RCS constitue une sorte de « qualité personnelle », qui ne peut être transmise par l’apporteuse à la bénéficiaire.
Sur les deux moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 16
décembre 1999), que la société Camaïeu international, titulaire d'un bail
portant sur des locaux à usage commercial appartenant à la société civile
immobilière La Lilloise (société La Lilloise), a fait apport partiel d'actif,
en cours de bail, à la société Camaïeu Homme ; que la société La Lilloise a
fait délivrer à la société Camaïeu Homme un congé pour la date d'expiration du
bail comportant dénégation du statut des baux commerciaux au motif qu'elle
n'était pas inscrite au registre du commerce ; qu'elle l'a assignée en
expulsion ;
Attendu que la société Camaïeu Homme fait
grief à l'arrêt de dire que le preneur ne peut prétendre au renouvellement de
son bail et au paiement d'une indemnité d'éviction, d'ordonner son expulsion et
de le condamner au paiement d'une indemnité d'occupation alors, selon le
moyen :
1°
qu'en cas d'apport partiel d'actif, la société bénéficiaire est, nonobstant
toute stipulation contraire, substituée à celle au profit de laquelle le bail
était consenti, dans tous les droits et obligations découlant de ce bail ;
qu'ainsi, l'immatriculation au registre du commerce du précédent locataire doit
bénéficier au nouveau, sans que le bailleur puisse se prévaloir du défaut
d'immatriculation ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé
les articles 1 et 35-1 du décret du 30 septembre 1953 ;
2°
qu'un commerçant peut bénéficier de la protection statutaire du décret du 30
septembre 1953, à la seule condition d'être immatriculé personnellement au RCS,
l'article 1er de ce décret ne formulant aucune exigence de mention
de sa qualité de locataire d'un fonds secondaire, qu'en décidant le contraire,
bien que l'absence d'une mention obligatoire au RCS ne puisse emporter que son
inopposabilité aux tiers ignorant les faits et actes la justifiant, ce qui
n'était pas le cas en l'espèce, la cour d'appel a violé le texte précité ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté
qu'à la date de délivrance du congé la société Camaïeu Homme n'était pas
immatriculée au registre du commerce pour les locaux qu'elle exploitait rue de
Béthune à Lille, et ayant à bon droit relevé que cette société, substituée dans
les droits et obligations du bail à la société Camaïeu international à la suite
de l'opération de cession partielle d'actif à son bénéfice, ne pouvait se
prévaloir de l'immatriculation de la société Camaïeu International, l'article
35-1 du décret du 30 septembre 1953 ne comportant à cet égard aucune dérogation
au principe de l'obligation d'immatriculation du locataire qui conditionne
l'application du statut, la cour d'appel en a exactement déduit que la société
Camaïeu Homme était privée du droit au renouvellement du bail ainsi que du
droit au paiement d'une indemnité d'éviction ;
Attendu, d'autre part, que la société Camaïeu
Homme n'avait pas invoqué devant la cour d'appel l'absence d'exigence de la
mention de la qualité de locataire d'un fonds secondaire sur le registre du
commerce, le moyen, mélangé de fait et de droit, est de ce chef nouveau ;
D'où il suit que, pour partie irrecevable, le
moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
Plusieurs personnes physiques constituèrent, en 1994, une société civile immobilière ayant pour objet l’acquisition d’un terrain, ainsi que la construction et l’exploitation d’un abri de chasse sur ce terrain. Le contrat de société prévoyait que l’un des associés réaliserait un apport en numéraire plus important que les autres. Après avoir libéré son apport et effectué un versement en compte courant, cet associé assigna la société et les autres associés en libération de leurs apports et en communication des documents comptables.
Par un arrêt en date du 25 janvier 2000, la Cour d’appel de Caen jugea mal fondée la demande par laquelle l’associé sollicitait la condamnation de ses coassociés à libérer leurs apports en numéraire. Les magistrats caennais considérèrent semble-t-il que les dettes d’apport des associés avaient été éteintes par compensation avec les créances de ces associés sur la société, résultant de travaux effectués par eux pour le compte de la société.
L’associé débouté forma alors un pourvoi en cassation. Selon lui, les travaux effectués par ses coassociés auraient pu être considérés comme des apports en industrie. Par ailleurs, la compensation n’aurait pu jouer, les caractères certain, liquide et exigible des créances des associés sur la société n’ayant pas été relevés par la décision attaquée. Enfin, le demandeur au pourvoi invoquait la nécessité – imposée par les statuts – d’une délibération de l’assemblée générale devant déterminer la date de libération du non-versé.
La Cour de cassation juge nouveau et mélangé de fait et de droit, et par conséquent irrecevable, le moyen du pourvoi en ce qu’il conteste les caractères certain, liquide et exigible des créances des associés.
Elle juge le moyen mal fondé pour le surplus, par un raisonnement qui constitue le seul intérêt de l’arrêt.
