Le groupe formé d'une SCI et d'une société commerciale

face à l'article 206-I-2 du Code général des impôts

 

 

 

Par

 

 

Frédéric Roger Dannenberger

 

 

 

 

 

Sous la direction de M. Quentin Urban

 

 

 

 

 

 

Présenté pour l'obtention du DEA droit des affaires année 2000/2001

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Faculté de droit, de gestion et de sciences politique

Robert Schuman, Strasbourg III

 

 

 

 

 

Sommaire :

 

 

 

 

 

 

 

Titre I : Commercialité de l'activité de la SCI au regard du droit fiscal

 

Chapitre I : La location immobilière commerciale selon l'article 34 du CGI

 

Chapitre II : La commercialité de l'activité de la SCI  fondée sur l'article 35 du CGI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Titre II : L'article 206-2 du CGI : ses suites et son contexte

 

Chapitre I : Les suites liées à la requalification de l'activité de la SCI

 

Chapitre II : L'article 206-2 du CGI replacé dans le droit fiscal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Principales abréviations :

 

 

CAA      è Cour administrative d'appel

 

ccl           è Conclusions

 

CGI         è Code général des impôts

 

CJCE      è Cour de justice des Communautés européennes

 

EURL     è Entreprise unipersonnelle à responsabilité limité

 

GIE         è Groupement d'intérêt économique

 

JCP         è La semaine juridique édition générale

 

JCPe       è La semaine juridique édition entreprise

 

JCPn       è La semaine juridique édition notariale

 

LPF         è Livre des procédures fiscales

 

SàRL      è Société à responsabilité limitée

 

SCI         è Société civile immobilière

 

TVA       è taxe sur la valeur ajoutée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

 

1.        Les groupes de sociétés sont une réalité économique bien qu'ils ne soient pas dotés de la personnalité juridique. Les groupes ne sont pas formellement appréhendés par le droit français sauf quelques dispositions propres à certaines branches du droit ; le plus souvent d'ailleurs c'est la jurisprudence qui en élabore la définition au gré de ses besoins. Il ne faut donc pas croire que ce phénomène est ignoré. En effet on peut voir diverses manifestations de ce qui reste un fait.

 

 

2.        Ainsi en droit fiscal est prévu un régime de consolidation des résultats mais la rigueur des conditions ne le réserve qu'à des structures de très grande taille ; en droit pénal la jurisprudence écarte sous certaines conditions la qualification d'abus de biens sociaux des lors que l'on se trouve dans le cadre d'un groupe. Tel est l'objet de la jurisprudence Willot puis Rozenblum.

 

Dans  l'arrêt Rozenblum rendu le 4 février 1985[1]  , la Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi jugé que  "pour échapper aux prévisions des articles 425, 4° et 437, 3° de la loi du 24 juillet 1966, le concours financier apporté par des dirigeants de droit ou de fait d'une société à une autre société d'un même groupe dans lequel ils sont intéressés directement ou indirectement, doit être motivé par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble du groupe, et ne doit ni être démuni de contrepartie ou rompre l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge".

 

 En droit social également, le groupe apparaît comme un facteur améliorant la représentation des salariés.

 

Le groupe apparaît ainsi comme une notion fonctionnelle ; explicative ou absolutoire selon la branche du droit en cause, la notion de groupe est empreinte d'une diversité d'appréhension de laquelle une constante ressort :  rendre effective, efficace et même simplement juste l'application des normes.

               

 

3.        L’existence du groupe engendre un paradoxe : il y a identification des différentes personnes morales en une unité, tout en admettant leur existence propre. La notion de groupe ébranle la cohérence formelle, afin d'adapter le droit aux réalités économiques. Ainsi on limite en fonction des besoins la personnalité morale. Un équilibre doit être élaboré entre l’indépendance des sociétés  et  leur union. Il y a là un aspect fonctionnel de la notion de groupe afin de permettre une application optimale des règles en cause ; on doit donc dépasser l’incohérence apparente de la jurisprudence appréhendant le groupe.

 

               

4.        Le groupe est formé de différentes entités juridiques liées entre elles par divers liens. Ces liens peuvent être de nature contractuelle. Dans ce cas les membres passent entre eux des accords pour réaliser un objectif commun. De ce point de vue une souplesse supplémentaire est possible car l'union permet d'associer des entreprises n'ayant pas une forme sociétaire. De plus, en vertu de la liberté contractuelle, les parties peuvent fixer comme elles le souhaitent leurs relations par accord entre elles (accord de coopération, accord de sous-traitance, location gérance groupement momentané d'entreprises). Par ce biais les entreprises concernées gardent plus d'indépendance, ce que recherchent souvent les dirigeants.

               

A un degré supérieur, entre les sociétés, le groupe se forme par des liens financiers. Dans ce cas M. Merle définit le groupe comme " un ensemble de sociétés qui, tout en conservant leur existence juridique propre, se trouvent liées les unes avec les autres, de sorte que l'une d'entre elle, la société mère, tient les autres sous sa dépendance, en fait ou en droit, et exerce un contrôle sur l'ensemble des sociétés dominées". Ici, les liens se réalisent donc par prises de participations ou de contrôle.

               

               

5.        En pratique, les groupes sont à l'image des sociétés qui les composent. On en trouve donc de gigantesques, avec des branches qui s'étalent à travers le monde ; par exemple la Compagnie financière Paribas, dans une note diffusée lors de sa privatisation, présentait un organigramme simplifié de sa composition au 30 juin 1986. On peut y dénombrer 25 entités, dont certaines partagées avec d'autres groupes, et implantés du Texas à la Polynésie[2]. On peut aisément imaginer le nombre de personnes liées à de telles structures.

               

Il en existe également de minuscules, limités à deux sociétés et où les personnes impliquées sont les membres d'une même famille souvent réunis avec peine, et au sein duquel les mêmes personnes se retrouvent dans chacune des structures. C'est une de ces structures que nous allons étudier bien que cela ne soit pas nécessairement le cas. En effet, une des structures utilisée dans le montage, la société civile immobilière (SCI), nous le verrons présente des qualités que même les grandes industries ne peuvent négliger. Mais des dangers y sont liés sur plusieurs plans.

 

 

6.        En effet, la forme sociétaire séduit de plus en plus de personnes se lançant dans les affaires. Classiquement, diverses qualités sont attribuées à la "mise en société" d'une exploitation. D'un point de vue financier, on constate qu'à plusieurs, il est possible de rassembler plus de moyens. Du point de vue de la gestion des risques, il est possible de dissocier l'exploitation du patrimoine personnel, ce qui revient à affecter un patrimoine à l'affaire (ce qui est un moyen de contourner la théorie de l'unité du patrimoine). Toutefois il faut remarquer que ce dernier point est théorique, car la pratique bancaire exige du dirigeant qu'il mette en jeu son patrimoine personnel, par un cautionnement notamment.

 

 

7.        Concernant le montage qui nous intéresse, celui-ci présente maints avantages. D'un point de vue pratique d'une part, il permet d'isoler les immeubles du fonds de commerce. Bien qu'il n'y ait pas de règle absolue, le Club fiscal des experts comptables conseille le plus souvent aux entreprises modestes d'isoler les immeubles de la structure d'exploitation. Ainsi, en cas de cession du fonds, le prix est diminué de la valeur des immeubles et dès lors celle-ci est facilitée. La solution peut également s'avérer avantageuse pour la question de la transmission aux héritiers.

 Par contre, tel n'est pas forcément le cas pour des structures plus importantes. Les immeubles inscrits au bilan seront alors une garantie supplémentaire.

 

 

8.        Plus spécialement, concernant la SCI, on lui attribut souvent de nombreux avantages, notamment celui de "transformer la pierre en papier".  

Elle est régie par les articles 1832 et suivant du Code civil pour le contrat de sociétés et par les articles 1845 à 1870-1 du Code civil pour son fonctionnement propre. Ces dispositions apparaissent peu contraignantes et laissent place à la liberté contractuelle des associés, voire à leur fantaisie. Ainsi placés, les immeubles se trouvent isolés du fonds de commerce. Donc le prix de fonds se trouvera allégé d'autant. L'exploitant, s'il souhaite se retirer des affaires pourra conserver un revenu relativement stable, s'il conserve la maîtrise de la SCI. Ensuite, concernant la gestion de ce patrimoine immobilier, la SCI a la caractéristique de transformer la pierre en papier[3]   , ainsi ce sont des droits sociaux que l'on manipulera à l'avenir.

 

Enfin, c'est également le régime fiscal de la SCI qui attire. M. Cozian parle du "charme discret des SCI". Celle-ci est soumise au régime des sociétés de personnes. Elle est dite semi-transparente ou translucide. Donc ce sont les associés qui sont directement imposés en proportion de leur participation dans la cédule correspondant à l'activité de la SCI, en l'occurrence les revenus fonciers.

 

 

9.        La SCI est donc perçue comme un bon instrument de gestion du patrimoine immobilier. Mais il n'en reste pas moins qu'elle reste une société. C'est un être juridique doté de la personnalité morale. En tant que telle, elle doit vivre sa vie. Pour ses "maîtres" il est nécessaire de ne pas l'employer à la légère, car si le montage SCI/société commerciale présente des avantages, comme tout montage juridique il présente une part de risques. Du côté des avantages, l'objectif est, soit de faire acquérir le local qui abritera l'exploitation par la SCI, à l'aide d'un crédit dont les annuités seront remboursées par le loyer perçu de la société d'exploitation.

 

L'avantage de la dissociation peut également résider dans des considérations fiscales, car on évitera l'imposition du retrait d'actif en cas de vente du fonds exploité dans une société d'exploitation soumise à l'impôt sur les sociétés. Les associés quant à eux bénéficient de l'isolement des actifs immobiliers, à l'abri des poursuites des créanciers de la société d'exploitation, et dans cette dernière, de la responsabilité limitée, car fréquemment celle-ci prendra la forme d'une SàRL ou d'une SA. D'ailleurs la pratique est courante ; le professeur Cozian relève que "dans le monde des affaires on n'aime pas mélanger l'immobilier et l'investissement d'exploitation"[4] .

 

 

10.     Dès lors pour un montage courant dans la vie des affaires, "classique"[5] pour certains auteurs, il peut être opportun de s'y intéresser. D'ailleurs on peut remarquer un engouement pour les structures sociétaires, au point que certains ironisent en disant que le moindre lopin de terre est prétexte à la création d'une société.

Or la manipulation de telles structures n'est pas affaire de néophyte. Les risques sont nombreux, car pour certains indélicats leur utilisation n'est pas innocente. La fraude est parfois la vraie motivation. Mais malheureusement, ceci conduit à généraliser la suspicion à tous les montages de ce type, au point que l'on a pu se demander si c'était là "un couple infernal"[6].

 

 

11.     Les risques liés au montage que nous nous proposons d'étudier sont nombreux, mais l'on se cantonnera à l'un d'entre eux spécifiquement, lié à une disposition du CGI critiquée par une éminente doctrine. On se contentera donc d'avoir un bref aperçu d'autres dangers.

 

Ainsi par exemple, en matière de procédures collectives, on peut observer que les juges du fonds portent une  attention particulière à ce type de montage. Il semble particulièrement exposé, lorsqu'une procédure collective est ouverte contre l'une des structures, à ce que la confusion de patrimoine ou la fictivité soit reconnue et justifie une extension de procédure. Deux critères ouvrent la voie d'une telle extension : celui de la confusion des patrimoines entre les deux structures, c'est-à-dire lorsqu'il y a une imbrication des éléments composant le patrimoine de chacune des sociétés ; le deuxième critère est la constatation de flux financiers  anormaux, qui avantage une des structures au détriment de l'autre. M. Tricot[7], exige même une "volonté systématique".

Mme Perrochon[8] note que les juges du fond l'admettent assez facilement en présence du montage SCI/société commerciale. Trop même. C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation est régulièrement contrainte de remettre les choses en place et d'imposer plus de rigueur dans l'utilisation des concepts. Le sens de ces arrêts est que le montage en question ne fonde pas de part sa seule existence une extension[9].

 

                En effet fréquemment, c'est sous la pression du représentant des créanciers et devant le désarroi des créanciers, que la procédure est incapable de désintéresser. Alors que les immeubles sont bien à l'abri dans le patrimoine de la SCI, les juges consulaires se laissent séduire par les notions de confusion de patrimoine et de fictivité. Le but étant d'augmenter le rendement des procédures collectives pour les créanciers. Cette réaction en appelle une autre de la part de la Cour de cassation, qui très attachée à la personnalité morale des sociétés, rappelle les limites de ces institutions.

 

 

12.     Dans une affaire jugée en 1998[10], M. D. avait créé une SàRL avec son épouse et deux associés. Il donne à celle-ci le fonds qu'il exploitait en location gérance. Il constitue avec la SàRL une SCI, qui acquiert l'immeuble abritant l'exploitation. L'extension de la procédure ouverte contre la SàRL est demandée contre M. D.  La haute juridiction coupe court à ces prétentions en rappelant les conditions requises pour fonder une telle solution. Concernant la confusion de patrimoine, elle pose que le fond étant exploité en location-gérance par la société d'exploitation, les flux financiers ne sont pas un critère, en l'absence de démonstration par le demandeur de leur anormalité. Seul le montant excessif des redevances au regard de la valeur du fond aurait pu justifier une extension.  Quant à la fictivité, il n'a pas été démontré, ni d'ailleurs allégué, qu'il n'y avait pas eut d'apport, ou l'absence de participation aux bénéfices et aux pertes, ou un défaut d'affectio societatis, en bref qu'un élément du contrat de société ait fait défaut.

 

 

13.     La doctrine dans son ensemble est très critique face à cette "quasi-présomption de fraude"[11], qui plane autour de ce montage. En outre, il faut bien dissocier ces deux notions, qui ne sont pas interchangeables, même si le résultat est similaire. La fictivité dénote une volonté de séparer artificiellement les patrimoines, alors que la confusion de patrimoine procède de la logique inverse, à savoir l'incapacité à respecter la séparation des patrimoines. De plus les effets ne sont pas semblables. Si les deux justifient une extension de patrimoine ; une partie de la doctrine[12] pense qu'en cas de confusion de patrimoine, des issues distinctes sont envisageables, car les deux personnalités morales subsistent contrairement au cas de fictivité.

 

Les arguments souvent relevés à l'appui d'une telle prétention, tiennent à la communauté d'intérêts qui règne entre les deux sociétés. Elles ont souvent les mêmes associés et dirigeants, et souvent l'unique ressource de la SCI provient des loyers perçus de la société d'exploitation. Mais ces arguments ne doivent pas être à aux seuls suffisants pour justifier une sanction. Fort heureusement la Cour de cassation  rappelle la validité de principe du montage[13].

 

Les seuls critères pertinents appelant une telle sanction sont en résumé les désordres régnant entre les sociétés, et les flux anormaux entre elles. Tel serait par exemple le cas, quand les facturations sont établies indifféremment pour l'une ou l'autre, ou lorsque l'une d'elles est "vampirisée" par l'autre, comme par exemple le paiement de travaux afférent aux locaux loués payés par la société locataire mais qui reviendraient à la SCI sans contrepartie.

 

En dehors de telles situations le montage ne doit pas être présumé frauduleux, ce qui du reste n'est qu'une application du principe en vertu duquel la bonne foi est présumée, et c'est au cas par cas que la situation doit être analysée.

 

 

14.     Organiser sa situation au mieux en utilisant toutes les potentialités offertes  par les outils juridiques dont on dispose, ne doit pas être vu comme une fraude en soi. L'habileté n'est pas la fraude, et le droit serait bien pauvre en l'absence de montages sophistiqués. Malheureusement, les montages qui relève de l'orfèvrerie juridique prêtent souvent le flanc à la suspicion (autre exemple les montages type LBO).

 

 

15.     Un autre danger est susceptible d'affecter le montage dont il est question. Comme on a déjà pu le constater, il y aune forte communauté d'intérêts au sein d'un tel groupe, donc il est probable que parfois des abus de biens sociaux soient commis. L'abus de bien social est un délit propre aux sociétés de capitaux. Il est incriminé aux articles L 242-6, 3° du Code de commerce pour les SA, et L 241-3, 4° du Code de commerce pour la SàRL. Ce délit est constitué lorsqu'un dirigeant fait de mauvaise foi un usage contraire à l'intérêt de la société des biens ou du crédit de celle-ci. Dans ce montage le risque est multilatéral si l'on ose dire.

Bien sûr, l'infraction ne se rencontre qu'au sein des sociétés commerciales soumises à la loi du 24 juillet 1966, donc  on peut penser qu'au plan de la SCI le risque est à éliminer. Mais la jurisprudence, utilise l'incrimination prévue à l'article 314-1 du nouveau Code pénal, à savoir celle d'abus de confiance. L'abus de confiance est le fait de détourner, au préjudice d'autrui, une chose préalablement remise, dans un cadre contractuel et à une fin précise. Par-là, la jurisprudence est amenée à assimiler la société à un mandant[14]. Le problème se pose notamment lorsque la société civile s'engage comme caution, soit pour la société commerciale soit pour un associé. Ce cautionnement est valable sous trois conditions : conformité à l'intérêt social, conformité à l'objet social, absence de fraude.

 

 

16.     Du côté de la société commerciale, ce sont les textes de la loi de 1966 qui trouvent à s'appliquer, avec la tolérance de l'arrêt Rozenblum, dont on a déjà fait état.

 

 

17.     Mais une question est plus épineuse. Il s'agit de savoir si le montage est intrinsèquement porteur des éléments constitutifs du délit. On a vu que dans le schéma idéal, le loyer servait à rembourser les annuités d'emprunt que supporte la SCI, pour l'achat du local. Or on peut penser que ceci peut être constitutif d'un abus des biens de la société locataire. Celle-ci paye un loyer qui sert à la SCI à financer ces immobilisations.

M. Ramackers se fonde sur un arrêt de la Cour d'appel de paris du 19 décembre 1991[15]. Il y voit une condamnation de ce montage et relève que :

 

"La cour de Paris considère par conséquent, et avec juste raison, que le dirigeant de la SA Erka international a fait d'un bien de cette société un usage contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, par l'intermédiaire d'une SCI dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement, en application de l'article 182-3° de la loi du 25 janvier 1985. La cour relève effectivement que l'acquisition d'un immeuble, qui aurait dû constituer un élément d'actif de la SA Erka international, par la SCI Montjoie, comme le paiement par la SA des loyers du bail commercial concédé par la SCI, et destinés en réalité à permettre le financement de cette acquisition, caractérisant le détournement d'un bien au profit exclusif de la SCI, et donc directement ou indirectement de l'associé majoritaire, dirigeant de fait de la SCI. En d'autres termes, resurgit en cette hypothèse la notion d'abus de biens sociaux, relevant des articles 425-4° et 437-3° de la loi du 24 juillet 1966, même si l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 n'exige pas la détermination de la mauvaise foi du dirigeant."

 

L'article L 624-5 du Code de commerce prévoit en effet une extension des procédures collectives à l'encontre des dirigeants avec mise en commun des passifs (mais cela reste une procédure distincte puisque le déroulement et l'issue reste propre), lorsque le dirigeant à commis certaines fautes dont notamment une dont la définition est identique à l'abus de biens sociaux, à savoir, avoir fait un usage des biens ou du crédit de la société contraire à l'intérêt de celle-ci, pour en favoriser une autre dans laquelle il a un intérêt.

Cependant on peut peut-être relativiser la portée de cet arrêt, où les faits étaient particuliers, qu'on en juge par un extrait de la motivation de l'arrêt :

 

"Que pour condamner l'appelant pour banqueroute pour détournement ou dissimulation d'actif et pour abus de bien social, par une décision qui a autorité de chose jugée erga omnes, le tribunal correctionnel de Meaux a retenu notamment que cette opération avait permis à M. Galle de détourner à son profit une partie de ce qui aurait dû être un des éléments de l'actif de la SA Erka international en faisant entrer dans une société dans laquelle il était avec sa famille le principal intéressé, un bien immobilier acquis à un prix considérablement inférieur à sa valeur réelle ; que par ailleurs, le bail commercial consenti à Erka international par la SCI Montjoie le 18 juillet 1988 constituait un montage formant indiscutablement un abus de bien social, les sommes payées à titre de loyer par Erka international étant finalement destinées à permettre largement le financement de l'acquisition d'un bien immeuble d'une valeur importante au profit exclusif de la SCI Montjoie et donc directement ou indirectement à M. Galle ; …"

 

En résumé, dans cette affaire, par le biais d'une opération de restructuration, le dirigeant de la SA avait fait racheter les immeubles appartenant à celle-ci par une SCI, dans laquelle il avait des intérêts. L'hypothèse est donc spécifique, et il ne faut peut-être pas y voir une condamnation de principe du montage, d'autant que la Chambre commerciale rappelle souvent que le fait que le loyer soit le seul revenu de la SCI ne suffit pas à faire voir le montage comme fictif.

 

 

18.     Mais nous allons en rester là avec la liste des problèmes que peut rencontrer un montage SCI/société commerciale, pour nous pencher sur une question de droit fiscal, qui elle aussi plane autour de ce type de montage. C'est cela même qui va nous occuper.

 

 

19.     Le droit fiscal est réputé peu accessible. On le dit souvent aride, ésotérique et instable, et, nécessitant des compétences techniques poussées. Bien que des progrès se réalisent dans les relations contribuable/administration, il reste en matière fiscal, quelques textes, dans notre paysage juridique, qui constituent des pierres d'achoppement pour les contribuables. Parmi ces dispositions on trouve l'article 206-I-2 du CGI. A  première vue il ne présente rien d'extraordinaire :

 

"Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations commerciales visées aux articles 34 et 35.

Toutefois, les sociétés civiles dont l'activité principale entre dans le champ d'application de l'article 63, peuvent bénéficier des dispositions de l'article 75 lorsqu'elles sont soumises à un régime réel d'imposition. Celles relevant du forfait prévu aux articles 64 à 65 A ne sont pas passibles de l'impôt visé au 1 lorsque les activités accessoires visées aux articles 34 et 35 qu'elles peuvent réaliser n'excèdent pas le seuil fixé à l'article 75 : les bénéfices résultant de ces activités sont alors déterminés et imposés d'après les règles qui leur sont propres"

 

Bien sûr la lisibilité n'est pas une qualité que l'on peut attribuer à cette disposition, opérant par de multiples renvois. Les "formes visées au 1" sont pour les personnes morales de droit privé, les SA, les sociétés en commandite par action et les SàRL n'ayant pas opté pour le régime des sociétés de personnes, enfin les coopératives et leurs unions. En bref les entités passibles de l'impôt sur les sociétés. La réserve qui est faite concerne les sociétés de construction-vente sur lesquelles nous reviendrons plus en détail. Enfin l'alinéa 2 vise les sociétés du secteur agricole qui bénéficient d'une tolérance légale.

 

Les opérations et activités de l'article 34 et 35 du CGI sont celles qui fixent le champ des bénéfices industriels et commerciaux, bref les activités commerciales au sens du droit fiscal.

 

 

20.     Cette disposition a des sources anciennes, dont on a peine à comprendre la ratio legis. La loi du 29 juin 1972, entendait instituer un impôt sur le revenu des valeurs mobilières. Mais face à son rejet devant l'Assemblée nationale, les revenus des valeurs mobilières sont simplement soumis à l'impôt sur les revenus.

La loi du 1er décembre 1875, pose diverses exonérations en faveur des revenus que les associés tirent des parts qu'ils détiennent dans des sociétés, dans lesquelles leur responsabilité est indéfinie. Ces exonérations sont limitativement réservées.

 

Sur la question les ouvrages de l'époque sont peu éclairant sur la raison de la non-inclusion des sociétés civiles au bénéfice de cette exonération. MM. Alix et Lecerclé[16], présentent l'impôt de la façon suivante dans leur ouvrage :

Ø       à la question "Quels sont les titres soumis à l'impôt ?", ils répondent, que les caractéristiques de l'élément imposable sont les bénéfices en réserve ou en capital, distribués aux porteurs de titres. Ils ajoutent que "L'impôt frappe les revenus ou  produits des titres émis par les collectivités publiques ou privées investies de la personnalité morale", ce qui va de soi car "pour qu'il puisse y avoir distribution de revenus, il faut que la personne qui distribue soit distincte de la personne qui reçoit"

 

Dans la partie qu'ils consacrent aux sociétés de personnes, ils observent que parmi elles, certaines sont expressément exonérées de cet impôt : "On s'est attaché, en effet, à exempter de l'impôt les revenus de l'activité personnelle des associés et qui récompense l'engagement indéfini de leur responsabilité. L'impôt créé par la loi est, en réalité un impôt sur les capitalistes ; il doit atteindre, en principe les bénéfices des placements et non ceux de l'activité industrielle ou commerciale"

 

Ainsi l'article 1er de la loi du 1er décembre 1875 exonère dans les SNC les parts de tous les associés, et dans les commandites par action, les parts des commandités, dans les SàRL les produits perçus par les associés gérant.