La Cour de cassation relève que selon les constatations de la cour d’appel, les statuts prévoyaient que la libération du montant non versé des apports en numéraire devait intervenir « à première demande par l’assemblée générale », aucune « date limite » n’étant fixée. Les statuts stipulaient que les apports seraient faits en numéraire. Aucun apport en industrie n’était prévu. La décision attaquée avait relevé que le coût des travaux effectués par les associés devait être porté aux comptes courants des associés concernés, ces créances pouvant se compenser avec les dettes de libération des apports, dès lors que « le principe de la compensation entre comptes courants et apports en capital répondait à la situation admise dès l’origine par tous selon laquelle certains pouvaient participer financièrement et d’autres avaient du temps et des compétences pour faire les travaux ». La troisième Chambre civile juge que la cour d’appel a pu déduire de ces constatations que :
- le fait que le demandeur au pourvoi ait entièrement libéré son apport n’entraînait pas l’obligation pour les autres d’en faire autant ;
- les assemblées générales avaient « valablement opéré » la compensation entre dette de non-versé et créance du solde du compte courant pour certains associés et s’étaient réservé de le faire pour d’autres.
Des motifs justifiant le rejet du pourvoi, on comprend que les statuts auraient pu faire obstacle à la compensation entre la dette de non-versé et les soldes créditeurs des comptes courants des apporteurs. Il est vrai que même la compensation légale, qui intervient pourtant « de plein droit par la seule force de la loi », peut être contractuellement écartée par les parties (en ce sens, v. Req., 11 mai 1880, DP 1880, 1, p. 470). Bien que l’arrêt laisse entendre que ce soit là la conception de la Cour de cassation, il n’apparaît pas nécessaire que l’assemblée des associés doive intervenir pour « opérer » cette compensation. Le rôle de l’assemblée a pu toutefois consister, en l’espèce, à rendre exigible la dette de libération du non-versé de certains associés. L’exigibilité constitue, on le sait, l’une des conditions de la compensation légale (art. 1291, al. 1er du Code civil).
La Cour de cassation rejette le pourvoi parce que l’arrêt attaqué a suffisamment constaté que la compensation légale était intervenue. On peut toutefois s’inquiéter de l’absence de contrôle de la part de la société et de ses associés sur le jeu de la compensation, ou plus exactement, sur la mise en place des conditions de celle-ci. Il conviendra en effet qu’un contrôle strict soit exercé par la société et ses associés sur la naissance des créances susceptibles de se compenser avec les dettes d’apport de certains associés. Des travaux effectués par un associé peuvent faire naître une créance de celui-ci à l’égard du groupement, mais encore faut-il s’assurer que cette créance a véritablement une contrepartie. C’est là l’objet des procédures de contrôle des conventions intervenant entre la société et ses associés. Malheureusement, une telle procédure n’existe pas encore dans les sociétés civiles. La loi NRE du 15 mai 2001 a certes institué une procédure de contrôle par « l’organe délibérant » ou les « adhérents » des conventions conclues en présence d’un risque de conflit d’intérêts par les personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique, et donc par les sociétés civiles (nouvel art. L. 612-5 du Code de commerce). Mais ce dispositif, qui permet de faire peser sur le cocontractant de la personne morale les conséquences préjudiciables de la convention, ne concerne que les conventions conclues entre « la personne morale et l’un de ses administrateurs ou l’une des personnes assurant le rôle de mandataire social », ou entre la personne morale et une société dans laquelle l’administrateur ou le mandataire social aurait un rôle particulier (gérant, administrateur, directeur général, etc.) ou un intérêt certain (associé indéfiniment responsable, actionnaire disposant d’une fraction des droits de vote supérieure à 10%). La convention conclue entre la société civile et son associé n’est donc pas concernée par ce nouveau dispositif.
Sur les deux moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 25
janvier 2000), que le 24 février 1994, M. Delahaye, les époux Vesque, M. Cuoq
et Mme Petri-Benitte ont constitué la société civile immobilière du Postel (la
SCI) avec pour objet l'acquisition d'un terrain et la construction ainsi que
l'exploitation d'un abri de chasse ; que les apports en numéraire ont été
fixés à 96.000 francs pour M. Delahaye et à 60.000 francs pour les autres
associés et que le capital a été réparti en 3.360 parts ; que M. Delahaye
ayant libéré son apport et versé une somme en compte courant, a assigné la SCI
et les autres associés en libération de leurs apports, ainsi qu'en
communication des documents comptables ;
Attendu que M. Delahaye fait grief à l'arrêt
déclarant son action recevable, de rejeter la demande tendant à ce que Mme
Petri-Benitte, M. Cuoq, les époux Vesque soient condamnés à libérer leurs
apports en numéraire, alors, selon le moyen :
1°
que, faute d'avoir recherché si les parties n'avaient pas décidé que les
concours apportés par certains associés aux travaux devaient être considérés
comme des apports en industrie, et si cette décision excluait que ces concours
puissent faire l'objet d'une évaluation financière donnant lieu à inscription
d'une créance en compte courant, les juges du fond ont privé leur décision de base
légale au regard des articles 1134, 1291, 1843-2 et 1843-3 du Code civil ;
2°
qu'un apport en numéraire ne peut être considéré comme libéré par l'effet de la
compensation à raison de la créance en compte courant de l'associé débiteur de
l'apport que si la créance de cet associé est certaine, liquide et
exigible ; qu'en s'abstenant de rechercher si tel était le cas des