Par contre des sociétés civiles il n'est pas question. Les auteurs relèvent que "diverses raisons ont d'ailleurs empêché le législateur d'aller jusqu'au bout  dans la voie où il s'était engagé" et que "les sociétés civiles sont passibles, sans aucune restriction, de l'impôt sur tous les bénéfices des associés ainsi que sur les intérêts de tous les emprunts."

Enfin de façon plus générale étaient exonérées toutes les sociétés  n'ayant pas de caractère capitaliste.

 

 

21.     En 1948, date de naissance de l'impôt sur les sociétés, les sociétés civiles passibles de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières devaient se faire rares, car depuis une loi du 1 août 1893, faisant suite au scandale de la société interocéanique de Panama, les sociétés civiles ne peuvent plus librement faire appel public à l'épargne. Le décret du 9 décembre 1948, soumet donc à l'impôt sur les sociétés les sociétés prenant la forme d'une société de capitaux, ce qui n'est plus possible aux sociétés civiles depuis 1893, et celle ayant une activité commerciale.

La doctrine n'arrive pas à s'expliquer cette disposition concernant les sociétés civiles, l'exposé des motifs n'en faisant pas état.

 

Pour avoir quelques éclaircissements, nous avons entrepris plusieurs recherches.

Tout d'abord sur le site du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, sous la rubrique "contacts", nous avons posé une question, afin de savoir quelle justification peut être donnée à cette disposition. Voici la réponse obtenue :

 

"L'article 206-I-2 est issu du décret n°48-1986 du 9/12/1948 ;
il est justifié, à l'instar des associations de la loi de 1901 qui se
livrent à des activités lucratives, par la nécessité de ne pas entraîner
de distorsion de régime fiscal, selon la forme de l'organisme : société,
associations, SCI."
 

D'autre part nous nous sommes rapproché de M. Aloyse Warhouver, député de la Moselle, pour lui demander de poser une question écrite au sujet de l'article 206-2, ce qu'il a aimablement fait. Parue le 19 mars 2001 au JO, au numéro 59162, son libellé est le suivant :

 

"M. Aloyse Warhouver attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les dispositions encore en vigueur dans l'article 206-2 du Code général des impôts relatives à l'assujettissement des sociétés civiles à l'impôt sur les sociétés. Les critères de commercialité sont différents en droit fiscal et en droit privé. Avec l'article 206-2 du Code général des impôts, les sociétés civiles qui ont une activité commerciale au sens du droit fiscal sont redressées à l'impôt sur les sociétés dans les cas où elles n'auraient pas opté pour cet impôt. La plupart des acteurs économiques sont pour la suppression de l'article 206-2 parce qu'il était nécessaire en 1875 mais ne se justifie plus a priori. Il lui demande s'il envisage la suppression de cette disposition et, dans le cas contraire, quelles sont les justifications à son maintien."

 

La réponse s'est fait attendre, et il a fallu faire une relance, ce qui laisse imaginer l'embarras causé. Celle-ci a été donnée le 23 juillet 2001[17].

 

"Il n'est pas envisagé d'abroger les dispositions de l'article 206-2 du Code général des impôts, car cette mesure soulèverait, notamment en ce qui concerne les sociétés civiles qui comportent  un nombre important d'associés, plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait. Cela étant, afin d'éviter les conséquences excessives  que peut entraîner, dans certaines situations, la taxation à l'impôt sur les sociétés prévue à  l'article 206-2, il a tout d'abord été décidé que les sociétés civiles (n'ayant pas une activité agricole) ne seraient pas soumises à l'impôt sur les sociétés tant que le montant hors taxes de leurs recettes de nature commerciale n'excédaient  pas 10 % du montant de leurs recettes totales hors taxes. D'autre part, et pour limiter les conséquences d'un franchissement occasionnel de ce seuil de 10%, il est admis que la société ne soit pas effectivement soumise à l'impôt sur les sociétés  au titre de l'année du dépassement, si la moyenne des recettes, hors taxes, de nature commerciale réalisées au cours de l'année en cause et des trois années antérieures n'excède pas 10 % du montant des recettes totales hors taxes réalisées au cours de la même période. Bien entendu, s'agissant des sociétés créées depuis moins de quatre ans, cette moyenne est appréciée sur la période courue depuis la date de leur création. En outre, les sociétés civiles agricoles peuvent rattacher à leurs bénéfices agricoles le chiffre d'affaire tiré de leurs activités commerciales  accessoires lorsque l'ensemble des activités commerciales et non commerciales  accessoires n'excède ni 30 % du chiffre d'affaires de l'activité agricole, ni 200000 francs (CGI, art. 206-2 et 75). Enfin, certaines sociétés civiles sont exonérées d'impôt sur les sociétés lorsqu'elles fonctionnent conformément à leurs statuts. Il s'agit des sociétés civiles de construction-vente (CGI, art.239 ter), des sociétés civiles de moyen (CGI, art.239 quater A) et des sociétés civiles professionnelles (CGI, art. 8 ter). S'agissant de ces dernières sociétés pour leurs opérations de nature commerciale, des lors que leur activité libérale reste prépondérante et qu'elles respectent les conditions légales et réglementaires relatives à l'exercice  de la profession pour laquelle elles ont été constituées."

 

Voilà qui est donc clair quant à la question du maintient de cette disposition. Mais sur le point des justifications, la réponse laisse un peu plus perplexe. On verra dans un cas concernant  une société alsacienne, que le redressement opéré a provoqué la cessation des paiements de la société. Donc, si le risque d'ouverture d'une procédure collective n'est pas un problème, alors que l'on s'échine à trouver des solutions pour enrayer ce problème, et lorsque l'on voit des entreprises comme AOM-Air liberté ou Bata en faillite, on se demande quel problème d'un intérêt supérieur peut justifier ce risque supplémentaire. Il n'y a pas de petits moyens contre ce genre de problème. La législation de 1985 avait d'ailleurs employé les créanciers au redressement. La divergence dans les réponses laisse, elle aussi, songeur.

 

 

22.    Concernant la réponse donnée par les services du ministère, la réponse donnée semble a priori acceptable.

Il est vrai que les organismes sans but lucratif bénéficient d'un régime de faveur. L'impôt sur les sociétés qui leur est appliqué, l'est à taux réduit. Pour en bénéficier, plusieurs conditions sont requises : gestion désintéressée, pas de distribution à ces membres, ne pas entrer en concurrence avec le secteur commercial.

 

Mais le problème est différent. Dans cette hypothèse il y aurait vraiment distorsion de concurrence. D'ailleurs concernant ce secteur, son régime est très discuté à l'heure actuelle.

En effet, contrairement à une société civile, un organisme à but désintéressé, s'il entrait en concurrence avec une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun bénéficierait du taux réduit de l'impôt sur les sociétés prévu pour elle. La faveur serait évidente. Mais une société civile exerçant une activité dite commerciale, pour sa part ne serait pas en concurrence déloyale avec les entreprises passible de l'impôt sur les sociétés. Au lieu de supporter l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, elle supportera, par l'intermédiaire de ses associés, la tranche correspondante de l'impôt sur le revenu dans la cédule des bénéfices industriels et commerciaux, qui on le verra n'est pas avantageux par rapport à l'impôt sur les sociétés. Pas plus d'ailleurs que ne le serait celle des revenus fonciers. Mais en aucune façon elle ne bénéficierait d'un régime de faveur, comme cela serait le cas pour une association soumise au régime de faveur. Cette justification n'est donc pas convaincante. D'ailleurs c'est peut-être même le cas inverse. En effet l'impôt sur les sociétés demande une gestion et un suivi comptable plus lourd, et donc semble plus adapté aux grandes sociétés.

 

 

23.     Quant à la réponse à la question écrite, elle ne convainc pas du tout. Bien au contraire car en filigrane on peut y voir l'aveu de la nuisance de l'article 206-2 du CGI. Il est répondu que la suppression poserait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait, mais on a peine à comprendre ce que le nombre d'associés peut avoir comme espèce d'influence. Peut-être pense-t-on que dans l'hypothèse dans laquelle il y a un nombre important d'associés le calcul de l'impôt est plus simple, puisqu'il n'y aura qu'à le calculer selon le régime de l'impôt sur les sociétés, et non comme on le verra en vertu de l'article 238 bis K I, selon le régime de chaque catégorie d'imposition à laquelle appartiennent les associés.

 

 Mais ceci non plus n'est pas très convaincant. D'une part, si ceci se veut être une mesure de simplification, on peut rappeler qu'il existe une option possible pour l'impôt sur les sociétés, qui au demeurant est de plus en plus utilisée. Les associés ne sont donc pas "condamnés" à suivre le régime des sociétés de personnes qui peut se révéler être complexe à gérer, surtout lorsque le nombre d'associés appartenant à diverses catégories est grand. D'autre part, cela remet en question ce régime, qui s'il est adopté convient aux associés, aussi complexe soit-il.

 

De plus il nous semble douteux que l'on se préoccupe tant des difficultés pratiques rencontrées, et par ailleurs bon nombre de structures fonctionnent sous ce régime depuis longtemps. Enfin, pour les contribuables les moins chevronnés, l'article 206-2 est le plus souvent connu à l'occasion d'un redressement.

Non, en fait la suppression de l'article 206-2 supposerait, la suppression des différentes mesures de limitation de ces effets que l'on rappellera par ailleurs. A ce sujet, le nombre de ces dernières milite lui aussi pour la suppression de cette disposition. L'expression "conséquences excessives" apparaît comme un euphémisme, face à la batterie de moyens de limitation introduits, dont certains, on le verra, sont de plus illégaux.

 

Il apparaît donc que l'on soit bien conscient en haut lieu des inconvénients majeurs posés par le maintient de cette disposition. Mais, chose plus critiquable, que l'on verra dans le fameux exemple de la SCI alsacienne, des contrôleurs n'hésitent pas à dévoyer cette disposition, pour tenter de rapatrier des revenus exonérés sous le régime des revenus fonciers, mais qui seraient taxables si la société était soumise à l'impôt sur les sociétés.

 

Par ailleurs, cela suit la ligne que l'on évoquait plus haut, considérant ce type de montage suspect.

Il nous semble donc que les justifications au soutient du maintient de l'article 206-2 du CGI ne sont guère satisfaisantes et nous pensons que sa suppression doit être envisagée plus sérieusement.

 

 

24.     Ainsi il nous semble intéressant d'approfondir la question sur un point particulier. En effet, nous avons choisi de consacrer une large part de nos développements à la question de la location immobilière. Le tandem SCI/société commerciale servant de plus en plus à l'exploitation d'entreprises, même de taille modeste. La question trouve donc un intérêt pratique évident. Afin de traiter cette question nous sommes partis des rares études consacrées à l'étude de cette disposition. Si bien sûr, les structures gérant leur patrimoine immobilier ne sont pas les seules menacées, comme on le verra, elles nous sont apparues comme les plus exposées. D'une part, car dans leur cas l'article 206-2 du CGI s'applique grâce aux divergences existant entre le droit fiscal et le droit privé, quant à la définition des activités commerciales. D'autre part, car dans leur situation, les tolérances prévues pour limiter les "conséquences excessives", notamment la tolérance du dixième, sont dans la généralité des cas sans aide, car la seule activité de la SCI se trouvera être la location du local abritant l'exploitation de la société commerciale.

 

La principale difficulté est de rester concis et de ne pas trop se disperser, car comme on le verra si la proposition est simple de prime abord, elle fait appel à de multiples notions. Ainsi, soumise à l'impôt sur les sociétés si la location est fiscalement commerciale en vertu de l'article 206-2, les conséquences vont plus loin comme on aura l'occasion de le voir. Ce qui amène à faire état d'autre concept du droit fiscal, comme par exemple le régime des parts sociales de la SCI, ou encore le régime des distributions.

Sans prétendre à l'héxhaustivité, nous avons donc mis en relief les suites les plus évidentes d'un redressement à l'impôt sur les sociétés d'un SCI louant un immeuble à usage professionnel à une société commerciale, dont souvent les mêmes associés se retrouvent dans les deux structures.

 

 

25.     Pour ce faire nous avons simplement décidé de suivre le cheminement qui conduit à l'application de l'article 206-2. Celui-ci, en effet apparaît comme un mécanisme à doubles détentes.

Une première étape consiste à analyser la location et ses conditions, et de requalifier celle-ci en activité commerciale, au sens du droit fiscal bien sûr, car chemin faisant on relèvera les divergences existant par rapport au droit privé. Ensuite, c'est 206-2 lui-même que l'on envisagera, dans son application et dans son contexte qui est le droit fiscal.

 

Ainsi donc nous nous pencherons tout d'abord sur la question de la location immobilière en droit fiscal (Titre I), pour voir dans un deuxième temps l'article 206-2 en lui-même (Titre II).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Titre I : Commercialité de l'activité de la SCI au regard du droit fiscal

 

 

 

 

 

 

26.     A priori le droit fiscal doit être un outil appréhendant la matière imposable là où elle se trouve et comme elle s’y trouve. Ainsi pour déterminer si une activité est commerciale c'est vers le droit privé que l'on devrait se tourner, après quoi c'est le droit fiscal qui intervient pour imposer cette matière telle qu'elle a été définie.

 

                On peut donc penser que la qualification de la nature de l'activité de location immobilière est issue du droit privé et que c'est vers le Code civil et le Code de commerce qu'il faut se tourner.

 

 Du côté de l'article L110-1 du Code de commerce (ex article 632) on trouve la liste des actes réputés actes de commerce par la loi. Or nulle trace de location immobilière dans cette disposition. Seul l'entreprise de location mobilière y apparaît. Donc par une lecture a contrario de l'ex article 632 alinéa 5, est civile toute location immobilière. Bien qu'ayant perdu de sa "grandeur"[18] cet article reste la mesure de la commercialité.

               

 

27.     En effet dans son article, M. Calais-Auloy  qui expose la "décadence" de l'article 632 du Code de commerce, et ce notamment par l'institution de la commercialité par la forme, réserve le cas des sociétés qui voient leur commercialité déterminée par leur objet, c'est-à-dire celle non énumérées par la loi de 1966 et où l'article 632 du Code de commerce reste la mesure. Tel est le cas des sociétés en participation ou encore des sociétés créées de fait.

 

Mais en pratique le rapport objet/forme reste difficile, car toutes les conséquences de la forme commerciale ne sont pas tirées. Mais, allant dans notre sens, on notera que les cas où toutes les conséquences de la forme commerciale ne sont pas tirées concernent les activités où des immeubles sont en cause. En effet la présence d'immeubles empêche la contamination d'actes civils, par la forme commerciale de la structure d'accueil de l'activité. On a par contre des cas dans lesquels la forme  sociale créée un écran devant l'objet et ce spécialement lorsque la compétence des juridictions consulaires est en cause ; la forme l'emporte alors sur le fond.

 

Quand l'objet est civil, notamment pour les activités de location immobilière, la forme commerciale reste neutre. Ainsi par exemple, la Cour d'appel de Paris, le 14 novembre 1959, refuse le bénéfice de la propriété commerciale à une société anonyme, car elle n'accomplissait pas d'actes de commerce au sens des articles 632 (actuel L 110-1) et 633 (actuel L 110-2) du Code de commerce, et refuse ce qu'elle appelle une "commercialité par fiction". L'auteur perçoit d'ailleurs une volonté de sanction dans ces solutions et conclue que tant que l'article 632 restera tel quel, la forme commerciale ne peut absorber la nature civile de certaines activités qui restent rebelles à la commercialité comme la location immobilière.

               

Pour l'heure la location immobilière est incontestablement une activité civile en droit prive, puisqu'elle résiste même à l'attraction de la commercialité par la forme, du moins lorsqu'elle constitue l'objet principal.

 

               

28.     On peut ici faire une brève incursion par le droit des sociétés pour savoir quelles seraient les conséquences de l'exercice d'une activité commerciale par une société civile. Pour M.Cozian une société civile à objet commercial est "une hérésie vouée au bûcher juridique"[19]. Mais il ne s'explique pas plus.

En fait, la question n'est pas si aisée à trancher. La doctrine, classiquement affirme l'impossibilité d'une société civile à objet commercial. M. Chaput relève que la solution est traditionnelle et qu'elle semble si évidente que la plupart du temps on n'éprouve nullement le besoin de la justifier.

Or, dans le domaine des sociétés civiles comme dans celui des sociétés commerciales, les nullités sont régies par le principe "pas de nullité sans texte". L'article 1844-10 du Code civil renvoie aux articles dont la violation entraîne la nullité, hormis les causes de nullité des contrats, à savoir les articles 1832, 1832-1alinéa 1 et 1833. D'après ces dispositions rien n'interdit formellement à une société civile d'exercer une activité commerciale. Donc, par rigueur, hors des cas prévus, la nullité devrait être écartée.

 

M. Legros[20] s'interroge sur le point de savoir si l'on ne se base pas sur un principe général non écrit de droit des sociétés. Bien sûre, il n'élimine pas complètement la nullité, notamment en cas de fraude selon l'adage "fraus omnia corrumpit".

 

Pour cet auteur la société s'est plutôt transformée et devient une société créée de fait et la personne morale disparaît car il n'y a pas eu transformation régulière, à moins que les associés n'aient régularisé la situation avant l'aboutissement d'une action en nullité (1844-10 du Code civil). De cela il distingue plusieurs situations : coexistence d'une société civile et d'une société créée de fait si une seconde activité s'est ajoutée, dissolution si l'activité commerciale domine, car on peut alors considérer que l'objet est épuisé, transformation en société créée de fait commerciale. M. Legros suggère enfin de reconsidérer la solution de la société de fait pour permettre aux tiers de continuer à bénéficier de la personnalité morale.

 

 

29.     Mais nous nous sommes assez intéressés à cette question de droit des sociétés et il faut à présent revenir à notre sujet.

 

 En droit fiscal, le principe est également que la location immobilière est une activité civile par nature. L'article 34 du Code général des impôts qualifie de bénéfice industriel et commercial, le bénéfice provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale. L'article 35 du CGI, lui non plus ne fait pas état de la location immobilière comme opération industrielle ou commerciale, mis à part le cas de location de locaux équipés que nous étudierons plus loin.

 

Mais, le droit fiscal recèle des richesses qui permettent de faire d'une location immobilière une activité industrielle et commerciale à son sens. Dès lors, c'est l'article 206-2 du CGI qui entrera en scène. Celui-ci renvoie aux articles 34 et 35 dont nous venons de voir  qu'ils ne posent pas de problèmes à première vue. Mais du fait de l'interprétation jurisprudentielle, parfois surprenante comme nous le verrons, on découvre des activités commerciales là où on ne les attend pas.

 

Ces deux articles sont le siège de la définition du commerçant et des activités industrielles et commerciales au sens du CGI. Nous verrons plus loin quelles sont les particularités de cette définition par rapport à celle du Code de commerce (Titre II). Ces articles visent deux types d'activités. L'article 34 donne une définition générale des activités générant des bénéfices industriels et commerciaux, ce que le professeur Cozian dénomme  les vrais commerçants ou "commerçants par vocation". Quant à l'article 35, il dresse une liste de diverses opérations. Ce dernier article débute de plus, par la formule "Présente également…", ce qui laisse entendre que cette qualification n'est pas évidente a priori. Cette catégorie est surnommée celle des commerçants "par punition" par le professeur Cozian, qui relève que ceux-ci subissent une certaine discrimination par rapport aux premiers[21].

 

 

30.     Pour savoir dans quelle mesure l'activité de la SCI peut être perçue comme une activité commerciale, nous verrons d'abord comment une location immobilière peut devenir commerciale en vertu de l'article 34 du CGI (Ch. I), puis comme il se doit nous nous pencherons dans la même optique sur l'article 35 CGI (Ch. II).

 


 

 

 

 

Chapitre I : La location immobilière commerciale selon l'article 34 du CGI

 

 

 

                                                                                                                                                                                           

 

               

31.     L'appellation  "commercialité par ambiance", du professeur Cozian, peut surprendre par son imprécision et son caractère protéïforme. Mais malheureusement elle reflète exactement la réalité. Nous verrons que la situation est relativement incertaine sur certains points, et dès lors c'est la sécurité juridique qui en souffre. Dans les cas que nous allons étudier, nous allons voir que la location d'immeubles nus, du fait de situations particulières, se mue en une activité commerciale car elle révèle une intention spéculative aux yeux de l'administration fiscale.

 

                En effet, ici la spéculation naît de facteurs largement subjectifs, tenant au comportement des parties, au contrat de location, ou aux modalités d'exécution de celui-ci. Or le droit fiscal est, a priori destiné à appréhender la matière imposable là où elle est, et comme elle s'y trouve, et non de la transformer par l'effet de certaines particularités fiscales. Les règles envisageant les revenus des commerçants, au sens large, devraient s'en tenir aux commerçants tel que les envisage le Code de commerce, à tout le moins dès lors que rien n'y déroge. C'est là ce que d'aucuns considère comme autonomie ou réalisme du droit fiscal, question que nous aborderons plus loin.

 

 

32.     En outre dès lors qu'est introduite une dose de subjectivisme,  ce sont des questions de principes qui seront discutées à l'occasion d'un contrôle. Mais tel n'est pas le profil du vérificateur idéal pour M. le Directeur général des impôts, Philippe Rouvillois. Pour lui, le vérificateur idéal est non "pas celui qui cherche la question de principe extrêmement "pointue" qui lui permettra, à partir d'une donnée purement formelle, de faire un redressement même considérable ; c'est celui qui arrive effectivement à déceler la fraude véritable et chacun sait que celle-ci prend des formes de plus en plus élaborées". Il rejoint ainsi l'opinion d'un de ces prédécesseurs, M Lauré, qui mettait en garde contre le juridisme.

 

Dans cette démarche, les vérificateurs redressent sur des éléments déclarés spontanément par les contribuables et non sur les éléments cachés par les fraudeurs véritables. Or, force est de constater que dans les cas qui vont nous préoccuper ce ne sont pas des contribuables de mauvaise foi qui sont sanctionnés, mais ceux qui de bonne foi déclarent leurs revenus dans la catégorie des revenus fonciers, alors qu'en raison de ces fameuses questions de principes, ces revenus étaient des bénéfices industriels et commerciaux, avec toutes les suites attachées à l'article 206-2 du CGI que l'on verra. Tout au plus pourrait-on reprocher à ces contribuables, dans certains cas, d'être des "surdoués" de la fiscalité, victime de leur trop grande habileté et qui risquent souvent également les foudres de l'article L64 du LPF s'ils se laissent trop "débaucher" par leur adresse fiscale.

 

               

33.     Deux facteurs vont ici nous nous retenir. Ce sont eux qui créés cette subtile ambiance de commercialité. Dans un premier temps nous verrons le cas des opérateurs, taxés presque ostensiblement de fraudeurs, qui décident d'exploiter leur entreprise dans le cadre d'une société. La jurisprudence en question est relative à des personnes se contentant de garder l'immeuble dans leur patrimoine personnel, et est relative à la TVA due sur les loyers, mais elle est parfaitement transposable au cas où l'immeuble eut été apporté à une SCI. Dans ce cas outre la TVA, sera dû l'impôt sur les sociétés.

Dans cette jurisprudence, les modalités de l'opération  semblaient permettre de déceler une fraude et les revenus tirés de l'immeuble ont été requalifiés en bénéfices industriels et commerciaux. Donc dans le cas où une SCI aurait été impliquée, l'article 206-2 du CGI se serait abattu sur elle (Section I).

 

Ensuite, nous verrons la non moins étonnante notion de participation aux bénéfices ou à la gestion de la société locataire par le biais des clauses ou des modalités d'exécution du bail (Section II).

 

 

Section I : La commercialité de location immobilière tenant au changement dans les modalités de l'exploitation de l'entreprise

 

               

34.     Avant d'aller plus loin, il convient de préciser un point important. La jurisprudence que nous allons citer concerne essentiellement la soumission à la TVA. Cela ne nous éloigne cependant pas de notre propos. En effet, comme le rappelle souvent les divers commentaires et conclusions, les solutions sont transposables à la matière des bénéfices industriels et commerciaux, car de façon générale les champs BIC/TVA coïncident. On citera simplement M. Dufour qui résume parfaitement la situation dans ses conclusions sous l'arrêt Dupire du 1er Juillet 1964[22] :

 

" En résumé, toutes les activités donnant lieu à l'imposition sur les BIC peuvent justifier les    taxes, et les activités exclusives de l'impôt BIC ne peuvent en principe donner lieu aux taxes sur le chiffre d'affaires.