créances invoquées, par Mme Petri-Benitte, M. Cuoq, les époux Vesque, les juges
du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1843-2 et
1843-3 du Code civil, ensemble au regard de l'article 1291 du Code civil ;
3°
que dès lors que M. Delahaye contestait l'existence et en tout cas le montant
des créances invoquées par Mme PetriBenitte, M. Cuoq, les époux Vesque, les
juges du fond ne pouvaient retenir l'existence d'une compensation pour
considérer que le capital avait été libéré, sans s'expliquer sur la
contestation émise par M. Delahaye et que, faute de ce faire, ils ont de
nouveau privé leur décision de base légale au regard des articles 1843-2 et
1843-3 du Code civil, ensemble au regard de l'article 1291 du Code civil ;
4°
que, si les juges du fond ont indiqué qu'il appartenait à l'assemblée générale
de décider de la date de libération des apports en numéraire, ce motif est
inopérant s'agissant de Mme Petri-Benitte et de M. Cuoq ; qu'en effet, le
débat sur la date de libération des apports était sans objet, comme l'ont admis
les intéressés, eux-mêmes dans leurs propres conclusions, dès lors qu'ils ont
demandé à la cour d'appel de juger que les apports avaient été libérés ;
d'où il suit que le motif relatif à la date de libération des apports ne peut
restituer une base légale à l'arrêt attaqué au regard des articles 1843-2 et
1843-3 du Code civil ;
5°
que le motif de l'arrêt relatif à l'intervention d'une décision de l'assemblée
générale quant à la date à laquelle les apports en numéraire devaient être
libérés ne pouvait justifier légalement le rejet, s'agissant des sommes pour
lesquelles il a été admis que la compensation pourrait s'opérer ; qu'à cet
égard également, l'arrêt est privé de base légale au regard des articles 1134,
1291, 1843-2 et 1843-3 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que M. Delahaye
n'ayant, dans ses conclusions d'appel, contesté les créances invoquées par ses
associés qu'au soutien de sa demande de communication de documents comptables,
le moyen tiré de ce que les créances en cause n'étaient ni certaines, ni
liquides, ni exigibles est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de
droit ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que les
statuts de la SCI stipulaient que les apports seraient faits en numéraire, que
le surplus du capital non versé le jour de la signature serait libéré à
première demande par l'assemblée générale des associés, sans qu'une date limite
soit fixée et retenu que les statuts ne prévoyaient pas d'apports en industrie
et que ces derniers ne concourant pas à la formation du capital social, le coût
des travaux effectués par les associés devait être porté aux comptes courants des
associés concernés, lesquels pouvaient ensuite abandonner les montants en
compensation avec les apports en numéraire prévus dès que ces montants leur
étaient équivalents et que le principe de la compensation entre comptes
courants et apports en capital répondait à la situation admise dès l'origine
par tous selon laquelle certains pouvaient participer financièrement et
d'autres avaient du temps et des compétences pour faire les travaux, la cour
d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a pu en déduire que
le fait que M. Delahaye se soit totalement libéré de son apport n'entraînait
pas l'obligation pour les autres de se libérer de leurs parts, et que les
assemblées générales avaient valablement opéré cette compensation pour Mme
Petri-Benitte et M. Cuoq et s'étaient réservé de le faire pour les époux
Vesque ;
D'où il suit que, pour partie irrecevable, le
moyen n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
Deux sociétés avaient conclu un contrat de sous-traitance avec une autre, entrepreneur principal. Les sous-traitants avaient agi « conjointement », en « groupement momentané d’entreprises », l’un d’entre eux ayant été désigné comme mandataire commun. Le sous-traitant qui n’était pas mandataire commun adressa à l’entrepreneur principal deux factures ayant des dates de création et d’échéance et des numéros identiques, mais des montants différents (206.941,97 francs et 188.345,88 francs). Une cession de créance (soumise à la loi du 2 janvier 1981) intervint peu après au profit d’un établissement de crédit. Cette cession « Dailly » portait sur une créance d’un montant équivalent à l’une des factures adressées à l’entrepreneur principal. Celui-ci se vit notifier la cession, mais ne l’accepta pas. Sur émission d’une facture d’un montant égal à celui de la créance non cédée à l’établissement de crédit, l’entrepreneur principal paya le mandataire commun. Par la suite, le sous-traitant qui avait cédé sa créance à l’établissement de crédit lui adressa un « avoir » d’un montant correspondant à celui de la créance cédée, avant d’être mis en redressement judiciaire.
La banque cessionnaire assigna l’entrepreneur principal en paiement de la créance cédée. La Cour d’appel d’Orléans ayant rejeté sa demande par un arrêt en date du 11 septembre 1998, rendu sur renvoi après cassation, l’établissement de crédit forma un nouveau pourvoi en cassation.
La cour d’appel avait jugé que l’entrepreneur principal pouvait opposer au cessionnaire le contrat (qualifié semble-t-il de mandat d’intérêt commun) par lequel les sociétés participant au groupement d’entreprises s’étaient dotées d’un mandataire commun, contrat qui aurait interdit à la société cédante, membre dudit groupement, d’obtenir paiement de la créance cédée à la banque.
Le moyen du pourvoi, fondé sur l’art. 5 de la loi du 2 janvier 1981 (devenu l’art. L. 313-28 du Code monétaire et financier et relatif à la notification de la cession « Dailly ») et sur l’art. 1165 du Code civil (affirmant la règle de l’effet relatif des contrats), se voit opposer par la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi, une argumentation introduisant dans le débat la notion de société en participation.