      Cependant les taxes peuvent frapper dans des circonstances définies des activités de caractère commercial, même si elles ne donnent pas lieu à l'assujettissement aux BIC"

 

               

Cela reste vrai de nos jours et les différences évoquées tiennent au caractère objectif de la TVA. Celle-ci frappe des opérations et son champ d'application s'apprécie opération par opération.

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35.     Ensuite en matière de location immobilière, cela est d'autant plus vrai, car d'une par comme nous le verrons, en cas de redressement de la SCI à l'impôt sur les sociétés, celle-ci l'est également au titre de la TVA ce que le professeur Cozian appelle d'ailleurs le "cortège apocalyptique de redressements". D'autre part, comme le souligne M. J.F. Verny, "la loi est venue consacrer en matière de TVA, l'état de la jurisprudence au moment où il se stabilisait", ensuite il relève "l'harmonie qui existe désormais entre les solutions jurisprudentielles, qui conservent leur application en matière d'impôt directe, et les dispositions législatives précises qui font application des mêmes règles en matière de TVA"[23].

 

               

36.     Pour en revenir au point qui nous occupe ici, cette conception, issue selon certains du réalisme du droit fiscal, tend à démasquer les véritables intentions des opérateurs que l'on croit dissimulées derrière un remaniement des conditions d'exploitation. En effet la situation que nous allons décrire est celle dans laquelle  un exploitant individuel scinde les éléments de son exploitation. D'une part, il fait apport de son fonds et des meubles nécessaires à son exploitation à une société commerciale. D'autre part, l'immeuble qui abritait ladite exploitation est, soit transféré dans le patrimoine privé de l'exploitant, soit apporté à une SCI. Enfin, l'immeuble est donné à bail à la société commerciale.

               

Pendant un temps cette opération présentait pour la jurisprudence un caractère largement artificiel, pour ne pas dire frauduleux, et donc le juge de l'impôt suivait l'administration qui considérait que l'opération ne lui était pas opposable. Donc on peut voir que c'est la théorie de la simulation qui est mise en œuvre et que l'administration se prévaut de l'acte secret qu'elle croit deviner. Mais nous verrons que cette conception artificielle tendant même à la "fiction", a été abandonnée suite aux critiques de différents Commissaires du gouvernement (§1).

                Mais qu'on ne s'y trompe pas, car malgré l'argumentaire développé et l'abandon de ce critère par la jurisprudence, celui semble toujours menaçant (§2)

 

§1 Un critère abandonné par la jurisprudence

 

               

37.     Nous nous proposons ici de retracer brièvement l'évolution de la jurisprudence sur ce point. Ainsi nous verrons d'abord la position qui avait court avant 1971 (A), puis l'évolution amorcée à compter de l'arrêt fondateur (B).

 

A. Position jurisprudentielle tenue jusqu'en 1971

 

38.     Nous allons tout d'abord retracer les principaux aspects du montage sur la sellette   (1), pour ensuite tenter de mettre en évidence ce que l'administration croit y déceler (2).

 

1.Présentation du montage litigieux

 

 

39.     Le cas type que réprouve l'administration se présente de la façon suivante.  Un commerçant exploite paisiblement son entreprise en nom. Un jour celui-ci décide de placer ce fonds dans une structure sociétaire. Dans plusieurs espèces on peut déceler la véritable motivation  sous-jacente amenant à cette opération. Il est parfois évident que celui-ci veut passer la main à ses héritiers et organise ainsi la passation de pouvoir.

 

C'est d'ailleurs bien là un des avantages traditionnellement reconnu aux sociétés et à la "mise en société" d'un fonds de commerce ou d'entreprise. En effet, grâce à cela l'exploitation pourra être transmise à tous les héritiers de façon égalitaire, ou au plus apte.

 

Mais généralement cette phase finale est précédée d'une phase de transition au cours de laquelle notre exploitant reçoit en échange de l'apport la quasi-totalité des parts ou actions de la société commerciale et s'en réserve la direction. Donc les futurs maîtres sont peu à peu acclimatés aux affaires.

Quant à l'immeuble qui abritait l'exploitation, selon les espèces, soit celui-ci est conservé par l'ancien exploitant, soit il est placé dans une seconde société. Bien évidemment un contrat de location sera conclu entre la société commerciale et le propriétaire de l'immeuble (notre commerçant ou la société à qui l'immeuble a été apporté).

Mais c'est cette concomitance, pourtant inévitable que condamne l'administration en y décelant une espèce d'évasion fiscale.

 

2.Une concomitance révélant une fraude à la loi ! ?

 

 

40.     Dans l'affaire Dupire[24], le mémoire de l'administration soutenait " que la location d'un local peut constituer une opération commerciale lorsqu'elle apparaît comme un procédé destiné à permettre d'assurer et de poursuivre  sous une modalité  différente l'exploitation d'un fonds de commerce ou d'industrie". Cette position se fonde sur un arrêt Mettetal du 28 mai 1945.

 

La jurisprudence avait donc tendance à suivre cette position, en relevant que cette connexité apport/location, démontrait l'intention d'exploiter sous une autre forme l'entreprise et dès lors rendait la location commerciale. Comme nous l'avons déjà vu, ici règne à tout le moins, une idée de simulation.

 

 

41.     Outre cette concomitance, la jurisprudence opérait encore des distinctions selon que le bailleur était une personne physique ou une personne morale. Dans le premier, cas la jurisprudence exige en outre, la participation majoritaire du bailleur au capital de la société locataire et à sa gestion. Un exemple peut être relevé dans ce sens dans l'arrêt Dupire.

En l'espèce le sieur Dupire fait apport de son fonds de tannerie  le 6 février 1931 à une SàRL ; il donne sa démission de gérant le 20 juillet 1945 et n'en détient plus la participation majoritaire depuis le 5 janvier 1944. De cela le Conseil d'Etat  déduit que la location ne peut être regardée comme la poursuite de son activité sous une forme juridique nouvelle, et dès lors confirme la décharge du redressement à la TVA.

 

D'aucun voit dans cette distinction un assouplissement, mais selon nous cela ne fait que conforter l'ambiance de fraude qui semblait régner dans les autres situations. On ne pouvait en l'espèce pas sérieusement soutenir que l'exploitant continuait à exploiter son fonds alors qu'il ne détient plus de participation majoritaire, et dès lors n'influe plus ou très peu sur les décisions sociales. Ce n'est là que l'application des règles de droit des sociétés, sauf à démontrer qu'il est en réalité dirigeant de fait, ce qui alourdirait plus encore le climat de suspicion.

 

 

42.     Cette branche de la jurisprudence s'expliquait selon le Commissaire du gouvernement Ducamin, dans ses conclusions sous l'arrêt Kilbourg du 28 mai 1962[25], par un souci d'éviter une fraude à la loi en matière d'impôts directs, notamment à l'article 35-5° du CGI, en dissociant la location de l'immeuble nu et l'apport du mobilier nécessaire à l'exploitation, et ainsi échapper à la qualification de location d'immeuble équipé ; en outre cela tendrait également à substituer la déduction d'un loyer comme charge à la place des amortissements de l'immeuble, et ce par société interposée. On peut voir dans l'exemple de l'arrêt Raphoz[26], qui fait suite au revirement que l'on va étudier, la motivation qui sous tend cette position. En fait, la ou les sociétés constituées sont considérées comme des fictions puisque l'on prétend que c'est toujours l'exploitant qui détient le fonds. Ceci est inexacte au regard du droit des sociétés, du moins aussi longtemps que n'est pas démontré la fictivité de la structure.

 

Dans cette espèce, une veuve avait constitué avec sa fille une SàRL, à laquelle elle avait apporté ses droits sur le fonds de commerce de son mari. Elle avait consenti à cette société un bail sur l'immeuble qui avait jusqu'alors abrité le fonds.

 Le Conseil d'Etat y voit "les deux aspects d'une même opération ayant pour but, selon des modalités juridiques nouvelles, la poursuite du patrimoine commercial détenu par l'intéressé".

Cependant cet arrêt reste intéressant, même s'il est à contre courant de la jurisprudence adoptée un an plus tôt, car il montre l'idée qui sous-tendait la solution antérieure. En effet, le fonds apporté n'appartient plus, a priori, à l'intéressé contrairement à ce que dit le Conseil d'Etat. Lorsque l'apport se fait en pleine propriété et que la société est régulièrement constituée, c'est cette même société qui en est propriétaire.

 

 

43.     Or il nous semble que cet argument de fraude à la loi est friable. En effet, la jurisprudence développée autour du siège de cette notion, à savoir l'article L 64 du LPF, est plus stricte que cela. Pour qu'il y ait fraude à la loi le but poursuivi doit être exclusivement fiscal, condition qu'on aurait sans nul doute du mal à démontrer dans ces cas. Dès lors que le contribuable peut apporter la preuve de motivation non fiscale, même si celles-ci s'ajoutent aux motivations fiscales, comme des intérêts juridiques, économiques ou familiaux, la fraude à la loi ne peut être retenue.

Ensuite si l'article traitant de la question est inapplicable, il ne faudrait pas chercher un palliatif par un autre biais.

 

Mais finalement, ce seront d'autres critiques qui feront céder cette jurisprudence, comme nous allons le voir à présent.

 

 

B. Une solution intenable

 

 

44.     Dans un premier temps nous donnerons un aperçu des critiques qui se sont élevées contre cette branche de la jurisprudence (1), puis nous verrons la position adoptée à la suite de l'arrêt inaugural (2).

 

1.Une solution jurisprudentielle critiquée

 

45.     Dans ses conclusions en 1964, le Commissaire du Gouvernement Dufour dresse un état de la jurisprudence en la matière et développe une critique de la branche que nous venons de voir. Selon lui, deux questions doivent être posées :

 

-          à quelles conditions un immeuble loué à usage industriel peut-il constituer un acte de commerce ?

 

-          l'appartenance antérieure dudit immeuble à un patrimoine commercial, pose-t-elle une présomption de commercialité de cette location ?

 

 

46.     A la première question, il répond que le caractère commercial ne doit découler que d'un mode de participation du bailleur à l'exploitation du locataire.

 

Concernant la seconde question, M. Dufour se fonde sur l'existence en droit fiscal d'un patrimoine professionnel ayant une personnalité distincte de son exploitant ; dès lors le retrait d'un élément de ce patrimoine entraîne une plus-value imposable. Il invite à rechercher, dans chaque espèce, les circonstances pouvant faire voir dans la location un mode de participation à l'exploitation du locataire sans que l'appartenance préalable de l'immeuble au patrimoine commercial n'influe sur la solution de façon déterminante.

 

 

47.     C'est l'affaire Labrunye qui donne l'occasion au Commissaire du Gouvernement Delmas-Marsalet de répondre à différents arguments avancés pour appuyer cette jurisprudence.

L'argument principal était celui tenant à l'évasion fiscale ainsi réalisée. Il remarque que les cas litigieux sont à l'extrême limite de la fraude. Mais, quand bien même il y aurait fraude celle-ci est minime, car les revenus en question sont simplement changés de cédule et imposés à un autre taux, mais restent imposés.

Mais le point le plus critiquable en la matière tient aux répercussions de cette jurisprudence en matière de taxes sur le chiffre d'affaires. Il met en relief, que par ces redressements l'administration créé de toute pièce de la matière imposable qui avant n'existait pas. En effet, le fisc lève plus d'impôt après qu'avant ; lorsque le fonds et l'immeuble étaient tous deux dans le même patrimoine, aucun loyer n'était perçu, mais une fois la scission opérée, le loyer à présent perçu devient taxable selon cette jurisprudence. Il invite donc le Conseil d'Etat à abandonner cette branche de sa jurisprudence.

 

 

48.     Dans ses conclusions sous l'arrêt Vernière du 13 mars 1974[27], M. le Commissaire du Gouvernement Mandelkern prend note du revirement opéré en 1971 et précise que cette connexité ne doit pas être déterminante et ne peut que "colorer" une situation, en faisant figure d'indice tout au plus. C'est la location qui doit être appréciée, et ce en raison du caractère objectif des taxes sur le chiffre d'affaires.

 

Certains commentaires relèvent que cette jurisprudence allait au-delà de son objectif en cette matière. Elle est enfin critiquée au regard de la jurisprudence du Conseil d'Etat  du 25 mai 1967. Celle-ci admettait qu'un contribuable puisse par une décision de gestion, transférer l'immeuble affecté à l'exploitation du patrimoine professionnel,  à son patrimoine privé. Donc par-là il était admis que l'opérateur puisse distraire des revenus d'une cédule pour la placer dans une autre[28].

 

Face à ces critiques le Conseil d'Etat commence donc à modifier sa position à partir de 1971.

  

 

2.Position nouvelle de la jurisprudence

 

49.     Le premier arrêt de la série est l'arrêt Labrunye du 4 mars 1971. En l'espèce, le sieur Labrunye transfère, du patrimoine commercial vers son patrimoine privé, l'immeuble qui abritait l'exploitation. Le Conseil d'Etat relève que bien que le sieur Labrunye détienne la majorité du capital et en assure la direction, et qu'un bail ait été conclu le jour du transfère entre lui et la société commerciale, le loyer est normal et aucune clause du contrat ne l'associe à la gestion ou aux résultats de la société locataire.

Autant d'éléments qui auparavant auraient permis de requalifier cette location en location commerciale, font ici dire au Conseil d'Etat que cette location est civile.

 

 

50.     Le revirement est donc net. Toutefois, à cette date la jurisprudence n'est pas totalement fixée. En effet, jusqu'en 1975 on peut encore trouver des arrêts en sens contraire. Ainsi, à titre d'exemple on peut citer l'arrêt Raphoz[29], dont on a déjà fait état plus haut, qui l'année suivante adopte la solution antérieure pour des faits semblables, mis à part le fait que l'arrêt retient également que le bail contenait une clause de maintient de l'affectation des locaux à un commerce identique. Mais il semble douteux que de ce seul fait la qualification de la location ait pu dégénérer. On a donc du mal à savoir ce qui motive cet arrêt, car une telle clause ne fait pas participer le bailleur aux résultats ou à la gestion de l'entreprise exploitante. Nous n'osons même pas penser qu'il est considéré qu'une telle clause puisse être perçue comme imposant son objet à la société locataire. On va donc la considérer comme une erreur de parcours, si l'on peut dire.

 

 

51.     On peut encore relever l'une ou l'autre décision en porte-à-faux avec cette nouvelle position. Mais dès 1975 elle semble définitivement abandonnée. On citera un arrêt de la Cour administrative de Bordeaux en date du 29 juin 1994[30], comme exemple à rebours. En l'espèce M. Odin, exploitait un commerce qu'il apporte en mai 1986, à une SàRL qu'il a constitué. Il conserve l'immeuble qu'il donne à bail à la société. La cour relève qu'aucune clause ne faisait participer M. Odin à la gestion ou à l'exploitation. Sa situation d'associé majoritaire n'a aucune influence sur ce point, et donc la location présentait un caractère civil.

Solution que justement le contribuable espérait ne pas voir adoptée. En l'espèce le contribuable espérait faire reconnaître le caractère commercial de cette location, en invoquant la jurisprudence antérieure, afin d'échapper à la taxation de la plus-value résultant du transfert dans son patrimoine privé de l'immeuble qui jusque là était un actif professionnel. Mais rien n'y fait, et cette taxation de la plus-value professionnelle est confirmée.

 

 

52.     Donc on peut légitimement croire que cette jurisprudence est abandonnée et que les contribuables peuvent désormais gérer la structure de leur exploitation comme bon leur semble et adopter la forme d'exploitation qui leur semble convenir le mieux à leur situation. Mais ce critère délaissé d'un côté semble être réapparu d'un autre, c'est ce que nous nous allons voir à présent.

 

 

§2 Un critère toujours menaçant

 

               

53.     Dans un premier temps, nous verrons rapidement que l'administration ne se laisse pas déborder par une jurisprudence qui lui est défavorable (A) en faisant une brève incursion dans le domaine de l'application des lois fiscales, après quoi nous verrons que ce critère trouve désormais une assise textuelle (B).

 

A. Aperçu des réactions de l'administration face à une jurisprudence défavorable

 

               

54.     L'administration a pris l'habitude de ne pas rester sur sa fin quand une solution ne lui convient pas. Alors qu'elle avait élaboré "la théorie des locations, qui, par nature civile, deviennent commerciales par ambiance"[31], voilà, comme nous venons de le voir que la jurisprudence abandonne ce critère.

 

                De façon plus générale, on peut ici faire une sommaire incursion dans la problématique de la sécurité juridique à l'épreuve des textes fiscaux.  C'est là tout le problème des différents textes fiscaux rétroactifs, des validations législatives et des lois dites interprétatives, qui parfois n'en ont que le nom, et que l'administration obtient par le biais de son ministère.

 

               

55.     Le sujet est source de vifs débats. En effet par certains aspects cette insécurité peut se justifier et c'est dans ce sens que s'oriente en substance la jurisprudence qui tend à encadrer cette pratique. Dans les décisions tant au plan interne qu'au plan communautaire, le critère qui permet une telle pratique tient à une impérieuse nécessité. Mais il faut remarquer que le procédé est intrinsèquement discutable, puisque ce faisant, l'administration fait poser les règles après coup. Les opérateurs ont donc élaboré leurs opérations sur la foi de positions remises en cause par la suite. Cela est d'autant plus irritant, que souvent de telles dispositions sont artificiellement camouflées sous le couvert de l'interprétation d'une disposition préexistante, dont on n'avait pas anticipé les potentialités ou les faiblesses.

 

               

56.     Plus proche de notre problème, est celui des lois dites de validation. Par de telles dispositions l'administration fait valider un acte à la légalité douteuse, susceptible d'être remis en cause ou qui l'a même déjà été dans certaines espèces  Elles se définissent comme suit :

 

"Intervention du législateur en forme de loi destinée, à titre rétroactif ou préventif, à valider de manière expresse ou implicite un acte administratif annulable ou pouvant l'être"[32].

 

De telles dispositions sont tout à fait critiquables. Elles méconnaissent non seulement la sécurité juridique, mais également, on peut dire qu'elle met à mal la séparation des pouvoirs.

                Les conditions semblent réunies. Nous allons à présent voir que par ce biais a été réintroduit ce critère dans l'ordre juridique. Par la transposition de la directive TVA réapparaît le critère de la continuation de l'exploitation sous une autre forme. Mais à notre connaissance la jurisprudence ne fait pas état d'un tel contentieux.

 

 

B. Consécration législative du critère de concomitance

 

               

57.     C'est bien ce que M. Cozian laisse entendre lorsqu'il dit que "l'administration a voulu cristalliser les solutions jurisprudentielles lors de l'adaptation à la sixième directive de notre législation à la TVA"[33].

Ainsi l'article 261-D issu de la loi du 29 décembre 1978 énonce :

                              

"Sont exonérées de la TVA :

                               ….

2° Les locations de terrain non aménagés et de locaux nus, à l'exception des emplacements pour  le stationnement des véhicules. Toutefois, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque les   locations constituent pour le bailleur un moyen de poursuivre, sous une autre forme,   l'exploitation  d'un actif commercial …" 

 

                On peut immédiatement remarquer, sur un plan purement matériel, le manque de lisibilité de cette disposition. Celle-ci se présente comme une exception à une exception ! D'ailleurs il en est de même pour les autres critères de commercialité par ambiance qui se retrouvent concentrés dans cet article.

 

                 

58.     L'article reprend au mot les solutions que la jurisprudence avait adoptées avant 1971 (et pour quelques décisions encore peu après). Le professeur Cozian dénonçait, dès 1979, le vague de l'énoncé appelant une appréciation subjective. Or c'était précisément le reproche majeur que faisaient les Commissaires du Gouvernement à cette branche de la jurisprudence, et qui à conduit le Conseil d'Etat a abandonner cette voie. Une telle appréciation semblait peu compatible avec le caractère objectif des taxes sur le chiffre d'affaires, qui sont un impôt objectif. Cela avait même poussé l'un d'eux, il est vrai à contrecœur, à inviter le Conseil d'Etat à appliquer un traitement différent sur ce point au titre des taxes sur le chiffre d'affaires et au titre des impôts directs[34].

 

               

59.     Ainsi évacué par la porte, le critère de connexité revient par la fenêtre. Toutefois, le Conseil d'Etat semble garder sa ligne jurisprudentielle. On verra dans ce sens l'arrêt Odin dans lequel ce critère aurait pu s'appliquer[35], mais ne l'a pas été, bien que cela eût profité au contribuable. De plus, un autre facteur semble à l'origine du peu de décisions sur la question. Ceci tient aux motivations sous-jacentes de l'administration, qui use de l'article 206-2 du CGI dans des desseins autres. En effet, cette disposition tend moins à déceler les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés en raison de leur activité, que de servir d'instrument pour atteindre des sommes intouchables.

 

               

60.     Pour en finir avec ces "critères brumeux"[36] de commercialité par ambiance, il nous reste à présent à nous pencher sur la commercialité de la location tenant aux clauses, voir à l'exécution du contrat de location, permettant d'y voir une participation du bailleur aux résultats ou à la gestion de l'entreprise locataire. Ce qui au sens des critiques dirigées contre la solution tenant aux changements dans les modalités d'exploitation et de la  nouvelle jurisprudence du Conseil d'Etat, doit être le seul critère déterminant.


Section II Commercialité due à la participation du bailleur aux résultats ou à la gestion de l'entreprise locataire

 

               

61.     C'est là une autre manifestation de "commercialité par ambiance", la seule qui devrait subsister après l'arrêt Labrunye ; nous nous proposons ici de voir dans quelle mesure des clauses du bail peuvent rendre la location commerciale au sens du droit fiscal.

Les clauses en question sont d'anodines clauses d'indexation.

L'indexation se définit comme "une modalité imprimée à une obligation de somme d'argent par convention, par décision de justice ou par la loi, qui tend à faire varier le montant de cette obligation en fonction d'un élément objectif de référence appelé indice"[37].

               

Ces clauses tendent donc à imprimer un certain dynamisme à une obligation dont l'exécution se prolonge dans le temps. Traditionnellement, elles sont présentées comme un  moyen conventionnel de parer à la jurisprudence de droit privé Canal de Craponne, qui rejette  la théorie de l'imprévision.

               

Elles sont assez strictement encadrées par l'Ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958, qui posent des conditions à leur validité. En effet, destinées à lutter contre l'érosion monétaire, elles portent en elles un risque d'inflation par une sorte d'effet de domino. En la matière, trouve également à s'appliquer la réglementation sur les baux commerciaux édictée par le décret du 30 septembre 1953, sauf si certains types de clauses exprimant la volonté de déroger à certaines dispositions de cette réglementation, sont insérées dans le contrat.

               

 

62.     On peut en dénombrer une grande variété : clause se référant à un indice, clause dite de recette qui sont de véritables indexations interne car faisant varier le loyer en fonction des résultats du locataire. Connaissent notamment un certain succès les loyers variables articulés, comportant une partie fixe et une partie variable.

               

Ces clauses se sont développées car, même la réglementation sur les baux commerciaux prévoyant une révision triennale, sauf modification notable des facteurs locaux de commercialité, laissait une trop grande période de fixité du loyer.

               

Il faut toutefois observer que la Cour de cassation écarte la réglementation sur les baux commerciaux touchant à la fixation du loyer en présence d'une clause de recette[38]. Mais en droit privé une telle clause n'est pas susceptible de rendre une location commerciale. Bien qu'à l'évidence elle procure un certain intéressement à l'activité du locataire, ceci n'en fait toutefois pas une activité commerciale.

               

 

63.     Il n'en est bien entendu pas de même en droit fiscal, pour lequel une telle clause créée cette ambiance de commercialité fatale aux SCI. Y est détectée une intention spéculative du bailleur, suffisante pour en faire une activité à part entière. La jurisprudence les fonde sur l'article 34 du CGI qui traite des activités commerciales. Le droit fiscal semble ici se contenter de ce critère pour voir dans la location un acte de commerce. Ceci nous semble une lecture très libre de cet article. Or, on peut rappeler qu'en droit privé, l'intention spéculative si elle est nécessaire n'est pas suffisante, et appelle d'autres critères ; ainsi "l'acte doit s'inscrire dans le cadre d'une structure d'entreprise et constituer un maillon intermédiaire dans la circulation et l'entremise des richesses"[39]. Il faut reconnaître que par une telle analyse, en droit fiscal, la différence entre gestion optimum de son patrimoine immobilier et spéculation est ténue.

                              

               

64.     On peut ici distinguer deux hypothèses. D'une part, il est des clauses suffisantes à elle seules à rendre la location immobilière commerciale (§1) ; d'autres clauses appellent une convergence d'indices (§2). En effet, ces situations  se fondent moins sur une idée de fraude, comme c’est le cas des l'hypothèses fondées sur le critère de concomitance entre l'apport et la location. Ici du fait de la présence de ces clauses, la location se teinte d'une intention spéculative posant, on le verra, l'hypothèse d'une véritable société de fait.

 

§1 Clauses permettant la qualification commerciale de la location de par leur seule présence dans le contrat

 

 

65.     Dans cette hypothèse, il n'y a pas lieu de s'étendre longuement. La cause est entendue et la jurisprudence est constante sur ce point depuis un certain temps. On peut, à cet égard citer l'arrêt Labrunye, qui avait instauré la nouvelle position de la jurisprudence en abandonnant le critère de la concomitance apport/location. Celui-ci cite les critères appelant requalification de la location :

 

"…le bail consenti (…) portait exclusivement sur des immeubles qui, dépourvus de tous éléments d'exploitation, (…) ; que ledit bail ne comportait aucune clause  destinée à associer le bailleur aux résultats (…)"[40]

 

                Cette notion d'association du bailleur aux résultats du locataire semble assez malléable. Mais c'est là la consécration de l'opinion de certain Commissaire du Gouvernement appelant une imposition fondée sur des données objectives, et qui dénonçaient les inconvénients de la position jurisprudentielle, notamment au regard de la TVA.

On peut citer un exemple d'application de ce critère dans un arrêt du 3 mars 1976[41]. En l'espèce une société civile avait comme unique activité la location d'un immeuble aménagé par elle pour l'exploitation d'une bombe au cobalt. Le loyer avait été fixé à 35 % du bénéfice de la société exploitante. De ce fait le Conseil d'Etat décide  :

 

" Considérant qu'un tel mode de calcul du loyer entraîne la participation de la société civile bailleresse  aux résultats de la société locataire ; que l'activité de la société civile revêtait par suite un caractère commercial la rendant passible de l'impôt sur les sociétés …"

 

 

66.     On peut relever que dans cette décision le juge de l'impôt a d'abord relever que les locaux avaient été aménagés par la société civile, ce qui aurait peut-être suffit à disqualifier la location sur le fondement de l'article 35 du CGI comme nous y reviendrons. Or bien qu'ayant relevé ce fait, le Conseil d'Etat ne s'y appesantit pas et fonde sa solution sur le seul mode de calcul du loyer. Le degré d'aménagement n'était peut-être pas suffisant à l'application de l'article 35 du CGI, mais cette mise en parallèle semble donner une certaine force à ce critère.

 

               

67.     La question qui appelle plus réflexion est celle de savoir quel est le fondement de cette solution. En effet, une telle clause semble mettre en relief une société créée de fait ou même une société en participation entre le bailleur et le locataire. On retrouverait donc l'apport en jouissance du local, une participation aux pertes et aux bénéfices par l'effet de la clause. Mais reste à déterminer le critère de l'affectio societatis, qui consiste en un droit de regard et une certaine égalité quant à la gestion de l'activité du locataire. Pour M. Cozian tel semble être le cas[42].

 

L'affectio societatis manifeste l'intention de  s'associer. Bien que non expressément exigé par l'article 1832 du Code civil, son absence est décisive sur la qualification d'un contrat. C'est le critère majeur pour la qualification de situations litigieuses, comme par exemple à la fin d'un concubinage alors que l'un des concubins a participé à l'exploitation du commerce de l'autre.

Ce critère est incertain est  largement protéiforme. La preuve en est son élasticité qui tend presque à la fiction dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ; alors qu'il est très fort dans les structures de taille modeste (certains auteurs en arrivent alors à distinguer associés et investisseurs).

Le trait commun semble être pour la jurisprudence la volonté de collaborer ensemble sur un pied d'égalité au succès de l'entreprise commune[43].

 

 

68.     Ce critère est donc un instrument souple servant à démêler les situations litigieuses. Un cas qui se présente souvent est celui d'un banquier contrôlant activement son client notamment en ayant un droit de regard sur ces comptes, ses stocks ou ses actifs. Dans ces cas, ces seules circonstances sont insuffisantes à caractériser une société, dès lors que la banque n'a pas de droit d'intervention dans les affaires de son client. Encore que l'on puisse se demander si par exemple, un crédit en compte courant n'offre pas un cadre favorable à certaines pressions.

 

Transposé à notre cas, la question est de savoir si l'on peut voir cet aspect  dans la relation bailleur locataire. Depuis 1956 la Chambre commerciale de la Cour de cassation estime qu'une clause prévoyant que le bailleur percevra une quote-part des bénéfices n'est pas suffisante pour caractériser un contrat de société[44]. Par contre un risque de requalification apparaît en cas de contrôle de l'exploitation par le bailleur.

Nombre de contrats font naître un doute sur leur qualification qui peut basculer dans celle de contrat de société, même le contrat de vente dans certaines circonstances.

Pour en revenir à l'exemple du contrat de prêt, il y est  parfois prévu un intéressement du prêteur aux bénéfices, mais également aux pertes, par le jeu d'une clause dispensant l'emprunteur du remboursement au cas où celui-ci serait dans l'impossibilité de le faire du fait d'un événement qui ne lui est pas imputable. Il y a là aussi participation aux bénéfices et aux pertes. Le critère discriminant sera là encore l'affectio societatis, c'est-à-dire la participation active du prêteur à la gestion et un certain pouvoir de contrôle de sa part. La jurisprudence considère qu'il s'agit d'un prêt dès lors, que le prêteur à tout tenté pour obtenir le remboursement, et partant à manifester son refus de subir l'aléa de l'opération.

 

Un arrêt de 1993[45] rappelle que les éléments constitutifs du contrat de société doivent exister à la conclusion du contrat, mais qu'ils pouvaient se déduire d'éléments postérieurs au début des relations contractuelles. En l'espèce, il s'agissait d'un conflit relatif à un contrat de prêt. La Chambre commerciale approuve la cour d'appel d'avoir entre autre relevé, que par son comportement le prêteur ne s'est pas conduit comme un associé intéressé au bon fonctionnement et à la réussite de l'opération.

La jurisprudence se fonde donc sur divers indices dénotant la volonté de s'associer. Il semble douteux que cette volonté de participation active puisse se retrouver systématiquement du seul fait de la présence d'une clause indexant  le loyer sur les bénéfices. On peut penser que ce qui emporte la conviction du juge de l'impôt est l'identité des associés dans les deux structures. Car ce fait est presque toujours relevé. Mais ceci est contestable et, apparaît  être une nouvelle divergence avec le droit privé. En effet la solution de 1993 de la chambre commerciale est très intéressante et pourrait  être reprise en la matière. D'ailleurs le juge fiscal adopte une position comparable au sujet des clauses indexant le loyer sur autre chose que les bénéfices. La jurisprudence pourrait ainsi s'unifier et adopter la même solution que celle qui prévaut quant l'indexation porte sur le chiffre d'affaire, à savoir s'appuyer sur des indices complémentaires. Elle le fait pour d'autres types de clauses comme on va le voir à présent.

 

 

§2 Clauses du bail appelant des indices complémentaires     

 

 

69.     L'hypothèse est ici toujours celle d'un loyer indexé. Mais cette fois, l'indice est constitué non par le bénéfice réalisé par la société locataire, mais par d'autres éléments. Ceux-ci sont de diverses sortes et ainsi peuvent être soit le chiffre d'affaire, soit une durée de stockage, soit le prix d'une matière première ou une quantité vendue. Dans ce cas la jurisprudence est claire, une telle clause à elle seule ne saurait suffire à démontrer une participation aux résultats ou à la gestion de la société locataire.

 

On peut ici citer l'arrêt Sarazin du 30 juin 1967[46]. En l'espèce MM. Sarazin avait donné à bail des locaux nus à la SA Saveco moyennant un loyer comportant une partie fixe et une partie variable calculée d'après le chiffre d'affaires réalisé par la société locataire. L'administration  y voyait un mode de participation à la gestion ou aux résultats de la société locataire. Mais le Conseil d'Etat par un considérant net, rejette cette thèse :

 

"Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, cette clause de variation du loyer en fonction du seul montant des ventes annuelles réalisées par la société locataire ne saurait, à elle seule, faire regarder les sieurs Sarazin comme ayant participé effectivement à la gestion et aux résultats ; "

                      

La doctrine administrative ira par la suite dans le même sens :

 

"N'est pas de nature à conférer un caractère commercial à la location d'immeubles dépourvus de tous éléments d'exploitation une clause de variation du loyer en fonction des ventes réalisées par le locataire, le loyer devant être au moins égal à un certain montant. Une telle clause ne peut à elle seule, faire regarder le bailleur comme ayant participé effectivement à la gestion ou aux résultats de l'entreprise exploitée dans les locaux loués"[47]

 

 

70.     Le Conseil d'Etat a pu réaffirmer cette position par un arrêt du 13 février 1980[48], qui comme nous l'avons vu précédemment a également été l'occasion de rappeler la jurisprudence instaurée en 1971. Cet arrêt apporte également une précision importante. En effet dans cette espèce, il y avait également une communauté d'intérêts entre le bailleur et le locataire, puisque les mêmes associés se trouvaient des deux côtés du montage. Ici le montant du loyer suivait l'évolution du prix d'une journée de séjour du sanatorium exploité par la société locataire. Cette décision met donc en avant que, la combinaison identité des associés / clause d'indexation fondée sur un élément autre que le chiffre d'affaire, ne rend pas la location commerciale.

 

 

71.    Mais certaines juridictions du fond perdaient parfois de vue cette direction, telle que par exemple la Cour administrative d'appel Nantes qui, dans un arrêt du 5 février 1992 à soumis de plein droit à l'impôt sur les sociétés, une SCI qui avait louer un terrain et des cuves de stockage moyennant un loyer proportionnel aux quantités entreposées[49]. Le pourvoi contre cette décision a été rejeté par le Conseil d'Etat par un arrêt du 29 décembre 1995[50]. On peut dès lors s'interroger sur la position exacte de la jurisprudence.

 

 Mais en y regardant de plus près le motif déterminant ne tient pas tant à cette communauté d'intérêts, puisque l'arrêt juge ce motif "erroné et surabondant", mais ne méritant pas censure. Doit-on en déduire qu'une redevance d'utilisation est suffisante.

 

Un autre arrêt que nous allons voir, appelle à se demander si une telle clause, analysée comme une redevance d'utilisation, ne suffit pas, à elle seule, à faire voir une participation aux bénéfices ou à la gestion de l'entreprise locataire. Ainsi il y aurait une deuxième catégorie de clauses permettant, de par leur présence, de disqualifier la location.                                                                                                                                   

 

 

72.     Au surplus, on ne peut manquer de remarquer que les décisions ne manquent pas de faire état de cette communauté d'intérêts quand elle existe. Certes, seul, associé à une clause d'indexation sur le chiffre d'affaire, cet élément est insuffisant, mais il semble indubitable que cela constitue un élément de conviction supplémentaire. Ceci s'accorde d'ailleurs bien avec l'idée directrice que l'on peut tirer de la jurisprudence en la matière. La disqualification s'opère quand le bailleur a, en quelque sorte, dépassé son rôle. M. Cozian scinde très bien la situation[51]. On peut en effet dégager deux axes. Parfois, le bailleur apparaît comme ayant indirectement vocation aux bénéfices (1). Dans d'autre cas, afin de sauvegarder la société locataire, il apparaît comme participant aux pertes (2).

On ne peut que remarquer, que ce sont là les bases du contrat de société telles que posées par l'article 1832 du Code civil.                                                                                  

 

 

A. Indexation et participation indirecte aux bénéfices

 

               

73.     Alors même que par principe, un contrat est le fruit de la libre négociation des parties, on pourrait supposer que les conditions ainsi élaborées sont libres. Or il n'en est rien, car face à des prix suspects une requalification est possible. Tel est notamment le cas des transactions intra-groupe où le principe est celui de transaction à prix normal.

 

En effet dans une telle structure il est aisé de déplacer la matière imposable vers une unité plus accueillante fiscalement, et ce sous couvert de relations commerciales ou financières. Par ce procédé on efface cependant l'intérêt propre d'une des sociétés au profit de l'autre, même si globalement au niveau du groupe l'opération peut se révéler avantageuse du fait des économies d'impôt réalisées. M. Rivière,  dans ses conclusions sous un arrêt du 26 juillet 1982[52] rappel qu'en l'absence de dispositions légales spécifiques "le juge doit constater que les solidarités entre sociétés doivent trouver leurs limites dans l'autonomie juridique de chacune d'elle, et tirer les conséquences fiscales de cette autonomie".

 

Ultérieurement, nous verrons que dans l'ordre interne, concernant la société solvens, c'est la théorie de l'acte anormal de gestion qui trouve à s'appliquer entre autre. Côté bailleur, c'est la requalification de la location en activité commerciale qui menace. Des exemples que l'on va citer, il ressort que par le jeu des stipulations contractuelles le loyer va atteindre un montant trop élevé, ce qui laisse voir une participation aux résultats de la société locataire.

 

               

74.     Dans un premier arrêt du 28 mai 1984[53], la SCI Y, constituée le 7 novembre 1972, a le même jour donné à bail à M. X, pharmacien, des locaux. Le Conseil d'Etat relève des clauses du bail, que le loyer comportait un part fixe de 210000 F et une part variable représentant 5 % du chiffre d'affaire. De ces éléments le juge de l'impôt décide que, eu égard à l'importance de cette participation, l'activité de la SCI avait un caractère commercial. Le tribunal avait quant à lui relevé que M. X étant le seul associé de la SCI avec son frère, le montage devait s'analyser comme une location à lui-même, et comme il est commerçant, par contagion, l'activité de la SCI devait être vue comme commerciale.

 

 M. Racine rejette cette analyse dans ses conclusions et rappelle la jurisprudence de 1971, à savoir que les liens personnels bailleur/locataire à eux seuls ne suffisent pas à établir le caractère commercial de la location. Il propose à la juridiction de se prononcer au seul vu des clauses du contrat de location, comme d'ailleurs cela avait été fait dans un arrêt de 1974 que nous retrouverons plus loin. En effet dans ce dernier arrêt le Conseil d'Etat fondait sa décision en partie sur une clause de participation de 2 % du chiffre d'affaire corroboré par une participation aux pertes.

 

D'autres arrêts adoptent la même solution. Ainsi en est-il de celui du 28 septembre 1984[54], dans un cas relatif à la location d'un panneau d'affichage. Le bail prévoyait une partie fixe de 20000 F et une partie variable suivant l'occupation. Cette dernière est passée de 40000 à 50000 F en quelques années. Le Conseil d'Etat décide que "eu égard à l'importance, dans le montant de la location, de cette part variable qui représentait une participation aux résultats commerciaux de la SA X, la location dudit panneau constituait une activité commerciale".

Il convient ici de relever la précision apportée concernant l'analyse des juges. L'importance du loyer se fait par comparaison entre les deux parties du loyer, c'est du moins ce que semble exprimer l'expression " dans le montant de la location". La partie indexée semble donc devoir être raisonnable.

 

 

Remarque : on s'était demandé plus haut si les clauses faisant varier le montant du loyer par rapport à une durée d'utilisation n'était pas devenue une nouvelle catégorie de clauses, suffisants à elles seules à rendre la location commerciale. Le fait qu'en 1984 les juges se soient fondés sur l'importance du montant du loyer ainsi obtenu et dans un arrêt postérieur du 29 décembre 1995[55], le laisse à penser.

 

 

75.     On citera enfin un arrêt plus récent[56]. Ici c'est un bail à construction qui avait été conclu par une SCI, avec comme objet un terrain acquit par elle pour 100000 F. Les maîtres de la SCI, deux époux, détenaient 90 % du capital de la SA locataire. L'objet de cette dernière était la construction et l'exploitation d'un supermarché. Le loyer stipulé comprenait ici aussi une partie fixe de 30000 F et une partie variable fixée à 0,5 % du chiffre d'affaire. Figurait également dans le bail une clause de retour gratuit en fin de bail.

La conjonction de ces éléments fait voir une participation aux résultats de la société locataire qui exploitait le supermarché et que c'est à juste titre que la SCI  à été soumise à l'impôt sur les sociétés. Dans ses conclusions le Commissaire du Gouvernement, Arrighi de Casanova, relevait que le loyer dépassait dès les premières années de la location la valeur d'achat du terrain. Donc on en déduit que la part variable dépassait 70000 F. En outre, le prix de la location était bien supérieur aux locations analogues. De cela on déduit encore que c'est le montant du loyer qui a emporté la conviction des juges et que les autres indices n'ont pas la même force que cet élément.

 

               

76.   De ces trois arrêts il semble résulter, alors même que cela n'y figure pas explicitement, que la part variable doit garder des proportions raisonnables et surtout ne pas dépasser trop largement la partie fixe, qui ainsi semble être un frêle paravent. Ensuite, cette analyse objective des clauses du bail est réalisée au cas par cas selon les activités en cause. Dans le dernier arrêt cité, la stipulation prévoyait un pourcentage de seulement 0,5 % du chiffre d'affaire, mais il fallait avoir égard au fait que la référence était le chiffre d'affaire d'un supermarché dont on peut voir l'importance (plus de 14 millions de francs les premières années d'exploitation dans l'exemple). De plus même si plusieurs indices sont relevés, tous n'ont pas le même poids. Mais il semble évident, au travers de la jurisprudence que, la communauté d'intérêts reste un indice de choix, car les décisions ne manquent jamais d'en faire état. Sans être à lui seul déterminant, cet élément semble expliquer la présence de telles stipulations, car sans cette communauté d'intérêts on comprendrait mal la présence de telles clauses. Comme nous allons le voir à présent cela semble encore plus évident lorsque est en cause le comportement du bailleur qui vient au secours de son locataire en difficultés.

 

B. Indexation et participation aux pertes

 

               

77.     Nous l'avons déjà évoqué, ici il n'y a pas de transfert de matière imposable mais plutôt un comportement insolite de la part du bailleur. C'est là que le critère de la communauté d'intérêts prend plus d'ampleur. Le bailleur vole au secours de la société locataire en lui faisant grâce de loyers échus. Certes, une partie de la doctrine prône un certain solidarisme contractuel, mais la force obligatoire du contrat à encore de beaux restes. Il semble donc toujours suspect que la société bailleresse se préoccupe tant de la situation de la société locataire. Cela revient, en quelque sorte à nier ses propres intérêts voire sa propre existence lorsque les loyers auxquels elle renonce, constituent son unique revenu. 

 

               

78.     On peut ici ouvrir une parenthèse en se demandant si la jurisprudence Sofige[57] peut être transposable par analogie. Celle-ci admet, concernant les groupes, que la société mère se sacrifie (abandon de créances) au profit d'une filiale, car ainsi par ricochet se sont ses propres intérêts qu'elle sauvegarde. L'idée serait dans les cas qui nous intéressent, de ne pas voir une activité commerciale dans la renonciation aux loyers, tout comme dans ces cas il n'y a pas acte anormal de gestion. Mais la cause semble perdue. Tout d'abord il n'y a généralement pas de relation mère/filiale dans le montage qui nous préoccupe ; ensuite, si tel était le cas (la SCI détiendrait alors une participation dans la société commerciale locataire), on peut se demander si ainsi elle sauvegarde vraiment ses intérêts en renonçant à percevoir le loyer. La jurisprudence a une vision stricte car l'aide apportée doit être nécessaire à sa propre survie ou à la préservation de ses actifs. On peut en douter car il semble plus avantageux  pour elle, voire vital, de se défaire d'un locataire insolvable. Donc fermons cette parenthèse.

 

               

79.   Dans les cas que nous allons étudier, les indices supplémentaires nécessaires pour faire basculer la location vers la commercialité sont plus subjectifs. On a donc toujours la même base, à savoir une clause d'indexation fixant le loyer ou une partie du loyer à X % du chiffre d'affaire, élément qui rappelons-le est nécessaire mais non suffisant. C'est donc dans le comportement du bailleur que l'on va rechercher le poids qui va faire pencher la balance vers la commercialité.

Le premier exemple est l'arrêt Guinet du 13 mars 1974[58]. Cet arrêt a été rendu à la même date que l'arrêt Vérnière que nous avons déjà rencontré[59]. Ce dernier faisait application de la jurisprudence inaugurée en 1971, abandonnant le critère de la concomitance. Le Conseil d'Etat relevait que le loyer étant normal, il n'y avait aucune participation aux résultats de la société locataire. Ce deuxième arrêt est, en quelque sorte, le négatif du premier. M. Guinet, PDG de la société locataire détenait également la quasi-totalité de son capital. Le bail stipulait un loyer égal à 2 % du chiffre d'affaire. Au cours de la période vérifiée, par deux fois, il avait renoncé à percevoir son dû  afin de sortir la société locataire de la situation difficile dans laquelle elle se trouvait. M. Mandelkern, suivit par le Conseil d'Etat, relève là un signe de participation aux résultats, plus exactement aux pertes.

 

Dix ans plus tard, par un arrêt du 28 septembre 1984[60] la même solution est appliquée. En l'espèce une SCI  avait loué à une SA, les locaux destinés à l'exploitation d'un restaurant. Les époux A détenaient 90 % des parts de la SCI et la majorité du capital de la SA. Mme A était le PDG de la SA et détenait la licence nécessaire à l'exploitation. Le loyer dépendait des résultats de l'activité. Enfin, la SCI avait renoncé à percevoir une série de loyers. De cet ensemble il apparaît aux juges que la SCI participait à la gestion et aux résultats de la société locataire.

Solution réaffirmée deux mois plus tard[61] dans des circonstances similaires, avec en plus un engagement de caution de la part de la SCI pour les dettes de la société locataire.

 

 

80.     Enfin, il faut également préciser la nature de cette renonciation. On la trouve donnée dans l'arrêt du 28 mai 1985 qui précisait que pour pouvoir se prévaloir de la renonciation, il fallait démontrer que la créance en question n'est plus une créance acquise, donc un véritable abandon de créance et non une simple inertie.

 

                Le bailleur se doit donc de garder une certaine distance vis-à-vis de son locataire, et ce d'autant qu'il est une SCI, car la requalification lui causera nombres de désagréments. Mais les frontières sont sinueuses en la matière car la cour administrative d'appel de Paris, dans un arrêt du 22 novembre 1994[62] admet qu'une SCI puisse supporter certaines charges de son locataire (frais de surveillance), ce qui généralement est l'exemple type des flux anormaux qui emporte démonstration de la fictivité de la SCI en matière de procédures collectives. Ce flou est regrettable. Bien sûr il y a des risques à manipuler à la légère des instruments juridiques  aussi sophistiqués que des sociétés, M. Cozian dénonce ce subjectivisme qui préside aux qualifications fiscales[63], D'autant que l'on retrouve ici une nouvelle divergence d'analyse du droit fiscal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

81.     Nous venons ainsi de voir que le droit fiscal  à sur certains points une conception différente de la commercialité. Une location devient  fiscalement commerciale par certaines clauses du contrat ou du fait du bailleur dénotant une volonté de participer aux résultats ou à la gestion de la société locataire, créant ainsi une espèce de société de fait entre les deux structures. C'est du moins ce qui semble sous-tendre les solutions à la vue du vocabulaire utilisé. Mais une telle analyse n'est pas partagée par le juge commercial.

Alors qu'il est déjà difficile de suivre avec rigueur les règles qui s'imposent, il faut de plus se méfier du droit fiscal, déjà réputé peu lisible. Alors que celui-ci devrait être un facteur neutre, sous réserve de son rôle d'instrument d'orientation économique au service des pouvoirs publics, épousant la matière imposable comme elle se présente, il se détache de ce rôle en posant ses propres qualifications à situation égale. Dans les cas que nous venons de passer en revue, cela est d'autant plus contestable qu'il n'y a cela qu'un fondement textuel vague. On utilisera à dessein une comparaison exagérée, mais l'ambiance de commercialité issue de l'article 34 du CGI ressemble au "sain instinct du peuple" qui se trouvait dans une législation tristement célèbre. Au surplus, les justifications avancées en faveur du maintient de l'article 206-2 étant décevantes, un autre moyen de réduire sa nocivité serait de faire concorder les analyses fiscales et commerciales, dans les cas où il n'y a pas de dérogation expresse.

Dans les cas que nous nous proposons de voir à présent le fondement apparaît plus solide, car la commercialité qui en résulte repose sur des dispositions légales plus explicites, donc moins nuisibles à la sécurité des transactions. Mais elles restent particulières par rapport au droit privé. La sécurité juridique en souffre toutefois moins puisque la divergence est prévisible.