La Chambre commerciale juge que l’entrepreneur principal peut opposer aux membres du groupement d’entreprises et aux cessionnaires de leurs droits la non-conformité de leurs prétentions à leur « pacte social » (en l’occurrence la désignation d’un mandataire commun), et ce jusqu’à la dissolution du groupement. Il faut toutefois que l’entrepreneur principal ait été informé de la création et de l’organisation du groupement. La Cour de cassation affirme incidemment qu’un groupement d’entreprises (c’est-à-dire la réunion d’entreprises devant coopérer pour la réalisation d’une tâche ou d’un ensemble de tâches déterminées) est constitutif, sauf stipulation contraire, d’une société en participation. La précision, formulée par l’arrêt, selon laquelle le groupement était créé et organisé pour la fourniture de prestations commandées par un débiteur et pour la perception du prix correspondant n’entre pas dans la règle posée par la Cour de cassation. Cette règle permettra de trancher de manière simple les litiges relatifs à la qualification des groupements d’entreprises. On peut toutefois émettre des critiques quant à la pertinence de cette affirmation et à son utilité.
Avant tout, l’arrêt prévoit que la stipulation contraire des parties permettra d’écarter le principe posé. Mais que faut-il entendre par là ? Si les parties constituent un groupement doté de la personnalité morale (société immatriculée, GIE), l’on sera indéniablement en présence d’une stipulation écartant la qualification de société en participation. En revanche, la clause par laquelle les parties affirment simplement qu’un groupement d’entreprises n’est pas une société en participation, clause utilisée par la pratique, ne saurait empêcher le juge de qualifier le groupement de société en participation (ou de société créée de fait), par application de l’art. 12 du Nouveau Code de procédure civile (al. 2 : « [le juge] doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée »). L’affirmation faite par la Chambre commerciale dans l’arrêt commenté permettra simplement aux juges du fond de se dispenser de rechercher la véritable nature d’un groupement d’entreprises. A défaut de stipulation contraire, celui-ci sera réputé être une société en participation.
On peut cependant se demander si la solution posée n’est pas excessivement simpliste, au vu de la grande diversité des groupements d’entreprises (sur ces groupements, v. not. J.-B. Auby et H. Périnet-Marquet, Droit de l’urbanisme et de la construction, 6ème éd., Montchrestien, 2001, n° 1137). Ceux-ci peuvent, comme d’autres réunions d’entreprises (pools bancaires par exemple), abriter une société en participation. Mais les groupements d’entreprises peuvent également être dépourvus des éléments constitutifs de la société : apports, intention de participer aux résultats du groupement et affectio societatis. La Cour de cassation entend-elle réellement que tout groupement d’entreprises reçoive application du régime juridique de la société en participation (sur ce régime, v. notre thèse, Les groupements dépourvus de personnalité juridique en droit privé, Paris X – Nanterre, 2001) ?
Indépendamment de la pertinence discutable de la règle affirmée par la Cour de cassation, il apparaît qu’elle sera plus utile dans le cadre des rapports entre membres du groupement que dans celui de leurs rapports avec les tiers.
Les membres du groupement pourront établir l’existence d’une société en participation en prouvant simplement qu’un groupement d’entreprises avait été constitué et qu’aucune clause contraire à la qualification de société non immatriculée n’avait été stipulée.
Certes, le tiers qui invoquera l’existence d’une société en participation pourra désormais se contenter de rapporter la preuve de l’existence d’un groupement d’entreprises. Mais la jurisprudence fait depuis longtemps déjà bénéficier d’une règle de faveur le tiers invoquant l’existence d’une société dans le silence des prétendus associés. La société invoquée dans cette hypothèse est une société créée de fait, soumise aux textes relatifs à la société en participation (art. 1873 du Code civil). Or la Cour de cassation permet aux tiers à cette société de faire simplement la démonstration de l’apparence d’une société (v. not. Com., 29 mars 1994, Bull. Joly 1994, p. 665, note J. Vallansan), et faire la preuve de l’apparence d’une société n’est sans doute pas beaucoup plus difficile que de démontrer l’existence d’un groupement d’entreprises.
On peut encore douter de l’utilité de la qualification de société en participation à la résolution du litige conclu par l’arrêt commenté. Le pourvoi formé par le banquier (cessionnaire de la créance commune aux « associés ») se voit rejeter en raison de l’opposabilité du « pacte social » aux associés participants et aux cessionnaires de leurs droits. Mais la solution aurait été identique si le débiteur cédé avait invoqué un contrat qui n’aurait pas reçu la qualification de société en participation.
Il convient toutefois de remarquer l’originalité de la décision commentée, qui, non contente d’introduire dans le débat une qualification qui semble-t-il n’était ni retenue par l’arrêt attaqué ni invoquée par le moyen du pourvoi, va jusqu’à relever la conformité de l’arrêt d’appel à l’art. 1872-1 du Code civil, texte intéressant la société en participation et qui n’était pas visé par le moyen du pourvoi !
Sur le moyen unique, pris en ses trois
branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 11
septembre 1998), rendu sur renvoi de cassation (Chambre commerciale, 3 janvier
1996, arrêt n° 52 D), qu'un contrat de sous-traitance a été conclu entre la
société GCL, entreprise principale, et les sociétés Trafitel et RTCS,
« agissant conjointement » en « groupement momentané
d'entreprises », la société Trafitel étant désignée comme mandataire
commun ; que la société RTCS a, le 20 mars 1990, établi, au nom de la
société GCL, deux factures portant le même numéro, ayant la même échéance au 30
mai 1990, mais différant par leurs montants, respectivement de 206.941,97
francs et de 188.345,88 francs ; que, le 22 mars, la créance de 206.941,97
francs a été cédée à la société Marseillaise de crédit, selon les modalités de
la loi du 2 janvier 1981 ; que, le même jour, cette cession a été notifiée
à la GCL, laquelle ne l'a pas acceptée ; qu'une autre facture de
188.345,88 francs a été émise le 31 mai 1990 par la société Trafitel, à
laquelle la société GCL en a payé le montant le 11 juillet ; que, le 10
octobre suivant, la société RTCS a adressé à la société Marseillaise de crédit
un avoir correspondant à la facture qu'elle lui avait cédée, en reconnaissant
qu'il y avait eu double emploi ; que la société RTCS a été mise en
redressement judiciaire le 29 octobre de la même année ; que la société
Marseillaise de crédit a demandé à la société GCL de lui payer la somme de 206
941,97 francs ;
Attendu que la société Marseillaise de crédit
fait grief à l'arrêt du rejet de sa demande, alors, selon le moyen :
1°
qu'une créance cédée par bordereau Dailly à un établissement de crédit qui a
notifié cette cession au cédé doit être réglée à l'établissement de crédit
cessionnaire et non au cédant ou au mandataire de celui-ci ; qu'en jugeant
que la société GCL pouvait valablement opposer à la société Marseillaise de
crédit, cessionnaire d'une créance professionnelle cédée par la société RTCS,
les stipulations d'un mandat selon lequel la société Trafitel était mandataire
d'un groupement d'entreprises constitué par elle et par la société RTCS qui
auraient interdit au cédant d'obtenir paiement de sa créance, la cour d'appel a
violé l'article 5 de la loi du 2 janvier 1981 ;
2°
qu'à le supposer établi, le prétendu mandat d'intérêt commun conclu au sein du
groupement d'entreprises, eût-il été exclusif, ne pouvait produire d'effets
qu'entre les parties à ce mandat et ne pouvait faire perdre à la société RTCS
sa qualité de créancier de la société GCL au titre des travaux qu'elle avait
exécutés au profit de cette dernière, pas plus qu'il ne pouvait l'empêcher d'en
demander à celui-ci le paiement du prix, en sorte qu'en décidant que
l'existence de ce mandat d'intérêt commun constituait une prétendue exception
que la société GCL aurait pu opposer à la société RTCS, pour en déduire que la
société GCL pouvait invoquer cette même exception à l'encontre de la banque
cessionnaire de la créance, la cour d'appel a violé le principe de l'effet
relatif des contrats et l'article 1165 du Code civil ;
3°
qu'il en est d'autant plus ainsi que la cour d'appel n'a aucunement caractérisé
quelles stipulations du mandat auraient permis de qualifier celui-ci comme
étant « d'intérêt commun » et auraient prétendument interdit à la
société RTCS d'obtenir elle-même paiement de sa créance sur la société GCL, et
a ainsi a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 5 de la
loi du 2 janvier 1981 ;
Mais attendu que dès lors qu'un débiteur est informé de la création et de l'organisation d'un groupement d'entreprises, constitutif, sauf stipulation contraire, d'une société en participation, pour la fourniture de prestations commandées par lui et pour la perception du prix correspondant, un gérant étant conventionnellement désigné comme mandataire social à cette fin, il peut opposer aux autres associés, ou aux cessionnaires de leurs droits, qui lui réclameraient le paiement de tout ou partie de la créance commune, la non-conformité de telles prétentions à leur pacte social, et ce jusqu'à la dissolution du groupement ; qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions soutenues en instance d'appel par la banque que la notification adressée par elle à la société GCL ait porté sur une quote-part déterminée revenant à la société RTCS, après établissement des comptes de dissolution du groupement établis en accord avec l'autre société participante ; que, dès lors, la cour d'appel a pu écarter les prétentions de la banque cessionnaire, sans priver sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen et de l'article 1872-1 du Code civil ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
Le compte courant d’une société civile immobilière étant devenu débiteur, l’établissement de crédit teneur de compte obtint la condamnation de la société au paiement de la dette, et fit inscrire une hypothèque de second rang sur un terrain appartenant à la société. La banque ayant estimé ne pas pouvoir obtenir satisfaction par la réalisation du bien hypothéqué, elle introduisit une instance à l’encontre de l’un des associés, aux fins d’obtenir le paiement d’une partie de la dette sociale.
Agissant par voie reconventionnelle, l’associé forma une demande de dommages-intérêts à l’encontre de la banque, à laquelle il reprochait d’avoir commis des fautes lors de l’ouverture du compte et au cours de la tenue de celui-ci, et de ne pas avoir exercé préalablement à sa mise en cause de vaines poursuites contre la personne morale.
La Cour d’appel de Paris ayant rejeté sa demande par un arrêt en date du 22 janvier 1999, l’associé forma un pourvoi, qui est partiellement accueilli par la Cour de cassation. Si celle-ci approuve la cour d’appel de n’avoir retenu aucune faute à la charge de la banque lors de l’ouverture et de la tenue du compte (question qui ne sera pas étudiée ici), elle accueille le pourvoi en ce qu’il reprochait à l’arrêt attaqué de ne pas avoir établi que des poursuites restées vaines avaient été exercées contre la société préalablement à l’action intentée contre l’associé.