 


 

 

Chapitre II : La commercialité de l'activité de la SCI fondée sur l'article 35 du CGI

 

 

 

 

               

82.     L'article 35 du CGI apparaît comme une espèce d'article spécifique sous forme de liste d'actes réputés commerciaux, vraisemblablement consacré aux activités dont la qualification risque de poser problème. Une large part de celui-ci, est consacrée aux activités liées aux biens immeubles. Le professeur Cozian le surnomme "la géhenne de l'article 35", car dans son étude consacrée à la définition fiscale du commerçant, il relève que ceux qui entrent dans son champ d'application, qu'il appelle "commerçant par punition", sont souvent moins avantagés que les "commerçants honorables" de l'article 34[64]. Deux catégories ressortent de cette liste et intéressent particulièrement notre montage : les marchands de biens et les loueurs.

 

Article 35 : I Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes désignées ci-après :

1° personnes qui habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles, des fonds de commerce, des actions ou parts de sociétés immobilières ou qui habituellement, souscrivent, en vue de les revendre, des actions ou parts créées ou émises par les même sociétés ;

 (…)

5° Personnes qui donnent en location un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation, que la location comprenne, ou non, tout ou partie des éléments incorporels du fonds de commerce ou d'industrie ;

 

                 Pour la première catégorie, c'est dès la loi du 13 juillet 1925 que l'activité d'achat d'immeuble pour revente est passée du caractère civil au caractère commercial pour le droit fiscal. Il faudra attendre 42 ans pour que le droit privé suive la même voie (loi du 13 juillet 1967 réformant les faillites) et modifie le Code de commerce pour faire entrer cette activité dans la catégorie des actes de commerce, afin de soumettre ceux qui la pratique aux procédures de faillite.

 

 

83.     Nous nous intéresserons seulement à ces deux catégories visées par l'article 35, car ce sont celles qui en pratique nous semblent le plus susceptible d'affecter le montage qui nous occupe. En effet, les autres activités visées, comme le lotissement, la construction et vente par blocs, ou le rôle d'intermédiaire, ne peuvent pas se faire "par accident".

Par contre, la location d'immeubles équipés risque de poser problème. On verra qu'ici il y a une forte divergence avec le droit privé, et que le droit fiscal semble faire une singulière application de la théorie de l'accessoire. En rapprochant le cas du droit privé, il semble que pour le droit fiscal l'immeuble puisse être l'accessoire des meubles le garnissant.

Ce point nous intéresse donc, car il faudra définir dans quelle mesure un immeuble est considéré comme équipé. La qualification de l'objet du bail en immeuble équipé, entraînerait l'application de l'article 35 du CGI. Dès lors, les loyers y afférent devraient être imposés dans la cédule des bénéfices industriels et commerciaux, et partant l'application de l'article 206-2 suivrait pour une SCI. Il faudra au vu de la jurisprudence déterminer une sorte de "seuil".

 

 

84.     Mais avant cela, il faudra aborder la notion de marchand de biens. A priori ce choix semble étonnant. En effet, l'achat-vente d'immeuble étant une activité commerciale au sens du droit privé, une telle activité ne semble pas pouvoir être exercée dans le cadre d'une société civile. Cependant il faut compter avec la jurisprudence et voir si la définition de cette activité ne risque pas d'affecter le montage. En effet, une vision souple de la qualification risque de faire basculer l'activité de la SCI. Comme cette activité entre dans le champ des bénéfices industriels et commerciaux, 206-2 trouverait encore à s'appliquer. On verra en effet que la jurisprudence fiscale a déjà retenu cette qualification pour une société qui n'avait vendu qu'un seul immeuble, et ce au motif que ces associés avaient personnellement réalisé des opérations de marchand de biens, ce qui est la négation de la personnalité morale de celle-ci. C'est là encore une idée de fictivité qui plane.  Or une SCI peut avoir à effectuer des arbitrages au sein de son patrimoine immobilier ; cela est d'autant plus plausible que dans ce type de montage, fréquemment les mêmes associés sont des deux côtés du contrat de location par l'intermédiaire de sociétés, et donc permettrons plus facilement la cession d'un immeuble de la SCI loué à la société commerciale, lorsque les besoins de cette dernière l'exigeront (par exemple si l'opportunité d'un site meilleur se présente).

 

                Donc, dans un premier temps, nous étudierons dans quelle mesure la qualification de marchand de biens menace la SCI (Section I) ; nous tenterons ensuite de savoir quand des locaux peuvent être considérés comme des locaux munis du matériel ou du mobilier nécessaire à son exploitation (Section II).


Section I : Le risque d'application de la qualification de marchand de biens  

 

 

85.     Le marchand de biens est une personne qui fait profession d'acheter pour les revendre des immeubles[65]. Ici bien évidemment, on peut ajouter que, le cas échéant, la SCI pourra être vue comme un marchand de biens "amateur", selon la classification opérée par le professeur Cozian ; il est évident que l'on ne choisira pas la forme d'une SCI pour une telle activité commerciale tant pour le droit fiscal que pour le droit privé, car ici il y a convergence entre les deux branches depuis 1967.

 

                Il faut donc déterminer la délicate frontière entre gestion du patrimoine immobilier et spéculation immobilière. Pour tenter de le faire nous étudierons successivement les éléments de la qualification de marchand de biens. Celle-ci vise les "personnes qui habituellement, achètent en leur nom des immeubles" (§1), "en vue de les revendre" (§2).

 

 

§1 Personnes achetant habituellement des immeubles en leur nom

 

               

86.   Les opérations en cause peuvent être réalisées tant par des personnes physiques que par des personnes morales. Cet élément ne pose pas problème, ni d'ailleurs l'objet de l'opération, à savoir des biens immeubles bâtis ou non. II est à remarquer que cette exigence d'un achat semble mettre à l'abri la SCI auquel l'immeuble en question a été apporté par un de ses fondateurs. 

               

Par contre, un des points important de la qualification réside dans la détermination de la condition d'habitude requise. Cet élément est le même que celui requit à l'article L 121-1 du Code de commerce qui définit le commerçant. Selon cet article, est commerçant celui qui exerce des actes de commerce et en fait sa profession habituelle. On peut immédiatement relever une différence ; le Code de commerce parle de "profession", ce que la jurisprudence entend d'une "occupation sérieuse de nature à produire des bénéfices et à subvenir aux besoins de l'existence"[66]. Le droit fiscal n'a pas cette exigence et se contente de la condition d'habitude. Donc l'opération peut être parallèle et très secondaire pour être fiscalement vue comme une opération de marchand de biens. Par contre, le droit privé semble exiger une certaine structuration de l'activité. On peut comprendre cette différence par la différence d'objectif des deux législations : l'une recherche la matière imposable, tandis que l'autre soumet au statut des commerçants, donc aux obligations de ce statut parmi lequel les procédures collectives. Mais il reste regrettable qu'une même situation puisse avoir des qualifications différentes suivant la branche du droit qui l'envisage. Cela ne fait qu'ajouter un élément de plus à la liste des différences avec le droit privé et permet qu'existe des sociétés régulières du point de vue du droit privé mais ayant une activité commerciale, du point de vue fiscal.

 

 

87.     La jurisprudence du Conseil d'Etat apprécie assez souplement cette condition d'habitude. Le juge peut en outre se fonder sur des opérations réalisées au court de périodes prescrites pour en apprécier[67].

Un indice important réside bien évidement dans la répétition sur une brève période d'opérations d'achat et de revente d'immeubles[68]. La condition est également remplie par un seul achat suivi d'une revente de l'immeuble par lots[69].

 

En outre, la jurisprudence admet depuis longtemps qu'il soit pris compte de la situation personnelle des  associés maîtres de la société, pour apprécier la condition d'habitude. Cette solution a comme but d'éviter une évasion fiscale consistant à créer une société par opération[70]. Position cependant tempérée, par l'exigence que les associés aient vraiment la qualité de marchand de biens personnellement, et non par exemple une activité de construction- vente

C'est ce qu'affirme un arrêt de la Cour administrative d'appel de Lyon, en date du 14 juin 1995[71] rappelant la solution posée par le Conseil d'Etat le 6 novembre 1992[72].

Cet arrêt pose également une autre voie intéressante. Les faits étaient les suivants : une société civile avait de 1981 à 1983 vendu 31 des 44 lots d'un immeuble acheté entre 1975 et 1976. Le litige était relatif à l'assujettissement d'un associé à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu. Celle-ci dépendait de l'application de l'article 206-2 du CGI à la société. Le requérant rappelait que pour cela, l'administration devait établir, en cas de contestation, que les opérations litigieuses procédaient d'une intention spéculative et avaient un caractère habituel. L'administration pour ce faire, mettait en avant que les associés prépondérants faisaient eux-mêmes habituellement, des opérations d'achat pour revente d'immeubles, et que de toute façon la condition d'habitude était remplie au seul niveau de la société.

 

 

88.     Sur le premier élément, la Cour administrative d'appel ne considère pas, que preuve est faite de la qualité de marchand de biens des associés prépondérants. Par contre elle approuve l'administration d'avoir considéré que, vu le nombre d'opérations, le caractère habituel était caractérisé.

Donc, le caractère habituel ne pose pas de gros problèmes ; il faut plusieurs opérations, et la jurisprudence regarde en général le délai entre les opérations. Par exemple, l'habitude n'est pas caractérisée chez une personne qui a effectué deux achats pour revente d'immeubles en sept ans[73].

Cependant, dans l'arrêt de la cour de Lyon les prétentions de l'administration sont tout de même rejetées alors même qu'elle a caractérisé l'habitude.

En effet, cette condition, si elle est nécessaire, n'est pas suffisante. Il faut un élément supplémentaire. L'achat d'origine doit avoir été teinté d'une certaine intention. Il doit avoir été fait "en vue de revendre", élément qui caractérise une intention spéculative.

 

 

§2 Un achat en vue de revendre : une intention spéculative dès l'origine

 

 

89.     Cet élément introduit  une certaine marge aux opérateurs. En effet, l'achat d'origine doit avoir été fait dans l'intention de revendre. L'achat et la revente constituent deux facettes d'une seule opération animée par une intention spéculative. La nécessité de caractériser cette intention spéculative introduit, pourrait-on dire, une certaine dose de réalisme, permettant de toucher les vrais spéculateurs, et d'aller au-delà des apparences. La jurisprudence fiscale, mais celle de droit privé aussi, y est très attachée.

 

C'est là l'occasion de revenir sur l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 14 juin 1995[74] que nous avons rencontré plus haut. Nous avions vu que la cour considérait que la condition d'habitude était suffisamment caractérisée. Toutefois, la qualification de marchand de biens ne pouvait  s'appliquer, car faisait défaut à l'origine cette fameuse intention spéculative. On peut citer le considérant qui est on ne peut plus clair :

 

"Considérant, d'autre part, que si le nombre des transactions effectuées par la SCP "rue du Général Leclerc-Franconville", est de nature à leur conférer un caractère habituel au sens de l'article 35 précité, en revanche, le délai d'acquisition des biens de leur vente et le fait que les immeubles aient été affectés à la location pendant cette période en conformité avec l'objet social, ne permet pas de regarder les cessions comme ayant constituée le dénouement d'opérations d'achat effectuées en vue de la revente"

 

                Cette intention doit se déduire de l'ensemble des circonstances de l'espèce. Est principalement retenu, le nombre d'opérations, l'importance des profits, la brièveté du délai de détention, la profession du revendeur.

On peut remarquer que ce dernier élément apporte une explication à la jurisprudence qui s'attache aux opérations effectuées par les associés en leur nom, pour qualifier l'activité de la société dont ils sont les maîtres. Mais on peut remarquer que dans cette hypothèse, on pourrait presque qualifier la société de fictive ou de personne interposée, et qu'en réalité ce sont ces maîtres qui ont agi sous son couvert ; qualifier alors la société de marchand de biens ne semble pas la qualification la plus exacte.

 

 

90.     Pour en revenir à notre propos, la nécessité de caractériser l'intention spéculative, est une exigence constante, récemment rappelée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 8 novembre 2000[75].

En l'espèce, l'EURL crée par M. Todera a acquis des parts de SNC entre 1986 et 1987, puis les a revendues en 1988 ; de même pour une promesse de vente portant sur un immeuble. L'objet de cette société était de réaliser des opérations de marchand de biens. Le Conseil d'Etat relève que le maître de la société avait fait revendre par l'EURL lesdites parts à une SA dont il était directeur général ; or ces mêmes parts avaient, un an auparavant,  été acquises auprès de cette même SA. De là, il est déduit que M. Todera avait voulu donner l'apparence de marchand de biens à cette société afin de pouvoir imputer des déficits dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et non dans celle des revenus fonciers. La question posée par le recourt était de savoir si les éléments de fait du dossier suffisaient à caractériser une intention spéculative.

 

La réponse est négative. Il est souligné par l'arrêt que la proximité des achats/reventes n'est pas de nature à établir une intention spéculative à la date d'achat. En outre,  il est relevé, que lesdites parts avaient été inscrites comme actifs immobilisés et non en stocks. Dès lors la qualité de marchand de biens de l'EURL n'est pas établie faute d'avoir caractérisé une intention spéculative de l'EURL lors de l'acquisition.

 

 

91.     L'intention spéculative unie donc les deux branches de l'opération, achat et vente, car en fait ce ne sont là que deux facettes d'une opération, l'une étant liée à l'autre par l'intention spéculative. On peut ajouter, que cette intention doit être réelle. L'arrêt précité le démontre. Dans cette affaire, on avait voulu créer "une apparence " d'intention spéculative selon les termes même de l'arrêt. D'autres arrêts démontent, quant à eux, que celle-ci peut-être caractérisée alors même que les circonstances créeraient une apparence contraire (cas d'une vente à perte).

Les décisions sont satisfaisantes, mais nécessites pour cela une certaine casuistique.

 

Le risque de requalification semble limité pour notre montage. A priori l'intention première de la SCI dans ce type de montage est la location de l'immeuble. La jurisprudence relève d'ailleurs comme circonstance empêchant de trouver une intention spéculative, le fait que les locaux aient été loués[76] conformément à l'objet social.

Sauf cas probablement marginal, à savoir celui où dès l'origine la SCI a acquis un immeuble destiné à la revente car il ne constituait que provisoirement l'abri de l'exploitation commerciale dans l’attente d'un emplacement meilleur (encore qu’il semble douteux que de ces éléments de fait il soit déduit une intention spéculative, car ici la jurisprudence fait preuve de réalisme), la qualification de marchand de biens semble peu menaçante. Donc hors les cas où l'activité réelle de la société civile est celle de marchand de biens, ce qui lui attirera également les foudres du droit privé, le risque est ici mineur. Et puisque l'activité est commerciale au regard des deux branches du droit, il semble que 206-2 ne pourra pas s'appliquer, puisque si l'activité réelle de la SCI sera l'achat-revente d'immeubles, celle-ci sera sanctionnée au regard des dispositions du droit privé.

 

 

92.     On peut cependant relever une petite divergence entre le droit fiscal et le droit privé en la matière ; certes les deux branches du droit se rejoignent dans l'exigence d'intention spéculative, mais en droit fiscal celle-ci semble suffisante moyennant un minimum de répétition. Le droit privé de son côté semble attacher plus d'importance à cette circonstance. Même plus, semble être exigé une certaine organisation de l'activité en entreprise. Certains voient là, que pour la jurisprudence de doit privé, si la répétition est un élément probatoire révélateur de l'intention spéculative, elle devient une quasi règle de fond.

 

Cette divergence est mise en évidence par l'arrêt du 8 novembre 2000 lorsqu'il énonce dans son considérant, que lesdits agissements s'ils sont rapprochés dans le temps, ne suffisent pas à établir qu'ils étaient animés d'une intention spéculative. Celle-ci est donc primordiale, ce qui explique la jurisprudence qui admet qu'un achat suivi de plusieurs reventes est suffisant. Mais au final cette divergence est moindre, car dans tous les cas l'achat et la revente sont unis par l'intention spéculative, et c'est plutôt  la manière de la caractériser qui diffère.

 

 

93.     On peut expliquer cette différence dans les finalités des deux branches du droit ; le droit fiscal doit débusquer la matière imposable, alors que le droit privé recherche l'acte de commerce, afin de trouver le commerçant pour le soumettre à ce statut, dont notamment la loi des procédures collectives, ce qui semble devoir être le cas d'une personne organisant une activité et moins ceux effectuant ponctuellement des actes de commerce. Ce n'est d'ailleurs pas la seule situation, nous l'avons déjà vu au sujet de l'indexation des loyers, où le droit fiscal donne ses solutions propres à certaines situations par rapport au droit privé, nous verrons d'ailleurs plus loin si on peut parler d'autonomie du droit fiscal.

 

 

94.     On peut ici citer également un arrêt inédit, celui de la fameuse société alsacienne, que l'on a évoqué à plusieurs reprises[77]. Une SCI avait acquit cinq immeubles. Par suite d'une erreur du notaire instrumentaire (erreur qui lui a d'ailleurs valu des poursuites), une disposition spécifique au contrat conclu par les marchands de biens a été introduite dans les actes pour trois des cinq immeubles. Cette disposition est celle du régime de l'article 1115 du CGI, régime de TVA spécifique ouvert à la condition que les immeubles soient revendus dans un certain délai. L'administration entendait faire application de l'article 206-2, car cette clause révélait l'intention spéculative, plus même elle était l'aveu de l'activité de marchand de biens.

 

En outre, était évoqué le fait que les associés eux-mêmes avaient personnellement cette qualité de marchand de biens. Pour l'administration ces éléments étaient suffisants à caractériser une activité de marchand de biens, bien qu'aucune vente n'ait encore été effectuée. Le conseil de la société entendait faire juger que cette erreur introduite dans les actes ne pouvait démontrer une telle intention, et qu'en outre, il fallait attendre le cycle complet de l'opération, car l'article 35 du CGI fait état d'un achat suivi d'une revente. En l'absence de vente il n'y a pas opération au sens de l'article 35-I-1°.

L'administration entendait faire reconnaître que l'achat dans une intention spéculative affichée suffisait, quand bien même aucune revente ne serait intervenue.

 

 

95.     Par un jugement du 27 juillet 1999, le tribunal administratif de Strasbourg accorde la décharge à la SCI. Les motifs sont que, bien que placée sous le régime de l'article 1115 du CGI, aucune vente n'a été réalisée, et d'autre part que les opérations visées, faites par les associés, étaient des opérations de construction-vente, qui dans le dernier état de la jurisprudence du Conseil d'Etat n'a pas d'influence sur la SCI. Au surplus les opérations de marchands de biens ont été réalisées après l'acquisition des immeubles de la SCI. Est également relevé, la réalisation de travaux dans lesdits immeubles et leur location conformément à l'objet social.

 

En fait le motif sous-jacent est autre et le conseil de la société l'a bien mis en relief. Les revenus perçus par la SCI sur la période contrôlée étaient constitués des loyers tirés de son patrimoine immobilier, et en 1992, suite au décès d'un de ces associés, l’un des emprunt de la société a été remboursé en vertu d'un contrat d'assurance-vie souscrit au bénéfice des banques prêteuses. Dans le régime des revenus fonciers, cette somme n'est pas imposable. En effet, la charge de constitution du capital n'entre pas dans le calcul de l'impôt. Par contre, soumise à l'impôt sur les sociétés cette somme aurait été incluse dans les résultats de la société. L'intérêt de la requalification était donc là. Un contribuable qui aurait agi de la sorte n'aurait pas échappé aux foudres de l'abus de droit !

 

Une telle attitude de l'administration est critiquable, car la SCI du fait de ce redressement, s'est trouvée en cessation des paiements.

 

 

96.     Nous venons ainsi de voir que l'une des opérations commerciales de l'article 35 du CGI, celle de marchand de biens, est relativement peu nocive pour notre montage, si l'on excepte  bien sûr les dévoiements tentés par l'administration, et si la jurisprudence du Conseil d'Etat tient ferme l'exigence d'intention spéculative telle qu'on l'a vu. De plus la tolérance du dixième semble pouvoir s'appliquer dès lors que les recettes  tirées d'une éventuelle opération de marchand de biens ne représentent pas plus de 10 % des recettes totales.

 

Reste à présent à nous pencher sur la SCI comme loueur pour déterminer dans quelle mesure celle-ci peut être vue comme loueur de locaux équipés.

 

 

Section II : Locaux nus et locaux munis du matériel nécessaire à l'exploitation

 

 

97.    L'article 35, 5° du CGI dispose que "Présente également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes (…) qui donne en location un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation, que la location comprenne, ou non, tout ou partie des éléments incorporels du fonds de commerce ou d'industrie".

 

Un décret-loi du 20 juillet 1934 posait déjà les règles contenues dans l'article 35 en des termes similaires ; cette assimilation des immeubles aménagés et des établissements industriels et commerciaux était par ailleurs devenue classique pour le Conseil d'Etat. Tant pour les impositions directes qu'en matière de TVA, de telles locations sont une activité commerciale. De plus, en toute logique les équipements en question doivent avoir un rapport avec l'activité exercée, or on verra que la position du Conseil d'Etat est contestable en la matière.

 

               

98.     A cet égard il faut bien s'entendre sur le sens de cette réglementation. Ce qui importe ici, est le caractère aménagé des locaux. L'activité aux fins de laquelle les locaux sont loués ainsi équipés, n'est pas prise en compte. Ainsi, l'activité en question pourra très bien ne pas être elle-même commerciale. On se place exclusivement du côté du bailleur.

 

Dans ce sens on peut se référer à un arrêt du 25 juillet 1980[78]. Dans cette affaire un masseur-kinésithérapeute, M. Second, a créé avec cinq autres, une association en participation. Il avait en outre mis à la disposition de l'association des locaux et l'équipement professionnel dont il était propriétaire. En fait, le litige portait sur la façon de traiter les remboursements de frais, car comme contrepartie de ces mises à disposition il percevait une redevance qu'il considérait comme des remboursements de frais. Or, entre autre chose, dans les redevances payées par les autres membres, ne figurait pas uniquement les frais du crédit qu'il avait contracté, mais également l'amortissement du capital. L'opération est requalifiée, avec l'approbation du Conseil d'Etat. Ces redevances ne sont pas des remboursements de frais mais en réalité sont des loyers. Loyers commerciaux de surcroît, puisqu'ils constituent la contrepartie de "la mise à disposition d'un cabinet professionnel équipé".

Il n'y a donc pas de différence de nature entre un immeuble à usage commercial ou médical. C'est donc l'immeuble, ou plutôt ce qu'il contient que l'on va analyser.

 

 

99.     Cette solution doit être approuvée de ce point de vue. Ce n'est pas l'activité du locataire qui doit servir à qualifier les revenus reçus par le bailleur mais la propre activité du loueur (réserve étant faite des logements meublés notamment).

 

                Si le domaine est entendu, il n'en reste pas moins que cette disposition soulève quelques difficultés d'interprétation. En effet, la notion "d'établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation"  est très imprécise. Le soin d'en dessiner les contours est donc du ressort du juge. On peut comprendre cette position, car les solutions relèvent de l'étude de chaque cas d'espèce, mais on peut regretter que le texte ne contienne pas au moins des exemples indicatifs, ou précise le degré d'équipement requis.

 

 

100.  A l'étude, on ressent parfois un certain malaise de la jurisprudence, qui, nous le verrons, quand elle ne se détache pas complètement de cet élément pour motiver sa décision, l'estime parfois insuffisant à lui seul pour emporter la conviction.

 

                Deux principaux problèmes émanent de cette notion. D'une part, le fait que ces éléments doivent être nécessaires à l'exploitation, appelle à se demander dans quelle proportion ces éléments doivent garnir l'immeuble ; l'immeuble doit-il comporter tout le matériel nécessaire à l'exploitation ou une certaine partie seulement ? (§2).Mais avant de s'intéresser à cela, il faudra préciser  le point de savoir si la qualification du bail suit l'évolution de la relation contractuelle, autrement dit le moment où la qualification s'apprécie (§1).

 

 

§1 Moment de l'appréciation de la qualification fiscale du bail

 

               

101.  Un arrêt du Conseil d'Etat pose la solution. La situation est fixée lors de la conclusion du contrat de location (A), toutefois elle ne semble pas figée (B)

 

 

A. Une situation fixée lors de la prise d'effet du bail

               

 

102.  On va ici voir quel est le moment de l'appréciation du critère rendant commerciale la location. La jurisprudence sur la question est claire. En l'absence de modification de l'objet de la location, celle-ci voit son caractère fixé en fonction de la situation qui existait à la date d'entrée en vigueur du bail. C'est la solution que donne un arrêt du 18 mars 1983[79].