L’action exercée par l’établissement de crédit à l’encontre de l’associé avait été jugée recevable par l’arrêt attaqué, qui avait retenu que la banque avait obtenu un jugement condamnant la société civile, avait inscrit une hypothèque de second rang sur un bien de la société, et produisait une lettre émanant d’un notaire qui faisait apparaître l’existence d’une inscription en premier rang sur ce même bien par un autre créancier.
La Chambre commerciale juge que la cour d’appel avait statué par des motifs impropres à établir l’existence de vaines poursuites préalables.
La cassation pour violation de l’art. 1858 du Code civil (aux termes duquel « les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ») apparaissait inévitable, dès lors que les éléments retenus par la cour d’appel ne faisaient aucunement ressortir en quoi les poursuites exercées contre la société avaient été vaines (sur la notion de vaines poursuites préalables, v. en dernier lieu J. Julien, Observations sur l’évolution jurisprudentielle du sort des associés dans la société civile, RTD com. 2001, p. 841, sp. n° 7 et 8). L’établissement de crédit n’invoquait pas une absence de paiement par la société, mais simplement la crainte de ne pas être payé, du fait qu’il n’avait qu’une hypothèque de second rang. Il n’apparaît pas que le paiement avait été sollicité autrement que par la demande ayant conduit au jugement portant condamnation de la société, dont on ne sait même pas s’il avait été notifié à celle-ci. Or la seule crainte de ne pas voir les poursuites aboutir à un paiement par la société débitrice ne permet pas de poursuivre ses associés !
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, dans la
perspective d'une opération de construction qu'il envisageait de réaliser, M.
Dos Santos Mota a constitué avec M. Sequeira Roque la société civile
immobilière du 124, rue Vaillant-Couturier à Alfortville (la SCI), dont le
capital de 1.000 francs était réparti par moitié entre les deux associés et
dont il a été nommé gérant ; que le compte qu'il avait fait ouvrir, au nom
de cette SCI, auprès de la société Caixa geral de depositos et qu'il faisait
fonctionner, étant devenu débiteur, l'établissement de crédit a obtenu la
condamnation de sa cliente à lui payer sa créance et fait inscrire une
hypothèque de second rang sur un terrain appartenant à celle-ci ;
qu'estimant cependant ne rien pouvoir espérer de la réalisation de ce bien,
elle a fait assigner M. Sequeira Roque, en sa qualité d'associé, pour qu'il
soit condamné à supporter la moitié du montant de cette condamnation ; que
ce dernier a reconventionnellement fait valoir que la société Caixa geral de
depositos avait engagé sa responsabilité pour les conditions dans lesquelles
elle avait ouvert le compte puis toléré le découvert et soutenu que celle-ci ne
justifiait pas avoir exercé préalablement à sa mise en cause de vaines
poursuites contre la personne morale ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux
branches :
Attendu que M. Sequeira Roque fait grief à
l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts, alors, selon le
moyen :
1° qu'il faisait valoir qu'une banque a l'obligation, avant d'ouvrir un compte courant, de procéder à des vérifications préalables, et qu'et: l'espèce, la banque n'avait pas recueilli d'informations suffisantes .sur la société avant de consentir l'ouverture du compte litigieux, et avait ainsi failli à son devoir de vigilance ; que la cour d'appel qui a pourtant constaté que l'adresse du siège .social de la SCI était fictive, n'a pas recherché si la banque n'avait pas engagé sa responsabilité en acceptant d'ouvrir un compte à la SCI sans avoir procédé à un minimum de recherches, en particulier sur la réalité de son siège social ; que ce faisant, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
2°
qu'il faisait valoir que la banque avait manqué à .ses obligations de
surveillance et de conseil en n'interrompant pas son concours avant que le
solde débiteur du compte de la SCI n'atteigne le montant de 133.000 francs, dès
lors qu'elle savait que le capital de la SCI ne s'élevait qu'à 1.000 francs et
qu'elle pouvait constater qu'aucune opération de crédit n'intervenait sur le
compte ; qu'en se bornant à rechercher si la banque devait ou non
s'immiscer dans la gestion de son client, sans rechercher si elle n'avait pas
engagé sa responsabilité en maintenant, dans les conditions susdites, une
ouverture de crédit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au
regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que le compte ouvert au nom de la société civile, mentionnait son numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ainsi que les références de la carte d'identité produite par le gérant ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations dont il se déduisait que la société Caixa geral de depositos avait effectué les diligences habituelles et nécessaires, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'elle n'avait pas commis de faute en ouvrant dans les conditions où elle l'avait fait le compte de la SCI à la demande de son représentant légal ;
Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel
relève encore que M. Sequeira Roque n'a pas contesté l'existence et le
caractère sérieux du projet immobilier auquel il apportait notamment le
bénéfice d'un permis de construire et d'une étude d'architecture, et ajoute que
les mouvements enregistrés sur le compte étaient modestes ; qu'en l'état
de ces éléments dont il ressortait d'abord, qu'eu égard à la nature de
l'opération qu'il s'agissait de financer, l'existence d'un découvert, n'était
pas à elle seule un motif d'alerte pour la société Caixa geral de depositos et
qu'en l'absence de tout élément lui donnant connaissance d'agissements
irréguliers et de toute anomalie apparente dans le mode de fonctionnement du
compte, celle-ci n'avait commis aucune faute en s'abstenant de toute
vérification de son fonctionnement, ensuite qu'il ne pouvait lui être reproché
d'avoir apporté à la SCI un concours dont rien ne démontrait qu'il ait été hors
de proportion avec les perspectives de rentabilité de l'opération, si elle
avait été menée à bien, la décision se trouve justifiée ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux
branches ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 1858 du Code civil ;
Attendu qu'aux termes de ce texte, les
créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un
associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne
morale ;
Attendu que pour déclarer la société Caixa
geral de depositos recevable à agir contre M. Sequeira Roque, associé de la
SCI, en paiement, à proportion de ses droits sociaux, d'une dette sociale,
l'arrêt retient qu'elle a obtenu un jugement condamnant la SCI, inscrit sur ses
biens une hypothèque de second rang, et qu'elle produit une correspondance d'un
notaire faisant apparaître l'existence d'une inscription d'un autre créancier
en premier rang sur les même biens ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs
impropres à établir que les poursuites diligentées préalablement contre la SCI
étaient, du fait de l'insuffisance du patrimoine social, privées de toute
efficacité, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions,
l'arrêt rendu le 22 janvier 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la
cour d'appel de Paris, autrement composée.