 

En l'espèce, était en cause l'application de l'article 206-2 du CGI. La SCI X avait donné en location à une coopérative Y, par un bail prenant effet le 1er juillet 1964 pour douze ans, un immeuble doté de l'équipement nécessaire à l'affinage et au stockage du fromage. Les loyers ont été considérés comme des bénéfices industriels et commerciaux, donc la SCI a été soumise à l'impôt sur les sociétés, ce qu'elle conteste. Elle admet que l'immeuble a été loué muni du matériel destiné à cette activité, mais avance que le preneur ne réalisait plus cette activité  que pour une part réduite, l'essentiel de l'activité étant devenu le conditionnement pour lequel aucun équipement ne garnissait l'immeuble. Le Conseil d'Etat relève qu'aucun bail n'a été conclu pour ces activités et donc c'est le bail d'origine qui doit être pris en compte. En l'absence de modification de l'objet du bail, la location s'apprécie selon la situation existant à sa prise d'effet.

 

 

103.  Quel est donc l'objet d'un bail ? Bien évidemment celui-ci est constitué par l'immeuble loué. L'objet est une des quatre conditions essentielles à la validité des contrats qu'exige l'article 1108 du Code civil. Référence vers laquelle on se tournera naturellement.

 

Or à la notion d'objet s'attache plusieurs acceptions. On distingue usuellement l'objet de l'obligation et l'objet du contrat[80]. Selon l'article 1126 du Code civil, l'objet de l'obligation est la chose sur laquelle porte l'obligation. Dans un sens plus large c'est la prestation promise, celle qui répond à la question Qu'est-il dû ?. Il doit être déterminé, licite et possible.

L'objet du contrat, pour sa part se déduit de la liaison des obligations des parties. C'est le contrat vu avec une certaine hauteur, par l'examen de l'opération globalement. Ici on tend à rechercher un certain équilibre.

 

 

104.  De prime abord l'expression "objet du bail", employée par l'arrêt fait penser, à la notion d'objet du contrat. Mais ici, vu la fonction assignée à cette acception, celle d'équilibrage (qui sert notamment de base à la théorie de la lésion) et une fonction de vérification de la licéité de l'opération, on n'en voit guère l'intérêt ici.

 

 La place de cette théorie étant plus appropriée dans la théorie de l'acte anormal de gestion. On peut donc penser que le Conseil d'Etat a visé par-là l'objet de l'obligation du bailleur, c'est-à-dire l'immeuble. Celui-ci était-il équipé à la conclusion du contrat, le loyer perçu sera à ranger dans la cédule des bénéfices industriels et commerciaux.

 

Mais la solution posée par cette décision semble laisser une porte de sortie, bien qu'elle nous semble restrictive.

 

 

B. Une qualification susceptible d'évoluer

 

 

105.  La décision parle de "modification de l'objet du bail". Ce qui laisse entendre que la qualification peut évoluer avec celle des relations des parties. Jusque là le bail reste intangible dans sa qualification. Donc, si le contrat reste le même, et si à l'origine il constituait une location commerciale, il reste ainsi, alors même que par exemple la société preneuse a changé d'activité de telle sorte que l'équipement présent dans l'immeuble ne lui est plus d'aucune utilité. C'est la thèse inverse qu'avait soutenu la société requérante et qui a été rejetée comme nous l'avons vu.

 

 

106.  Faut-il comprendre par-là que le Conseil d'Etat exige une novation du bail. C'est ainsi que l'on peut comprendre l'expression "modification", d'autant plus que cela correspond à une hypothèse prévue par le Code civil à l'article 1271, 1°, qui traite de la novation par changement d'objet, de cause ou de modalité de l'obligation.

 

La novation se définie comme, l'opération juridique par laquelle, les parties décident de substituer une obligation nouvelle à une obligation préexistante, qui elle disparaît. En la matière il y a des difficultés à définir un seuil, car toute nouveauté n'est pas une novation. Concernant les baux, la jurisprudence civile l'admet facilement dès lors que le bail change de régime[81] et que les conditions de la novation sont réunies.

Mais en l’occurrence on rencontrera des difficultés, car le droit privé ne fait pas écho aux subtilités du droit fiscal. Le professeur Cozian remarque que contrairement au droit civil, où se sont les meubles qui garnissent l'immeuble qui suivent le régime de ce dernier, en droit fiscal se sont les immeubles qui s'inclinent face aux meubles. Il relève qu'en droit privé, la location d'une usine équipée ne rend pas forcément commerçant[82].

 

 

107.  Ce point mis à part, on peut se demander si en droit privé on peut voir une novation dans ce cas. La doctrine civiliste discute actuellement le point de savoir si l'animus novendi est à lui seul suffisant pour opérer novation. Le professeur Simler le pense, au nom de l'autonomie de la volonté.

 

 D'autre part, si l'expression de l'intention de nover doit être claire, selon l'article 1273 du Code civil, la jurisprudence admet qu'elle puisse résulter de faits ou actes intervenus entre les parties. Elle peut donc être tacite du moment qu'elle résulte clairement de l'acte entendu au sens du negotium. Mais par cet arrêt le Conseil d'Etat semble exiger un certain formalisme. En effet en droit privé, la novation aurait pu être admise dans les circonstances de l'espèce.

 

 Le décret de 1953, ensuite, exige l'acquiescement du bailleur pour toute déspécialisation plénière, mais le bailleur peut demander une augmentation du loyer sans que soit suivie la procédure prévue pour la révision du loyer. Il semble possible de dire que c'est un nouveau contrat qui naît. On peut tirer argument d'une disposition de l'article 34-3 du décret (article L 145-50 du Code de commerce) qui prend soin de préciser que les créanciers inscrit conservent leur rang. Or comme la novation fait en principe tomber les sûretés antérieures, cette précision permet de penser qu'il y a novation et qu'on a voulu en limiter les effets. Enfin, on peut tirer un argument a contrario du fait que l'article L 145-47 alinéa 3 prévoit que s'il y a simplement adjonction d'une activité connexe ou complémentaire, la révision du montant du loyer se fera lors de la prochaine révision triennale.

 

 

108.  Le Conseil d'Etat exige donc des éléments plus concrets, voir formalistes,  pour faire perdre son caractère premier au bail. Du moins il ne semble pas vouloir se contenter d'une novation tacite. Ceci est peut-être une conséquence de la non-prise en compte de l'activité exercée par le locataire. Cela pose problème quand le locataire change complètement d'activité. Les parties devront donc, si elles veulent modifier la situation du bailleur, soit nover plus ostensiblement leur contrat, soit plus radicalement détruire le premier par leur mutuus dissensus et conclure un nouveau contrat matérialisé par un nouvel instrumentum, ayant pour objet le même immeuble cette fois-ci dépourvu de tout équipement.

La solution  toutefois peut s'expliquer. En fait le Conseil d'Etat ne fait ici qu'appliquer les règles du Code civil. En effet quand bien même on pourrait considérer qu'il y a novation, il ne faut pas oublier que l'administration reste un tiers à l'opération, se pose donc ici un problème d'opposabilité de cette novation, si on admet qu'elle s'est produite. La solution n'est pas différente en droit privé, puisque par exemple, si le créancier se réserve les sûretés dans l'accord opérant novation, ces garants doivent renouveler leur engagement. Ce n'est là que l'effet relatif des contrats.

 

 

109.  Ainsi, donc la nature de la location semble déterminée lors de la prise d'effet du contrat. Si changement il y a le nouveau contrat devra pouvoir être rendu opposable à l'administration, faute de quoi le bailleur risque d'être vu comme louant un immeuble pourvu de l'équipement nécessaire à l'exploitation .Equipement qui rend la location commerciale, ce qui nous conduit, à présent, à nous interroger sur la question de savoir quand un immeuble doit être vu comme un immeuble équipé.

 

 

§2 Détermination de la notion d'immeuble équipé 

 

 

110.  En fait cela ouvre une double interrogation. Bien sûr, la première question qui vient à l'esprit et celle de savoir à partir de quel degré d'équipement l'immeuble sera perçu comme un immeuble doté du matériel nécessaire à l'exploitation du fonds (B). Avant cela on pourra s'arrêter sur un autre point soulevant difficulté,  qui est celui de savoir quelle nature doivent avoir les biens d'équipement (A), c'est-à-dire, si ceux-ci doivent être nécessairement de nature mobilière.

 

A.   Caractères des aménagements

 

 

111.  Il faut ici déterminer quels sont les aménagements qui seront pris en considération pour apprécier le caractère aménagé des locaux. En effet, le droit n'ignore pas les ensembles. Le droit des biens considère que des biens de nature mobilière par nature, c'est-à-dire, d'après l'article 528 du Code civil, les corps pouvant se transporter d'un lieu à un autre, par eux-mêmes ou par l'effet d'une force extérieure, peuvent perdre cette qualification.

 

Dans certaines circonstances, ces meubles peuvent changer de nature. Ainsi, l'article 524 du Code civil prévoit qu'un effet mobilier peut devenir immeuble par destination, dès lors, qu'il est attaché au service ou à l'exploitation d'un fonds. L'article cite même "les ustensiles nécessaires à l'exploitation des forges, papeteries et autres usines". Une liaison intellectuelle peut ainsi être suffisante pour modifier la nature d'un bien.

 

Ensuite, selon l'article 525 du Code civil sont réputés immeubles, les meubles attachés à un immeuble à perpétuelle demeure, c'est-à-dire, en bref, ceux ne pouvant être détachés de leur support immeuble, sans détérioration de l'un ou de l'autre.

On le voit donc un bien peut emprunter la qualité d'un autre bien avec lequel il a des liens particuliers.

 

 

112.  La question est donc de savoir si un tel meuble, dénaturé, peut encore être vu comme un bien d'équipement susceptible d'influer sur la qualification de la location.

 

D'après les arrêts sur la question, la jurisprudence ne semble pas faire long cas des ces circonstances. Ainsi, dans l'arrêt du 18 mars 1983[83], que nous avons étudié plus haut, relève qu'un système d'étagères et des installations frigorifiques, rendent la location commerciale.

Un autre arrêt du 13 février 1985[84], qualifie une location de commerciale du fait d'installations, telle qu’un golf, un terrain de tennis, une piscine, des vestiaires, tant d'équipements incontestablement de nature immobilière.

 

 

113.  Le critère déterminant n'est donc pas à rechercher dans cette voie. Position que l'on doit approuver. Il serait artificiel de ne prendre en compte que certains types de biens, à savoir, à première vue des biens meubles, ce qu'une lecture rapide de l'article 35, 5° peut induire. Cela d'autant que ces données sont variables suivant l'installation en cause et les besoins de l'exploitation. C'est donc là un faux problème.

 

En fait, la vraie question que soulève l'expression "nécessaire à son exploitation" est autre. Les interrogations autour de ce point sont de savoir s'il faut entendre par-là tout l'équipement nécessaire ou alors seulement l'essentiel de l'équipement nécessaire.

 

B.   Le degré d'équipement requis

 

 

114.  C'est le point relevé par le Commissaire du Gouvernement Delmas-Marsalet dans ses conclusions sous l'arrêt du 31 mai 1972[85].

Il relève qu'un arrêt du 6 avril 1959 était susceptible de prêter à confusion. Celui-ci énonçait que " l'usine en cause … était loué munie de tout son matériel de production", donc a contrario, il serait possible de soutenir que si tout l'équipement n'était pas en place la solution aurait été différente. Le Commissaire du Gouvernement refuse une telle analyse.

 

Le Conseil d'Etat le suit dans cette décision. Ici le requérant contestait la qualification commerciale de la location. Les faits étaient les suivants : une SCI louait un  immeuble muni de matériel scellé, alors qu'auparavant avait été vendus les stocks et matériels mobiles à l'union coopérative locataire.

Le matériel fixe comprenait des installations frigorifiques, d'humidification et de chauffage. Le matériel mobile cédé était constitué de pompes à eaux et à saumure, de transporteurs à chariot, de bascules et divers autres appareils. Selon le Commissaire du Gouvernement, il paraît "difficile de refuser la qualification commerciale à la location d'un établissement industriel spécialement aménagé à une fin productive déterminée et qui serait munie d'une partie seulement du matériel, si compte tenu de la nature de l'activité en cause, cette partie constitue en fait, l'essentiel de ce qui est nécessaire à l'exploitation".

 

Le Conseil d'Etat suit cette position ; on citera ici le considérant pertinent de l'arrêt :

 

"Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société civile immobilière … a loué en 1964 à l'Union des coopératives fromagères du … un immeuble doté d'un matériel important permettant l'affinage et le stockage des fromages et constituant l'essentiel de l'outillage nécessaire à l'exploitation de ladite coopérative  ; que dans ces conditions, la location portait sur un établissement industriel au sens des dispositions précitées de l'article 35-I du Code général des impôts ; que la société civile immobilière … doit dès lors être regardée comme exerçant par l'effet de ce bail une activité de nature industrielle et commerciale " ;

 

 

115.  Tout est donc dit. On rejoint là, mais en l'énonçant clairement une position tenue de longue date. Un arrêt du 23 avril 1956 parlait d'un équipement en nombre suffisant pour son exploitation en l'état. Les autres arrêts que l'on peut citer ne sont que des mises en œuvre de cette solution, appliquée à des cas d'espèce.

Tel est le cas par exemple d'un arrêt du 16 juin 1982[86], qui en fait est un cas limite. Dans cet arrêt, un SA tentait de contester l'assujettissement à la TVA de la location d'un terrain, consentie à une association sportive pour la pratique du golf. Selon la requérante, cette location est civile car le terrain n'avait été que très sommairement aménagé par elle. Sur le terrain en question avaient été effectués avant la location, des travaux de gros œuvre afin de permettre par la suite l'installation d'un terrain de golf. Le Conseil d'Etat relève que ces travaux avaient figuré à l'actif du bilan de la SA.

 

Toutefois, cette circonstance semble insuffisante pour emporter la conviction des juges. C'est pourquoi, est également relevé par la haute juridiction des éléments mettant en évidence la participation du bailleur aux résultats de l'exploitation, tel que l'identité des personnes à la tête des deux entités et l'indexation du loyer selon un pourcentage des cotisations versées par les joueurs.

On peut remarquer un  embarras similaire dans l'arrêt dit de la "bombe au cobalt" dans lequel il avait également été relevé l'aménagement des locaux, mais la décision s'était fondée sur la seule indexation sur les bénéfices pour  juger que la location était commerciale[87]. En la matière donc, il semble pouvoir être fait une autre distinction : un immeuble aménagé, même spécialement pour une activité donnée, n'est pas un immeuble suffisamment équipé.

 

 

116.  Le critère déterminant est donc l'équipement de l'immeuble par du matériel en permettant l'exploitation en l'état. Logiquement donc, ce matériel doit être en état de marche au moins au jour de l'entrée dans les lieux. Ces solutions données par la haute juridiction doivent être approuvées. En effet, le critère d'équipement essentiel semble correspondre à un point d'équilibre acceptable. Décider que c'est tout l'équipement requis aurait, à n'en pas douter, entraîné un contentieux énorme sur des questions ridicules. Pour caricaturer un peu, dans un immeuble à usage de bureau, l'absence d'une lampe aurait donné lieu à contestation sur la nature de la location.

 

 

117.  On vient donc de voir que l'article 35 du CGI contient des dispositions traitant de la commercialité des activités. Celles-ci diffèrent plus ou moins du droit privé dans la mesure que l'on a vue, notamment concernant la notion d'immeuble équipé. En effet, si l'on veut comparer avec le droit privé et rattacher cette solution à celle du droit commercial, on peut dire que la location de meubles est seule une activité commerciale. Selon le droit civil, les meubles affectés à un immeuble, empruntent sa nature. En droit fiscal, il semble que cela soit l'inverse.  Dans ces conditions, la location devient une activité commerciale imposable dans la cédule des bénéfices industriels et commerciaux, si le bailleur est un particulier. Le Conseil d'Etat semble donc assimiler un immeuble à un outil de production, au même titre qu'une machine quelconque.

 

Certes dans le cas présent la sécurité juridique des opérateurs est moins en cause puisque cette commercialité résulte de dispositions précises du CGI, qui font l'objet d'une interprétation relativement stable et ce depuis un certain temps. Il suffit de se référer à la date des arrêts cités. Mais les divergences entre branches du droit sur un même fait sont-elles souhaitables ? D'autant que dans cette position, rendant la location d'un immeuble équipé commerciale, transpire tout de même une idée de fraude.  On semble présumer que le bailleur a en fait voulu louer des meubles sous couvert de l'immeuble. Mais c'est là un choix du législateur, dont il faut prendre acte.

 

 

 

 

118.  En conclusion nous venons de voir le long de ces deux chapitres les critères de commercialité les plus susceptibles de s'appliquer à la location consentie par une SCI à une société commerciale. Tantôt ce sera le mode de détermination du loyer qui fera la différence, tantôt ce sera la nature du bien loué, tantôt encore le comportement du bailleur. Dans tous les cas les solutions résultent d'une analyse somme toute assez pointue de la situation. Trop peut-être, selon le professeur Cozian qui dénonce les questions de principes pointues permettant aux vérificateurs d'opérer des redressements alors, que leur fonction devrait plutôt être de débusquer les fraudeurs et autres dissimulateurs.

 

Cela révèle également des divergences de qualification et le détachement du droit fiscal de certaines notions de droit privé ou du droit des biens. Si l'on peut admettre la divergence prévisible issue de l'article 35, et avec une assise textuelle claire, celle issue de l'article 34, la fameuse "commercialité par ambiance", est plus critiquable, car sauf à suivre parfaitement la jurisprudence en la matière, les opérateurs risquent d'être pris au dépourvu.

 

La situation ne serait pas aussi grave s'il s'agissait simplement d'un changement de cédule, encore qu'il reste toujours le problème de la cessation d'entreprise parmi  les effets induits. Mais, dès lors qu'une SCI est en cause une autre disposition entre en jeu. Qualifiée de "traquenard" ou "d'attrape nigauds" par le professeur Cozian, c'est l'article 206-2 du CGI, dont nous allons à présent étudier la mise en œuvre. Disposition que l'on peut qualifier de disposition à double détente. Le premier malheur est passé voici le suivant qui arrive.

 

 

 

Titre II : L'article 206-2 du CGI : ses suites et son contexte

 

 

 

               

 

 

 

 

 

119.  Nous venons de voir les différents facteurs risquant de faire basculer une location d'immeuble dans le domaine des bénéfices industriels et commerciaux. Nous avons ainsi vu que certaines clauses du bail, liées ou non à certains comportements du bailleur, ou encore, que les caractéristiques des locaux, étaient susceptibles de modifier les données. De façon générale, on a vu que la situation n'était pas toujours des plus claire et que la location pouvait facilement se dénaturer.

 

Le  problème lié a ce fait est a priori un changement de cédule d'imposition : les loyers déclarés spontanément comme des revenus fonciers, auraient en réalité dû l'être comme des bénéfices industriels et commerciaux. Cela est valable pour un particulier. Or quand une SCI est le bailleur il faut compter avec l'article 206-2 du CGI. Celle-ci devient passible de l'impôt sur les sociétés du jour où la location a commencé à pouvoir être vue comme une activité commerciale. Ce redressement est la conséquence première que l'on peut tirer de la lecture de l'article 206-2. Mais ceci est, comme on le verra, seulement l'une des conséquences, car c'est la nature même de la SCI qui se trouve bouleversée. Celle-ci devient une société opaque, tout comme les sociétés de capitaux, de la société de personne fiscalement transparente qu'elle était. Tout ceci sous l'effet d'un article dont on a du mal à cerner l'économie, comme on l'a vu, et dont certains appelle la suppression.

 

 

120.  Bien sur, cet article aux dispositions surprenantes pose problème. Mais on peut aller au-delà. Cet article tire une grande par de sa nocivité du fait des divergences dans les qualifications des situations en droit fiscal par rapport au droit privé, au moins dans le domaine de la location immobilière. L’étude de cet article, par ses prémices que nous venons de voir, mais aussi par son application nous amènera à prendre par la suite un peu de hauteur, pour aboutir à considérer le droit fiscal plus généralement.

 

Il nous faudra donc voir tout d'abord les effets induits par la qualification commerciale de la location. Nous nous placerons pour ce faire des deux côtés du montage. Ainsi nous verrons les suites liées à la qualification (Ch. I).

Ensuite, nous nous détacherons un peu du montage SCI/société commerciale. Nous replacerons l'article 206-2 dans son ordonnancement, pour enfin nous intéresser, de façon plus générale aux interrogations que peuvent susciter les divergences par rapport au droit privé que l'on a croisées. Ainsi nous verrons les interrogations qui peuvent naître face à certaines règles de droit fiscal (Ch. II).

 


 

 

Chapitre I : Suites liées à la requalification de l'activité de la SCI

 

 

 

121.  L'analyse des critères de commercialité afférent à une location d'immeuble à usage commercial ou industriel, a pour fin d'aboutir au redressement fondé sur l'article 206-2 du CGI, qui vise les activités et opérations visées aux articles 34 et 35 du même code, et ce, tels que perçus par la jurisprudence. Une fois ceci fait, on peut aborder le redressement proprement dit. Bien sûr, la qualification a comme conséquence première d'assujettir la société civile à l'impôt sur les sociétés, selon les termes même de l'article 206-2. Mais cela ne constitue qu'un aspect. La SCI devient alors une société fiscalement opaque avec une activité commerciale. De cela il faut tirer toutes les conséquences de ce nouveau visage de la SCI.

 

 

122.  Or, dans certaines circonstances que nous avons vues, la requalification risque de toucher également la société locataire. Nous avons vu que la requalification pouvait être due au fait que le contrat de location, assorti d'une clause d'indexation sur le chiffre d'affaire, fixait un loyer trop élevé révélant une participation du bailleur aux résultats ou à la gestion de la société locataire.

Nous en resterons ici à l'hypothèse où, les deux sociétés du montage sont des résidents français, car sinon il faudrait aborder des questions relatives au transfert de bénéfices et aux mesures anti-paradis fiscaux, ce qui mériterait une étude particulière et nous mènerait trop loin et pas seulement géographiquement.

 

 

123.  En s'interrogeant ainsi sur les suites liée à la qualification de la location en activité commerciale, nous serons amenés à nous intéresser à la situation, non seulement du côté du bailleur (Section I), ce qui est évident, mais il faudra également voir les effets de la requalification dans le cas que nous venons d'évoquer, et donc de nous pencher sur les répercussions possibles du côté du locataire (Section II)


 

Section I : Le redressement de la SCI

 

 

124.  Les conséquences liées à cette requalification peuvent être qualifiées de "tentaculaires". Il faut dépasser une lecture rapide de l'article 206-2 du CGI. La SCI sera bien entendu soumise à l'impôt sur les sociétés, mais ce n'est pas tout. Bien évidement ces suites ne sont pas liées à cette disposition, mais uniquement à la requalification de l'activité de la société.

 

Entre outre, la société civile, originairement société de personne de part son objet, devient une société civile à objet commerciale. Ceci n'est possible que du fait de la différence dans l'appréhension des critères de commercialité dans les deux branches du droit. Ainsi, on aura une SCI parfaitement conforme au droit privé, mais avec une activité commerciale au regard de l'impôt. Nous avons déjà évoqué ce qu'il adviendrait d'une telle SCI si elle était commerciale au regard du droit privé. A présent, nous allons en voir les conséquences au regard du droit fiscal.

 

 

125.  On pourra ici observer deux types de conséquences. Bien sur, sera liée à cette requalification l'application de l'article 206-2 du CGI, mais également d'autres impositions liées au caractère commercial de l'activité (§1). Ensuite, on trouvera des effets plus lointains (§2) auxquels on ne pense peut-être pas directement, mais lié à l'application de cette disposition.

 

 

§1 Un changement de statut fiscal dans une ambiance de suspicion

 

 

126.  En premier lieu, on verra les conséquences au plan de la physionomie de la société et des charges qu'elle devra supporter (A). Ensuite nous verrons brièvement les conditions de mise en œuvre (B), qui, bien qu'elles s'imposent par les circonstances, font planer un climat de sanction du pire des fraudeurs.

 

A.   La SCI assujettie aux impositions des sociétés commerciales

 

 

127.  D'une part au plan de la physionomie de la société, celle-ci se trouve totalement bouleversée du fait de l'application de l'article 206-2.

 

A priori, le seul changement envisageable à ce stade, serait qu'à statut égal, les revenus auraient dû être déclarés en tant que bénéfices industriels et commerciaux et non comme revenus fonciers, ce qui, comme on le verra peut être le fait d'une mesure de limitation des effets de cette disposition.

Mais il faut compter avec l'article 206-2 qui rend la société civile opaque, et partant, passible de l'impôt sur les sociétés. On à du mal à voir pourquoi, soudainement la société fait écran avec les associés du seul fait qu'elle réalise des opérations dites commerciales.

Certains auteurs y voient un épouvantail destiné à éviter les dévoiements de la structure[88]. Mais les justifications au maintient de cette disposition sont obscures. On a vu que de l'aveu même de nos décideurs, elle est un problème.