Quelques mois avant sa mise en redressement puis en liquidation judiciaire, un entrepreneur individuel avait constitué avec des membres de sa famille une société anonyme dont il était associé majoritaire et président du conseil d’administration et à laquelle il avait apporté un bien d’une valeur importante – une péniche. Le liquidateur judiciaire sollicita du président du tribunal de commerce la désignation d’un administrateur provisoire à la société anonyme (ceci aux fins d’obtenir la dissolution de la société).
Par un arrêt en date du 12 novembre 1997, la Cour d’appel de Besançon rejeta la demande du liquidateur, en la jugeant tout à la fois irrecevable et mal fondée.
Sur pourvoi formé par le liquidateur débouté, la Chambre commerciale de la Cour de cassation censure partiellement l’arrêt d’appel, la cassation intervenant sans renvoi. Le motif de censure de l’arrêt attaqué – la cour d’appel ne pouvait se prononcer sur le fond du litige après avoir déclaré irrecevable la demande du liquidateur – ne retiendra pas notre attention.
L’intérêt essentiel de l’arrêt est de préciser l’incidence du dessaisissement opéré par la liquidation judiciaire (art. 152 de la loi du 25 janvier 1985, devenu art. L. 622-9 du Code de commerce) sur les pouvoirs du dirigeant associé. La Chambre commerciale affirme que ce dessaisissement concerne les parts détenues par le débiteur dans le capital d’une société (et donc ses pouvoirs d’associé) mais ne le prive pas de ses fonctions de représentant légal de la société, solution qui s’explique sans doute par le caractère « non patrimonial » des pouvoirs conférés par le mandat social. Plus précisément, les pouvoirs que le dirigeant exerce dans la société et dans l’intérêt de celle-ci ne font pas partie de son patrimoine et ne sont donc pas appréhendés par le dessaisissement intervenant au profit du liquidateur.
L’emploi que la Cour de cassation fait de cette distinction dans l’arrêt commenté n’est cependant pas exempt de critiques.
Par un motif de pur droit, substitué à ceux de la cour d’appel (qui avait notamment déduit l’impossibilité d’une défaillance des organes de la société du fait que celle-ci n’avait pas commencé à exercer son activité), la Cour de cassation dote l’arrêt attaqué de motifs destinés à le mettre à l’abri de la cassation. De la distinction précédemment exposée entre pouvoirs d’associé et pouvoirs de dirigeant du débiteur dessaisi, la Chambre commerciale déduit que « le liquidateur, qui ne peut agir qu’au nom du débiteur actionnaire de la société, n’est pas recevable à demander la désignation d’un administrateur provisoire de la société au motif que son représentant légal est soumis à une procédure de liquidation judiciaire ».
Mais ce faisant, la Cour de cassation confond la question de la recevabilité de la demande et le fond du litige. En effet, si le liquidateur agit au nom du débiteur actionnaire, il est incontestablement recevable à demander la désignation d’un administrateur provisoire de la société, l’associé ayant tout à la fois intérêt et qualité à agir en désignation d’un administrateur provisoire (v. à ce sujet notre thèse, préc., n° 283 et les références citées). Mais la Cour de cassation n’apprécie pas tant la recevabilité de la demande que le caractère fondé de celle-ci. Elle juge que le liquidateur ne peut demander la désignation d’un administrateur provisoire à la société au motif que son représentant légal est soumis à une procédure de liquidation judiciaire. La Cour ayant précédemment affirmé que le dessaisissement ne portait pas sur les fonctions de représentant légal du débiteur, on comprend que la demande d’administration judiciaire ne saurait aboutir puisque la société n’étant pas dépourvue de représentant légal (celui-ci n’est pas dessaisi), elle n’a pas besoin de « l’organe de secours » que constitue l’administrateur provisoire. Toutefois, ce n’est plus là une question de recevabilité, mais une question touchant au fond du litige. Ainsi les motifs substitués par la Cour de cassation à ceux de la décision attaquée ne sont-ils pas eux-mêmes à l’abri de la critique !