 

 

128.  Ainsi donc notre SCI devient un contribuable à part entière, donc elle sera personnellement redevable.

M. de la Martinière enseignait au sujet de l'impôt sur les sociétés, qu'il est en principe volontaire, sauf ici. En outre pour lui cet impôt, bien qu'ayant le même cadre général que les bénéfices industriels et commerciaux, afin de ne pas influer sur les choix de mode d'exploitation des opérateurs, connaît des aménagements pour améliorer la compétitivité du tissu économique.

 

De façon générale le professeur Cozian relève que c'est le critère de la responsabilité limité des associés qui commande l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés[89]. En effet, même en droit privé, les sociétés de personne qui sont gouvernées par un fort inuitu personae, laissent transparaître la personne de ses associés dont la responsabilité peut être recherchée indéfiniment, au moins à proportion de leurs apports. Il y a donc là concordance de l'analyse fiscale de la structure avec l'analyse du droit privé.

Or dans ce cas la SCI devient opaque fiscalement, mais ses associés restent indéfiniment  responsables. Tombe donc une des justifications de la disposition qui avait cours lors de son édictions. De plus cela laisse à penser qu’il y a  là sanction. Mais sanction de quoi ?

 

 

129.  Notre SCI se retrouve assujettie à l'impôt sur les sociétés. Bien sur le taux de 33, 1/3 % peut sembler plus attractifs  vu le taux marginal supérieur de l'impôt sur le revenu que pourraient être amenés à supporter les associés. Cela explique la multiplication des options pour cet impôt que permet l'article 206-3. Mais dans ces circonstances cela ferait presque de l'article 206-2 une mesure de faveur.

 

Or, il faut également avoir égard aux autres circonstances. D'abord le redressement se fera dans la limite des délais de prescription, ce qui alourdira encore la charge. Ensuite, il faut également prendre en compte que depuis le 1 janvier 1995 est due en vertu de l'article 235 ter, Z A, I une contribution additionnelle de 10 %, assise sur l'impôt brut, et le cas échéant, si la société réalise un chiffre d'affaire supérieur à 50 millions de francs et si son capital est détenu pour moins de 75 % par des personnes physiques, une contribution temporaire de 10 ou 15 %.

 

 

130.  Si certains associés ne sont pas des résidents français, sera due, selon l'article 119 bis 2 du CGI, une retenue à la source de 25 % sur les revenus distribués à ces non-résidents.

 

Ensuite, lié à la seule requalification de l'activité, la société devient un assujetti agissant, à titre onéreux, en tant que tel. Donc le loyer sera taxable à la TVA, sauf hypothèse dans laquelle l'administration a décelée une activité de marchand de biens, auquel cas le loyer restera non soumis à la TVA. En pratique apparaîtra un problème, car le montant acquitté par le locataire sera réputé toutes taxes comprises, et donc la TVA réputée encaissée par la SCI, mais non reversée au Trésor. Ensuite il suffira que d'autres locations soient hors-champ pour que notre société soit admise au régime des redevables et/ou assujetti partiel, ce qui demande une bonne connaissance du mécanisme de la TVA.

 

Enfin, puisque la SCI devient une personne exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou libérale à titre habituel, sera également due la taxe professionnelle. Celle-ci à pour assiette, aux termes de l'article 1467 du CGI, la valeur locative des immobilisations corporelles et une fraction de la masse salariale.

 

Là sont les principales conséquences attachées à la requalification, cependant en pratique on va rarement au bout des conséquences attachées à l'application de 206-2, car cette disposition, de moins en moins utilisée en pratique, tend à devenir un instrument utilisé en opportunité par l'administration, au gré de ses intérêts. Un peu à l'image des nullités de la période suspecte, en droit des procédures collectives, 206-2 semble souvent mis en œuvre lorsque l'administration veut appréhender des sommes qui lui échapperaient si la SCI restait hors du champ de l'impôt sur les sociétés.  

On peut également à présent s'arrêter un instant les modalités de ce redressement.

 

B.   Procédure de redressement 

 

 

131.  Le professeur Cozian relève les conditions "infamantes" d'assujettissement à l'impôt sur les sociétés. En effet, jusqu'alors les revenus de la SCI avaient été spontanément déclarés par chaque associé dans la catégorie des revenus fonciers dans sa déclaration, donc il n'y a pas eut de déclaration de la part de la SCI.

Dés lors selon l'article L 66 2°, 3°, 4° LPF, le contribuable, que devient la société, qui n'a pas déclaré l'ensemble de ses revenus est justiciable de la procédure de l'imposition d'office. Le service arrêtera donc librement l'évaluation du revenu imposable en s'appuyant, au besoin, sur tout élément à sa disposition. Or en l'espèce elle aura de tels éléments en abondance puisque par hypothèse les revenus auront été déclarés.

 

C'est là que s'illustre la notion de "question de principe extrêmement pointue", dénoncée plus haut, et qui place des contribuables de bonne foi en voie de redressement. Ceci qui ne cadre pas avec la conception contemporaine de celui-ci, qui est réputé de bonne foi, et qui justifie la méthode déclarative pour la liquidation de l'impôt.

 

Cependant, dans le dossier de l'affaire de la SCI alsacienne, celle-ci s'est vu appliquer la procédure de redressement contradictoire, prévue à l'article L 55 LPF. En effet, la procédure de redressement contradictoire étant la règle et la taxation d'office l'exception, il faut un préalable. C'est ce que l'on apprend de l'article L 65 LPF. Le 2° de l'article L 66 précise que la taxation d'office s'applique sous réserve de la régularisation prévue par l'article L68. Ce dernier prévoit un "délai de rattrapage" pour le contribuable : celui-ci dispose d'un délai de trente jours, après mise en demeure pour régulariser sa situation. Lorsqu'il le fait, c'est la procédure contradictoire qui s'applique à nouveau. Donc lui sera adressé une notification de redressement motivée, afin que le contribuable puisse formuler ses observations. Donc un contrôleur empressé préférera appliquer immédiatement la procédure contradictoire, même ci en principe la procédure de taxation d'office pourrait jouer. Ce n'est pas là une mesure de faveur pour le contribuable, mais cette dernière étant plus radicale, elle appelle en contrepoids pour le contribuable, à savoir les délais supplémentaires prévus par l'article L 68 LPF, donc au total le processus sera plus long.

 

A ce stade on imagine bien que la pilule soit amère, mais il ne faut pas oublier d'autres désagréments moins visibles à première vue.

 

§2 Les effets induits  

 

               

132.  Nous avons vu que la soumission de la SCI aux impositions liées à son activité commerciale opère un véritable changement de physionomie de celle-ci. Elle devient une société passible de l'impôt sur les sociétés, exerçant une activité commerciale taxable à la TVA. Mais en outre, d'autres effets sont attachés à ce changement radical du régime applicable à la société, effets souvent plus lointains auxquels on ne pense peut-être pas spontanément.

Ces effets peuvent se voir à deux niveaux. Tout d'abord au plan de la société (A), qui  change de mode d'imposition et relève désormais de la fiscalité des entreprises. Ensuite, celle-ci n'est pas isolée et entretient des relations avec ses associés sous forme de distributions, ce qui est un des objectifs de la société. Il faudra donc s'intéresser aux effets au niveau des associés (B).

 

A. Effets secondaires au niveau de la société

 

 

133.  On verra ici deux points. D'une part ce changement de régime implique de nombreux changements, puisque l'on passe de la fiscalité des ménages à la fiscalité des entreprises. Or ceci n'entrait pas dans les prévisions des fondateurs, qui dès lors, n'auront pas tenu la comptabilité adéquate, ce qui vaudra quelques désagréments supplémentaires (1). Enfin on peut s'interroger sur le point de savoir si les conditions de la cessation d'entreprise sont réunies (2).

 

1. Désagréments liés au changement de régime fiscal de la SCI

 

 

134.  En principe une telle structure est dotée d'une certaine neutralité fiscale, car elle est soumise aux règles de la fiscalité des ménages. Elle est dite semi-transparente. Selon l'article 8 du CGI, elles ne sont pas assujetties à l'impôt sur les sociétés ; le voile de la personne morale est à certains égards, percé. Toutes les contingences "techniques" sont faites au niveau de la société tel que par exemple la détermination du résultat, les vérifications de comptabilité ou encore la qualification de l'activité.

Par contre le paiement des impositions dues ou l'imputation des déficits se fait au niveau de chaque associé selon sa quote-part. Dans le cas simple, la neutralité est réelle, car il n'y a au niveau de l'imposition des associés pas de différence par rapport au cas où ils seraient personnellement propriétaires des immeubles.

 

Le régime devient plus complexe lorsque les associés ne sont pas de simple particulier, car la personne des associés peut faire varier le mode de détermination du résultat, ce qui oblige la société à tenir plusieurs types de comptabilité. Ainsi en est-il lorsque les parts de la SCI sont comprises dans le bilan d'une exploitation industrielle et commerciale. La quote-part est alors déterminée selon ce régime. De même, si l'un des associés est une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés, selon l'article 238 bis K.

Bref l'expression "sacs d'embrouilles"[90] du professeur Cozian résume bien la situation.

 

               

135.  Dans le régime de la fiscalité des ménages les règles sont pour l'essentiel les suivantes, car on ne va pas dans le cadre de ce mémoire faire un cours de fiscalité, que d'éminents professeurs ont déjà fait.

La comptabilité suit les règles de la comptabilité de caisse, sont donc pris en compte dans le résultat, les recettes encaissées et les charges décaissées.

Au plan des déductions, y sont éligibles les intérêts d'emprunt, les frais de modernisation, les taxes foncières. Les frais de gestion et d'amortissement  sont déductibles pour un montant forfaitaire de 14 % des loyers encaissés. Par contre, ne sont pas déductibles les frais d'acquisition car ils sont analysés comme des frais d'acquisition du capital. Corrélativement, le remboursement anticipé du capital emprunté à cette fin n'est pas un produit, ce qui a gêné l'administration dans l'affaire jugée par le tribunal administratif de Strasbourg en 1999.  

En cas de résultats bénéficiaires, ceux-ci sont imposés au niveau de chaque associé, dans la catégorie des revenus fonciers s'ils sont de simples particuliers, et ce à la clôture de chaque exercice, quand bien même il n'y aurait pas de distribution effective. En cas de déficits, ils doivent être imputés au niveau des associés sur les revenus de même nature exclusivement, soit immédiatement si ces revenus sont suffisants, soit dans les cinq années suivantes dans le cas contraire.

 

 

136.  Pour le régime de la fiscalité des entreprises, la comptabilité est dite d'engagement. Les frais d'acquisition sont ici déductibles sous cinq ans. Les déficits sont imputables, au niveau de la société cette fois-ci, selon les différentes méthodes possibles (dans les cinq ans sauf à les préserver selon la méthode des amortissements réputés différés, ou sur les exercices antérieurs par la méthode du carry-back).

Les bénéfices distribués sont imposés chez les associés quand ils sont distribués ou présumés distribués, assortis de l'avoir fiscal le cas échéant. Ceux mis en réserve sont imposés au taux de 36, 2/3 %.

 

 

137.  A priori, le régime de la fiscalité des entreprises semble plus avantageux, notamment concernant les déductions et la gestion des déficits.

Mais il ne faut pas oublier que jusqu'au redressement la société ne tenait pas une comptabilité adaptée et la plupart des avantages relevés sont perdus. En outre des contraintes spécifiques aux sociétés de capitaux s'imposent. On s'intéressera au sort des amortissements (a) et au financement de l'activité par la technique des avances en compte courant d'associé (b).

 

a. Sort des amortissements    

 

               

138.  L'amortissement est la constatation de la dépréciation définitive de certains éléments de l'actif immobilisé. Cela constitue le pendant de l'exigence comptable de sincérité. Pour être admis en déduction la dotation doit avoir été régulièrement comptabilisée. Une dotation doit être enregistrée pour un montant minimum correspondant au taux linéaire, et ce, alors même que le résultat serait déficitaire (L 123-20 Code de commerce).

La méconnaissance de cette règle entraîne la déchéance du droit de déduire les dotations concernées (Article 39, 1-2° du CGI prévoyant la déductibilité des amortissements réellement effectués).

Le point de départ est fixé à la date de mise en service de l'immobilisation.

 

Or, nous avons vu que dans le cadre de la fiscalité des ménages, à laquelle est normalement soumise la SCI pour les revenus fonciers, un forfait est prévu : 14 % comprenant amortissement et frais de gestion :

 

                Exemple : si la SCI possède un bâtiment d'une valeur de 1 000000 de francs

Le taux admis est généralement de 5 % sur 20 ans ; l'annuité sera alors au taux linéaire de           

                                   50000 francs par an ;

                                   dans le régime des revenus fonciers, si le loyer est de 10000 francs mensuels, l'annuité sera

                                   de 16800 francs dans les quels seront inclus les frais de gestion.

 

La SCI subira donc une perte importante de charges déductibles.

 

Mais cela n'est pas tout au niveau des charges. Un autre problème peut être relevé et touchant au financement par compte courant d'associé.

 

b. Problèmes liés au financement par compte courant d'associés

 

               

139.  Le compte courant d'associé est en principe une aide à la trésorerie de l'entreprise, fournie par les associés. Ces derniers consentent à la société des avances ou prêts par versement de fonds, dividendes ou rémunérations. En droit des sociétés, il faut bien distinguer ces avances des apports, qui constituent le capital social et qui sont enregistrés au compte "capital"[91].

 

140.  Pour la société, les intérêts servis constituent des charges déductibles. Mais ce procédé a été encadré pour faire face à certains abus.

En matière fiscale, il est des limitations communes à toutes sociétés. L'article 39,1-3° du CGI exige que d'une part le capital social soit entièrement libéré, ce qui est logique, autant favoriser en priorité l'utilisation de sommes dues à la société.

 Par ailleurs l'article L 228-39 du Code de commerce pose la même exigence concernant l'émission d'obligations (alinéa 3).

 

Ensuite, il y a une limitation tenant au taux d'intérêt rémunérant ces mises à disposition. Celui-ci ne doit pas excéder le taux obtenu par la moyenne annuel des taux de rendement brut à l'émission des obligations des sociétés privées[92]. Cette limitation par les taux, procède de la même inspiration que l'acte anormal de gestion que nous verrons plus loin. En effet le taux s'il est supérieur à ces moyennes  devient désavantageux pour la société puisque le prix de l'argent devient supérieur, donc moins avantageux pour elle. La part supérieure à ce taux sera réintégrée au résultat fiscal. Ces limitations sont parfaitement justifiées, mais la SCI du fait qu'elle devient une société passible de l'impôt sur les sociétés se voit appliquer une autre limitation concernant les intérêts des comptes courant d'associé, limitation propres à de telles sociétés et prévues par l'article 212 du CGI qui complètent ces limitations générales.

 

 

141.  La déduction des sommes mises à la disposition de la société par les associés, qui dirigent ou contrôlent la société, ne sont admis en déduction que dans la mesure où l'ensemble des sommes mises à la disposition de la société n'excède pas une fois et demi le capital social libéré.

 

Ceci peut s'avérer problématique pour une SCI qui n'est soumise à aucune condition de capital minimum, et dont on sait que la tendance est de les constituer avec un capital dérisoire, d'autant plus dans un montage SCI/société commerciale, l'on compte sur les loyers pour rembourser les emprunts.  Par exemple pour la SCI alsacienne, le capital était de 1200 francs. Donc en pratique, il est habituel de la constituer avec un capital faible et de financer les investissements soit en ayant recours à des crédits bancaires soit par compte courant d'associé.

 

                Exemple : une SCI au capital de 1000 francs à laquelle il fait une avance en compte courant de 

                               1 000000 de francs ; en prenant le taux maximum déductible du 4ème trimestre 2000,

   soit 6,48 % ; pour une  SCI  non soumise à l'impôt sur les sociétés, les intérêts   déductibles   représentent 64800 francs ; soumise à l'impôt sur les sociétés la part déductible est ramenée à

97,20 francs ! La part excédentaire (63702,80 francs) sera réintégrée dans le résultat fiscal. Quant à l'associé, cette part sera considérée comme un revenu distribué en application des articles 109-1,1° et 110 du CGI.

 

 

142.  Donc par la suite, sauf à procéder à une augmentation de capital, le financement par avance en compte courant d'associé sera fermé pour la SCI.

 

Enfin, on peut s'interroger sur une dernière conséquence liée au changement de régime fiscal, à savoir la question de la cessation d'entreprise, qui surajoute des conséquences financières au redressement. 

 

 

2. Changement de régime fiscal et cessation d'entreprise

 

 

143.  Lorsqu'une société ou un organisme change de régime fiscal, les conséquences attachées à ce changement s'analysent en une cessation d'entreprise, c'est-à-dire que la société est considérée comme dissoute et une nouvelle entité prend sa place. Parmi les événements générateurs, figure la perte totale ou partielle du régime fiscal des sociétés de personnes.

Dans ce cas le principe appelle l'imposition immédiate des bénéfices d'exploitation en cour au nom de chaque associé, celle des bénéfices en sursit d'imposition (provisions qui perdent leur raison d'être et plus value en report d'imposition), plus-values latentes comprises dans l'actif social.

 

Une atténuation est prévue lorsqu'il n'y a pas création d'une personne morale nouvelle. Dans ce cas, les bénéfices en sursit d'imposition et les plus-values latentes ne sont pas imposables, s'il n'y a pas de modification des écritures comptables et, si elles restent imposables sous le nouveau régime.

Les bénéfices et réserves sont réputés distribués aux associés selon l'article 111 bis du CGI.

 

 

144.  Toutefois, il est permis de s'interroger, car il est des hypothèses où l'on ne devrait pas être aussi catégorique. Il est ici question de changement de régime fiscal. L'activité, dans notre hypothèse, est commerciale en vertu des clauses du bail ou des ses modalités d'exécution. Si le bail a été modifié  après sa prise d'effet, pour par exemple y ajouter une clause d'indexation le rendant commercial, la solution est acceptable. Par contre si le contrat de location est ainsi depuis l'origine, l'activité est fiscalement commerciale depuis l'origine, donc même s'il y a eut erreur dans la déclaration il n'y a pas cessation d'entreprise selon nous, car on ne peut pas dire qu'il y ait eu changement de régime fiscal. La SCI était depuis toujours passible de l'impôt sur les sociétés, par application de l'article 206-2 du CGI. L'administration n'hésite pas à remonter jusqu'à des exercices prescrits, par exemple pour qualifier une activité de marchands de biens, elle pourrait faire de même ici, ce qui serait une démonstration de réalisme.

Cependant au dire d'un inspecteur de l'administration fiscal interrogé sur la question, en pratique les questions sont rarement poussées aussi loin et quand bien même, la solution en reviendrait alors aux talents du conseil de la société.

 

Nous avons ainsi vu les principaux effets, selon nous, liés à la requalification du côté du bailleur, mais dans certaines circonstances des répercussions sont envisageables du côté de la société locataire.

 

B. Désagréments subis par les associés de la SCI

 

145.  La société devient donc une structure passible de l'impôt sur les sociétés en raison de son activité, elle devient une société opaque, et sa personnalité morale masque celle des associés. Mais ceci n'est pas dépourvu de conséquences à leur niveau. Tout d'abord il faudra voir si cela change la nature de leur participation dans la société, ce qui peut être lourd de conséquences pour eux (1) ; ensuite comme la société devient redevable des impositions sur les bénéfices, les revenus qu'ils perçoivent de cette participation changent de nature et il faudra en voir les conséquences (2).

 

1. Statut de la participation des associés de la SCI

 

 

146.  Nous allons envisager ici le statut fiscal des parts détenus par les associés dans la SCI. Celles-ci sont susceptibles de constituer des biens professionnels pour eux et donc exonérées d'ISF. Là encore, la situation peut être variable selon que la société peut être considérée comme soumise à l'impôt sur les sociétés dès l'origine, ou l'être devenus par suite de modification du contrat de location. Dans la première hypothèse, ce statut risque d'être remis en cause le cas échéant sur toute la période non prescrite.

 

De plus si le changement de régime remet en cause la qualification de biens professionnels des parts, si elles y sont admises, l'associé risquera d'être redevable d'une plus value professionnelle, car on pourra considérer que ces parts auront été transférées dans son patrimoine privé.

 

 

147.  L'admission de ces parts au régime des biens professionnels diffère selon que la participation est détenue dans une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur les revenus.

 

Pour les sociétés soumises à l'impôt sur le revenu aux termes des articles 8 et 8 ter du CGI, c'est-à-dire les sociétés de personnes, l'article 850, O du CGI prévoit que ces parts sont considérées comme des biens professionnels si l'associé exerce dans la société son activité principale.

L'activité principale est celle qui constitue pour le redevable l'essentiel de ses activités économiques, même si cela ne constitue pas la plus grande part de ses revenus ; si entre plusieurs activités aucune n'est prépondérante on optera pour celle engendrant le plus de revenus.

 

Si la société est imposable à l'impôt sur les sociétés, deux conditions sont requises. Le porteur de part doit exercer une des fonctions de direction énumérée limitativement par la loi et détenir au moins une participation, directe ou non[93], de 25 %.

Toutefois, si la société est une société de personnes, il n'a pas à être gérant mais il doit participer de façon effective à l'activité sociale, en exerçant des fonctions professionnelles à titre principal. La rémunération perçue devant être équivalente à la moitié de ses revenus professionnels. L'article 62 du CGI dispense alors d'une quelconque participation minimum.

 

 

148.  Ces règles s'appliquent lorsque la société a une activité non civile, donc a priori cela ne nous concerne pas. Mais une dérogation existe. Pour les sociétés ayant comme objet, même non exclusif, de mettre à disposition d'une société d'exploitation dont les parts ou action sont des biens professionnels pour le redevable, la valeur de l'immeuble sera considérée comme un bien professionnel, plafonnée au produit de la quote-part détenue dans la société d'exploitation avec la valeur de l'immeuble[94].

 

 Donc pour obtenir le classement des parts de la SCI en bien professionnel, les parts ou actions détenues dans la société d'exploitation doivent représenter 25 % du capital (ou 75% de la valeur brute des biens imposables) et le contribuable doit y exercer une fonction de direction énumérée par la loi, et participer effectivement à l'activité de la SCI, et ceci devra lui valoir la moitié de ses revenus professionnels. Le seul cas dans lequel ceci est réalisable sera probablement quant la société d'exploitation sera une société de capitaux car il semble difficile d'exercer deux fonctions professionnelles à titre principal procurant la moitié des revenus professionnels. En effet si deux activités viennent en concurrence du point de vue de la part des activités économiques, on prend en compte pour déterminer l'activité principale celle qui procure la plus grande partie des revenus ; or ici les deux devront être égales.

 

 

149.  Cela étant que la SCI soit assujettie au régime des sociétés de capitaux ou des sociétés de personne n'a pas grande influence puisque les conditions requises pour une société de personne soumise à l'impôt sur les sociétés rejoignent celles requises pour les sociétés de personnes.

 

Reste à aborder une autre question concernant les associés, car la nature des revenus perçus de la SCI change fondamentalement.

 

2. Un changement de la qualification des revenus distribués par la SCI

 

               

150.  Les revenus tirés de leur participation dans la SCI avaient été spontanément déclarés comme des revenus fonciers par les associés à hauteur de leur quote-part. Or les revenus provenant d'une société opaque sont des revenus de capitaux mobiliers. Concrètement ils prennent la forme de dividendes, droit pécuniaire de l'associé, correspondant à la part de bénéfices auxquels lui donnent droit ses parts ou actions.

               

Déclarés et imposé comme tel chez les associés, se pose un problème. Le bénéfice distribuable correspond au résultat net après impôt. La société a donc déjà acquitté un impôt sur les sommes. Il y a dès lors un risque de double imposition : au niveau de la société puis réimposition de sommes ayant déjà subies un prélèvement, au niveau des associés. Un mécanisme permet de supprimer cet effet de double imposition : c'est l'avoir fiscal[95].

 

La question est donc de savoir si les associés de la SCI bénéficient de ce mécanisme.

 

               

151.  Le Conseil d'Etat par un arrêt du 29 décembre 1995[96], a décidé que l'avoir fiscal est exclusivement attaché aux produits distribués par une société à ses associés à titre de dividendes, en vertu d'une décision prise par l'assemblée générale de ses actionnaires ou porteurs de parts, dans les conditions prévues par la loi sur les sociétés commerciales.

               

La documentation administrative[97] énonce les différents produits n'ouvrant pas droit à l'avoir fiscal. On y retrouve entre autre les sommes réintégrées dans les bénéfices sociaux car non admises en déduction, les réintégrations faisant suite à un acte anormal de gestion, et les bénéfices réputés distribués suite à un redressement.