Attendu, selon l'arrêt attaqué que M.
Meraihia, entrepreneur individuel, a été mis en redressement judiciaire, le 27
octobre 1992, puis en liquidation judiciaire le 8 décembre 1992, M. Masson
étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire ; que le 17 mai 1992,
M. Meraihia avait constitué avec des membres de sa famille une société anonyme
dénommée Sheitane (la société) dont il détenait presque l'intégralité du
capital, dont il était le président du conseil d'administration et à laquelle
il avait apporté une péniche évaluée à 470.000 francs ; que le liquidateur
a présenté une requête au président du tribunal de commerce en vue de la
désignation d'un administrateur provisoire de la société, avec pour mission, en
particulier, d'administrer la société ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux
premières branches :
Attendu que le liquidateur fait grief à
l'arrêt d'avoir écarté sa demande de désignation d'un administrateur provisoire
de la société alors, selon le moyen :
l°
que la demande tendant à la désignation d'un administrateur provisoire d'une
société dont le dirigeant et principal associé est, en tant que personne
physique ayant exercé une activité commerciale, en liquidation judiciaire
s'analyse en une action patrimoniale, en sorte que le liquidateur peut
l'exercer tant en sa qualité de représentant du débiteur, qui, à raison de son
dessaisissement, n'est plus en mesure d'assumer ses fonctions de mandataire
social, qu'en sa qualité de représentant des créanciers, chargé de la
sauvegarde de leurs intérêts et, partant, de la conservation du patrimoine du
débiteur qui est leur gage commun et dont font partie les actions détenues par
l'intéressé dans la personne morale ; qu'en décidant le contraire, la cour
d'appel a violé l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985 et l'article 875 dit
nouveau Code de procédure civile ;
2°
que le liquidateur faisait valoir, pour justifier de son intérêt à agir aux
fins de désignation d’un administrateur provisoire de la société dirigée par le
débiteur, en vue de réunir notamment une assemblée générale extraordinaire pour
statuer sur la dissolution de la personne morale et prendre toute mesure utile
dans l'intérêt des créanciers, que le débiteur, président-directeur général de
la société, en était l'actionnaire principal puisqu'il détenait, sur les 5 000
constituant le capital, 4 700 actions qu'il avait acquises en lui faisant
apport d'une péniche lui appartenant et ce pendant la période suspecte, que cet
apport avait pour objet et effet de faire sortir de son patrimoine un élément
de son actif sans contrepartie, que si en théorie le liquidateur avait la possibilité
de vendre les actions détenues par le débiteur, celles-ci ne pouvaient être
librement négociées en vertu des statuts de la société, que, d'ailleurs, aucun
acquéreur ne s'était manifesté quand il avait voulu les vendre, qu'il était
donc fondé à solliciter la désignation d'un administrateur provisoire chargé de
convoquer une assemblée générale extraordinaire pour statuer sur la dissolution
de la personne morale aux fins qu'il fût fait retour dans l'actif de la
procédure collective des droits et biens dont le débiteur était
titulaire ; qu'en retenant, pour à titre subsidiaire débouter le
liquidateur au fond, qu'à supposer que sa requête eût été recevable, elle était
mal fondée à défaut de tout intérêt, la société étant, selon l'extrait du
registre du commerce et des sociétés, pour l'instant simplement constituée et
inscrite mais expressément sans aucune activité ni exploitation, cette dernière
n'ayant jamais commencé, en sorte qu'il ne pouvait y avoir défaillance grave
des organes de gestion mettant en péril la société, sans répondre à ces
conclusions déterminantes qui, tout spécialement, insistaient sur le fait que
le débiteur avait transféré à la société sans activité un élément important de
son patrimoine qui devait être rapporté à l'actif de la liquidation judiciaire,
la cour d'appel a privé sa décision de tout motif, ne satisfaisant pas ainsi
aux prescriptions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le jugement de liquidation
judiciaire d'une personne physique emporte dessaisissement pour le débiteur de
l'administration et de la disposition de ses biens, notamment des parts dans le
capital d'une société mais ne le dessaisit pas de ses fonctions de représentant
légal de cette société ; qu'il en résulte que le liquidateur, qui ne peut
agir qu'au nom du débiteur actionnaire de la société, n'est pas recevable à
demander la désignation d’un administrateur provisoire de la société au motif
que son représentant légal est soumis à une procédure de liquidation
judiciaire ; que par ce motif de pur droit et abstraction faite des motifs
surabondants critiqués par la seconde branche du moyen, la décision se trouve
justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses
branches ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa troisième
branche :
Vu l'article 562 du nouveau Code de procédure
civile ;
Attendu qu'une cour d'appel, après avoir
déclaré irrecevable le recours exercé, ne peut se prononcer sur le fond du
litige ;
Attendu que l'arrêt déclare irrecevable la
requête du liquidateur en désignation d'un administrateur provisoire de la
société et, en tout état de cause, l'en déboute ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel
a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'en application de l'article 627,
alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, la cassation
encourue n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement dans sa
disposition qui déboute M. Jean-Claude Masson ès qualités de sa requête en
désignation d'un administrateur provisoire de la société Sheitane, l'arrêt
rendu le 12 novembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de
Besançon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.