 

               

152.   Ce sont donc uniquement les distributions au sens du droit des sociétés qui ouvrent droit à ce mécanisme, exclusion faite des distributions au sens du droit fiscal (distributions également dites "occultes").

Sur ce point les conclusions du Commissaire du Gouvernement, Philippe Martin, sous l'arrêt précité de 1995 sont très éclairantes. Certes, en l'espèce le litige portait sur une question de précompte, mais celui-ci est le pendant de l'avoir fiscal dans certains cas. L'avoir fiscal peut exister sans qu'il y ait précompte, mais la réciproque n'est pas vraie ; il ne peut pas y avoir de précompte sans avoir fiscal. Le champ du précompte dépend donc étroitement de celui de l'avoir fiscal.

 

Dans cette affaire une SàRL avait bénéficié d'un régime de faveur en vertu de l'article 44 ter du CGI, exonérant d'impôt sur les sociétés des bénéfices mis en réserve en 1981. En 1985 la SàRL opte, en application de l'article 239 bis AA, pour le régime des SàRL de famille. L'administration, en se fondant sur les articles 223 sexies, et 111 bis, qui réputent ces sommes mis en réserve, distribuées du fait de la fin de l'assujettissement de la société à l'impôt sur les sociétés, entendait assujettir  la SàRL au précompte.

Le Conseil d'Etat rappelle les termes des articles 158 bis et 158 ter du CGI, et décide que l'avoir fiscal est exclusivement attaché aux distributions décidées en assemblée générale, et, que la distribution en vertu de l'article 111 bis n'entre pas dans le champ de ces articles et partant, pas dans celui du précompte.

 

 

153.  Dans un arrêt Gardet[98], du 8 juillet 1992, la haute juridiction avait déjà clairement fixé le champ de l'avoir fiscal :

 

"Considérant qu'il résulte des termes même des articles 158 bis et ter du CGI que l'avoir fiscal est attaché à la distribution de dividendes, c'est-à-dire des produits de l'épargne investie en actions, parts sociales ou parts bénéficiaires, qui sont périodiques et renouvelables, prélevés sur les bénéfices ou les réserves et servis à l'ensemble des associés par suite d'une décision régulière de l'assemblée générale de la société"

 

M. Martin relève que la notion de dividende de l'article 158 bis, ne correspond pas à la notion de revenus distribués au sens des articles 109 et suivants du CGI, car la finalité de l'avoir fiscal est d'encourager la distribution régulière de bénéfices. Donc l'article 158 ter se réfère exclusivement aux distributions opérées conformément à la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, ce qui exclut les distributions purement fiscales.

 

 

154.  Or il faut le rappeler une société civile n'est pas soumise à ces dispositions, de plus elle a fonctionné suivant le régime des sociétés de personnes. En effet, les bénéfices sont réputés distribués à la clôture des exercices. Les  rémunérations versées aux dirigeants et associés, qui exercent un travail pour la société, sont réintégrées dans le résultat fiscal, puis imposé pour chaque associé selon sa participation. Avec également toute une série de réintégrations correspondant aux avantages qu'ils auront perçus en cours d'année. La distribution dans de telle société se fait donc en pratique progressivement, les prélèvements des dirigeants étant alors une distribution et non une charge déductible pour la société, contrairement aux sociétés commerciales. Dès lors, toute distribution émanant d'une telle société, ne pourra s'analyser qu'en une distribution fiscale.

Par conséquent, les associés ne bénéficieront pas de l'avoir fiscal. Ce système est la contrepartie du non-assujettissement de ces sociétés à l'impôt sur les sociétés, car ce sont les associés qui payent les impositions sur le résultat, l'avoir fiscal n'a donc pas de raison d'être.

 

 

155.  Or une fois l'assujettissement de la SCI à l'impôt sur les sociétés révélé, généralement à l'occasion d'un redressement, les données changent. La société était en fait le contribuable. Mais la société ayant fonctionné comme une société de personnes, vraisemblablement aucune règle de droit des sociétés sur les distributions n'aura été appliquée. Donc tous les revenus perçus par les associés seront réputés provenir d'une distribution fiscale. Ceci a déjà été jugé par l'arrêt sur la SCI louant un local pour l'exploitation d'une bombe au cobalt, du 16 mars 1976[99].

Cette situation est gênante. Un assouplissement aurait été le bienvenu, eut égard à la bonne foi des associés dans la plupart des cas. Car en fait, le but est d'attaché l'avoir fiscal exclusivement aux revenus perçus en qualité d'associé, car les distributions occultes peuvent également profiter à des tiers. Ainsi en est-il  par exemple,  de la part réintégrée lorsqu'une charge n'est pas admise en déduction. Le bénéficiaire de la somme sera considéré comme ayant bénéficié d'une distribution.

 

Effet excessif de plus à mette au passif de 206-2 et pour lequel l'administration, dans son souci affirmé de réduire ceux-ci exprimé dans la réponse ministérielle de 2001, aurai pu prévoir une exception, le cas étant ici tout de même particulier.


Section II : Effets possibles du côté de la société locataire

 

 

156.  Dans la première partie nous avons vu que souvent l'élément qui fait basculer la location dans le secteur des activités industrielles et commerciales, était le caractère excessif du montant du loyer obtenu par le jeu de la clause d'indexation. Il est relevé que le loyer avait un caractère "anormalement" élevé. Si du côté du bailleur cette constatation est faite et qu'elle justifie la requalification de l'activité en activité commerciale soumettant la SCI à l'impôt sur les sociétés, une qualification symétrique devrait être faite du côté du locataire. Or l'emploi du qualificatif "anormal" n'est pas neutre du point de vue d'une société commerciale. La notion qui vient à l'idée est celle d'acte anormal de gestion. Or cette théorie a des répercussions du côté du fautif (§1) mais également du côté du bénéficiaire de l'acte (§2).

 

§1 Acte anormal de gestion et loyer "anormal"

 

 

157.  On a vu que le fait que la qualification de la location en activité commerciale entraînait deux impositions assises directement sur le loyer. Ce loyer payé par la société locataire est en principe une charge déductible (A), mais celui-ci est également dans le champ de la TVA (B), nous verrons donc l'effet de ces deux points de vue.

 

 

A.   Acte anormal de gestion et charges déductibles

 

 

158.  Bien sûr le principe directeur est celui de non-immixtion de l'administration dans la gestion des opérateurs. Le Conseil d'Etat y est attaché de longue date et le rappel lorsque l'occasion se présente. On prendra comme illustration un arrêt de 1958[100] qui énonce en substance que, le contribuable n'a aucune obligation de maximiser les profits qu'il peut tirer de son affaire.

En outre, la notion de gestion est difficile à cerner surtout lorsqu'il faut la qualifier de bonne ou mauvaise et généralement un droit à l'erreur ou au moins à une mauvaise appréciation est permis. Il est trop facile de critiquer après coup. Toutefois l'administration ne peut rester passive devant une évaporation injustifiée de la matière imposable. Sur cette base a été développée la théorie de l'acte anormal de gestion.

 

 

159.  De tels actes n'ont pas, contrairement à l'abus de droit, comme unique motivation d'éluder l'impôt. Encore que certains le pensent face au montage qui nous occupe. Cela pouvait à la limite être vrai il y a quelques années quand la cédule des revenus fonciers présentait des attraits. Mais quoiqu'il en soit, la tâche en matière d'abus de droit est nettement plus lourde pour l'administration qui doit démontrer le but exclusivement fiscal de l'opération. D'ailleurs la théorie de l'acte anormal de gestion peut aussi être un moyen de lutte contre l'évasion fiscal. Ainsi,  l'article 57 du CGI, traitant des prix de transfert, pose une présomption de transfert indirect de bénéfices lorsqu'une entreprise consent un avantage injustifié à un partenaire sous sa dépendance et domicilié à l'étranger, est parent de cette notion.

 

Grâce à la théorie de l'acte anormal de gestion, les opérations les plus choquantes peuvent être remises en question par l'administration, soit sous forme de réintégration de tout ou partie de la charge déduite mais considérée comme anormale, soit en réintégrant le manque à gagner injustifié. Pour départir entre le normal et l'anormal l'étalon de mesure est l'intérêt social. Les actes contraires à celui-ci ne sont pas opposables à l'administration pour la fixation de l'impôt.

Un parallèle peut être fait : les associés sont défendus dans leurs intérêts par le commissaire aux comptes, le Trésor qui a vocation a une partie des bénéfices, et que certains comparent à un associé à 33,1/3 %, voit ses intérêts défendus par le vérificateur fiscal.

 

 

160.  De façon générale, la notion d'intérêt social est centrale en droit des sociétés, car c'est elle qui donne la mesure de nombres d'actes, et pas uniquement en droit fiscal (mesure du pouvoir des dirigeants, acte anormal de gestion, faute de gestion, …), alors que paradoxalement c'est une notion particulièrement floue. Bien qu'elle soit transversale à plusieurs branches du droit, le juge fiscal n'est pas lié par les qualifications du juge judiciaire, alors même que le Commissaire du Gouvernement Racine a relevé que l'acte anormal de gestion est la "transplantation en droit fiscal du concept d'acte non conforme à l'intérêt social avec comme différence que, seule, l'administration peut l'invoquer  et peut agir d'office".

 

A ce sujet certains mettent en avant l'amoralisme du droit fiscal, corollaire de son réalisme. De là résulte une divergence de plus par rapport au droit privé. En matière d'abus de biens sociaux, sanctionné par l'article L 242-6 du Code de commerce, la jurisprudence judiciaire dans son dernier état décide que "quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer l'utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit  tel que la corruption est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même ou ses dirigeants et porte atteinte à son crédit  et à sa réputation"[101].

Par contre le juge fiscal dans des cas similaires accueillera  favorablement la déduction de charges engendrée par des faits délictueux, dès lors que cela a été profitable à la société et que le montant est proportionnel à l'avantage obtenu[102].

 

 

161.  Dans le cas qui nous intéresse, il n'y a pas à ce demander si l'acte est licite ou non, puisque le paiement est dû en vertu d'une obligation licite. Par contre le loyer a été jugé excessif du côté du bailleur, il est donc logique qu'il en soit  de même du côté du locataire. On peut considérer qu'il est donc acquis que le loyer comporte une part excessive.

 

Il faut donc se demander si le paiement de cette part excessive présente un intérêt pour l'entreprise. On voit mal ce qui pourrait justifier cela et ce d'autant plus qu'il y a des associés communs dans les deux structures le plus souvent. Donc ceux-ci ont des intérêts des deux côtés, on comprendrait mal pourquoi ils imposeraient une charge excessive à la seconde société afin de lui octroyer un avantage qui pourrait justifier le montant du loyer. Assurément c'est leur intérêt personnel qui a présidé à cette décision. Dès lors l'administration aura peu de peine à démontrer l'acte anormal de gestion et à réduire le montant de la déduction de la charge "loyer" au niveau de la valeur locative de l'immeuble.

 

Mais alors on peut se demander si cela n'anéantit pas la raison d'être des clauses d'indexation, qui justement on pour but de rendre le loyer supérieur à la valeur locative de l'immeuble. La réponse peut être déduite des nuances utilisées en la matière. Dans ses conclusions sous une affaire où le loyer était plus bas que ceux pratiqués dans la même zone, le Commissaire du Gouvernement Olivier Fouquet, relève que la jurisprudence exige un loyer "notoirement" insuffisant ou "manifestement anormal", qu'une moyenne était inscrite dans une fourchette, dès lors que cette fourchette est raisonnable, il n'y a pas acte anormal de gestion. Le Conseil d'Etat suit cette position[103].

 

Mais dans le cas présent est aussi en cause la TVA, ce que nous allons voir dès à présent.

 

 

B. Acte anormal de gestion et TVA

 

 

162.  Nous avons vu précédemment que le loyer encaissé par la SCI était analysé comme le revenu d'une activité commerciale et donc également passible de la TVA, sauf lorsque l'administration a décelé une activité de marchand de biens. Nous avons aussi vu que le loyer tel que stipulé est considéré comme toutes taxes comprises. Par conséquent du côté du locataire la TVA est déductible, puisque l'on peut considérer qu'elle porte sur des éléments nécessaires à la réalisation d'opérations taxables (si l'activité de la société commerciale est dans le champ de la TVA) et ce afin d'assurer sa neutralité.

Bien sûr dans notre cas rien de tel n'a été prévu par hypothèse, et les conditions de la déductibilité ne seront pas réunies, à savoir la mention de la TVA sur une facture, portée par le fournisseur sous menaces de redressement. On peut penser cependant qu'une facture rectificative sera fournie par la SCI et ce jusqu'au 31 décembre de la deuxième année suivant celle de l'omission. Ainsi on pourra limiter quelques peu l'étendue des dégâts.

 

 

163.  Mais qu'en est-il de l'étendue du droit à déduction si ces conditions sont remplies, puisque nous venons de voir que le loyer étant excessif, il constituait un acte anormal de gestion pour la société  locataire.

 

 La TVA portant sur la part excessive est-elle déductible ?

 

Contrairement à l'imposition des bénéfices la TVA est un impôt dit réel, dès lors il n'est pas atteint par des considérations subjectives comme celles présidant en matière d'imposition des bénéfices. C'est ce que rappelle le Conseil d'Etat assez régulièrement.

Ainsi par exemple dans un arrêt du 6 juillet 1988, qui décide que :

 

"Considérant que si la déductibilité, prévue à l'article 271 du CGI, de la TVA qui a grevé les éléments du prix d'opérations imposables est subordonnée à la condition que les sommes facturées constituent la contre- partie de services dont l'entreprise peut justifier qu'ils lui ont été effectivement fournis, la seule circonstance que cette entreprise aurait accepté, pour des motifs étrangers à une gestion commerciale normale, de payer à son fournisseur un prix initialement convenu ne permet pas de regarder la condition sus-énoncée comme non remplie à concurrence du supplément de prix, dès lors que la somme facturée et effectivement acquittée par l'acheteur, à supposer qu'elle soit excessive, correspond à l'exécution de services qui lui ont été effectivement fournis" [104]

 

Donc toutes conditions étant remplies, la société commerciale aura la possibilité de récupérer une partie de la TVA due sur le loyer, alors même que celui-ci aura été jugé excessif.

 

               

 

164.  Nous avons donc vu que la part des loyers dépassant la valeur locative de façon excessive, se trouvera réintégrée dans les bénéfices imposables de la société locataire. Mais ceci n'est pas la seule conséquence attachée à la théorie de l'ace anormal de gestion. Le flux d'argent suspect a un destinataire, dans notre cas on en revient à la SCI. C'est donc du côté du bénéficiaire de l'acte qu'il faut à présent se tourner. En effet, c'est la SCI qui sera touchée puisqu'elle est opaque à présent.

 

§2 Acte anormal de gestion et revenu distribué

 

 

165.  Il importe ici de déterminer la qualité du bénéficiaire de la distribution par rapport à la société distributrice, car la jurisprudence à élaborée dans certaines circonstances des mesures de tolérance. Ainsi pour des abandons de créances, ils sont tolérés dès lors que celui-ci peut avoir des conséquences avantageuses pour la société qui le consent.

Mais cela est encadré et n'est possible que de la part de la société mère au profit d'une filiale[105]. Cela constitue en quelque sorte une deuxième chance, puisqu'un acte sans contrepartie apparente, comme un abandon de créance trouve sa justification plus loin, à savoir le sauvetage d'une filiale dans laquelle la société mère a le contrôle ou au moins une participation, ce qui se traduira par une remontée tôt ou tard. On semble donc considérer que c'est la société mère qui en quelque sorte est la figure de proue du groupe et qui profite seule de la bonne image du groupe.

 

C'est du moins ce qui semble expliquer le refus par la jurisprudence d'admettre la même dérogation lorsque le sacrifice est fait par une filiale au profit de la mère, ou encore entre sociétés sœurs. Quand bien même cela serait profitable au groupe cela ne se traduirait pas par des retombées financières, sauf peut-être si ses sociétés sont également en relations commerciales.

 

166.  Dans un arrêt Sofige[106], il est exigé que l'aide consentie soit nécessaire à sa propre survie ou à la préservation de ses actifs.

En outre la notion de groupe s'apprécie d'une seule façon, et donc, est un tiers une société alors même que celles-ci auraient des associés communs[107], ou seraient sœurs.

 

Ainsi dans la généralité des cas qui nous occupent, les deux structures ne seront dotées que d'associés communs et donc, juridiquement étrangère du point de vue de cette jurisprudence. De toute façon il semble difficile de pouvoir justifier d'un intérêt pour la société commerciale de payer un loyer plus élevé que la valeur locative.

 

 

167.  La répression du bénéficiaire appelle, elle aussi, des distinctions. Cet avantage injustifié est perçu comme un revenu distribué. Au terme des articles 109-1,1° et 110 du CGI, les revenus distribués sont ceux non mis en réserve et retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés.

On entend par-là toute somme qui n'est pas restée investie dans l'entreprise. Ainsi par exemple, un amortissement excessif n'est pas un revenu distribué puisque la part excessive reste investie dans la société.

La constatation d'un désinvestissement est donc essentielle, étant entendu que le manque à gagner est également perçu comme tel.

 

Ceci est assurément le cas d'un loyer excessif. La part réintégrée sera considérée comme un revenu provenant de la société, sans bénéfice de l'avoir fiscal. Mais dans notre hypothèse le prix excessif aura déjà été comptabilisé et imposé au niveau du bénéficiaire, la SCI. Il faudra donc éviter la double imposition, donc il n'y aura plus d'imposition supplémentaire du bénéficiaire.

 

 

168.  En fait, on peut faire une parenthèse sur ce point. Le problème le plus aigu provenait des économies de charges que réalisait le bénéficiaire, donc les cas d'abstention de la part de la société coupable (un exemple récurent est constitué par les avances sans intérêts). Cet épineux problème a été tranché par un arrêt du 25 juillet 1980[108]. L'administration entendait imposer une entreprise sur les intérêts qu'elle avait été dispensée de reverser à celle qui lui avait consentit une avance. Bien évidemment ces frais n'ayant pas été comptabilisés, l'administration entendait les réintégrer au bénéfice.

 

La question était de savoir si ces intérêts non comptabilisés et non payés, devaient être réintégrés dans son résultat pour le calcul de l'impôt.

 

Le Conseil d'Etat refuse à juste titre, car une telle réintégration aurait abouti à une double imposition. En substance, il est relevé que si un tel abandon d'intérêts constitue généralement un profit imposable par le bénéficiaire, tel ne doit pas être le cas si ledit profit a déjà été compris dans le bénéfice par le jeu des règles de détermination du bénéfice régie par les articles 38 et suivants du CGI. Or ces intérêts non dus, n'ont par-là même pas été comptabilisés en charge par la société bénéficiaire donc, "l'avantage résultant du non-paiement de ces intérêts s'est trouvé nécessairement pris en compte dans les bases d'imposition primitivement déclarées". Le point est donc réglé.

 

 

 

 

 

 

169.  Nous venons ainsi de voir que la divergence dans l'appréhension des activités commerciales avait des conséquences à plusieurs plans : pour la SCI, soumission à l'impôt sur les sociétés, dont on voit mal ce que cela ajoute, et à cette occasion une cascade d'autres impositions ; au plan des associés de la SCI qui devient une société fiscalement opaque ; parfois sur la société locataire dans les conditions que l'on vient de voir.

Bien sûr ces conséquences ne sont pas toutes liées directement à 206-2, mais l'imposition à l'impôt sur les sociétés complique bien la situation ; les associés d'abord imposés directement du fait de l'activité d'une société semi-transparente, deviennent des associés percevant des revenus de capitaux mobiliers avec tous les désagréments que l'on a passé en revue, comme en matière de financement par compte courant d'associé.

 

Certes il existe une tolérance administrative dite du "dixième", selon laquelle, dès lors que la part de l'activité commerciale n'excède pas 10 % des recettes hors taxe de la SCI, l'article 206-2 ne trouve pas à s'appliquer, avec le cas échéant un calcul sur quatre années pour parer aux éventuels dépassements ponctuels. Si ceci peut s'avérer utile pour certains types de sociétés civiles, dans notre montage cette tolérance sera le plus souvent totalement inutile, si l'on admet que dans la généralité des cas, l'unique activité de la SCI sera la location de l'immeuble abritant l'activité de la société commerciale. Sauf peut-être le cas dans lequel la SCI est redressée du fait d'une activité de marchand de biens. Dans ce cas si le bénéfice réalisé de ce fait représente au plus 10 % du bénéfice total, la tolérance pourra jouer.  Tolérance au demeurant totalement illégale puisque l'on va au-delà des prévisions de la loi, ce qui est un élément de plus démontrant l'aberration du maintient de cette disposition, et la reconnaissance de sa nocivité.

Mais en outre hormis les désagréments causés au plan des sociétés touchées, on peut aboutir à un constat plus général en replaçant 206-2 dans son contexte normatif.

 


Chapitre II : L'article 206-2 replacé dans le droit fiscal

 

 

 

 

 

170.  Nous nous sommes jusqu'à présent attaché à parler de l'article 206-2, de ses conditions d'application, en étudiant notamment la commercialité des locations immobilières en droit fiscal, condition préliminaire à sa mis en œuvre. Puis à sa mise en œuvre et aux désagréments entraînés. A présent dans cette partie nous allons mettre cette disposition en perspective avec la branche du droit dont elle est issue.

 

On reproche souvent au droit fiscal son ésotérisme. Nous avons déjà vu que certaines dispositions, dont notamment l'article 206-2 sont difficilement lisible, car opérant à de multiples renvois ; renvois qui par ailleurs aboutissent eux-mêmes souvent à des concepts assez flous, tel que la commercialité par ambiance qui vaut la requalification de l'activité de la SCI.

 

 

171.  Nous allons tout d'abord nous attacher à pousser plus loin l'analyse. On peut dire que l'étude de la location immobilière faite par une SCI, fiscalement commerciale, nous  servira ici de fer de lance pour aboutir à ce point. Nous verrons ainsi, que l'article 206-2, non seulement, est un piège pour les SCI, mais également pour toutes formes de société civile, car l'article vise les sociétés civiles  de façon générale. Ce vaste champ, comme nous le verrons, a déjà nécessité des ajustements d'ordre législatif, ce que le professeur Cozian nomme les "dérèglements législatifs" causés par l'article 206-2. Tant de choses constituant autant d'éléments permettant de s'interroger sur la pertinence du maintient d'une telle disposition dans notre ordre juridique.

 

Mais toute cette étude permet d'aller encore plus loin vers une question d'ordre plus générale concernant le droit fiscal dans son ensemble. En effet, abstraction faite de cette disposition spécifique, on a pu voir que l'existence d'une société civile à objet commercial est une chose inconcevable en droit privé, une "hérésie juridique", or de telles sociétés existent, la preuve n'en est plus à faire, puisque 206-2 soumet à l'impôt sur les sociétés, les sociétés civiles à objet commercial.

 

On a vu que cela n'était permis que par les divergences du droit fiscal avec certains concepts de droit privé, considérant comme commerciales des activités civiles au regard du droit privé. Les cas les plus irritants sont en effet ceux où ce sont des sociétés parfaitement conformes au droit privé qui se trouvent redressées. Cela nous amènera à nous pencher, pour en finir, sur la question plus théorique, de l'autonomie du droit fiscal. Raccourci souvent invoqué pour donner une explication à certaines solutions.

 

Ainsi après avoir placé l'article 206-2 dans son milieu (Section I), nous nous interrogerons sur ce milieu de façon plus générale en nous interrogeant sur le concept d'autonomie et de réalisme du droit fiscal (Section II).

 

 

 


 

Section I : Aperçu des désordres causés par l'article 206-2

 

 

172.  On s'attachera dans un premier temps à replacer cette disposition dans son contexte, à savoir le CGI. Au sein de celui-ci, diverses perturbations ont été engendrées par  l'article 206-2. Le législateur semblait à une époque très attaché à ce texte, puisque, au lieu d'opter pour la simplicité, il a préféré opérer des modifications ou des adaptations parfois "acrobatiques" pour circonscrire ses effets.

 

A l'heure actuelle, bien que reconnaissant les effets néfastes, "excessifs", le législateur  préfère conserver cette disposition dans notre ordre juridique, tout en la limitant dans ses effets par des mesures de tolérance, mesures au demeurant totalement inefficaces pour le montage qui nous occupe.

La doctrine a eut grand mal à cerner les justifications du maintient de 206-2, qui s'il avait sa place dans l'ordre normatif à une époque, ne l'a plus actuellement. C'est l'aveu même de cet état que l'on peut découvrir dans la réponse faite à la question écrite de 2001. Quand il est répondu que le maintient trouve sa justification dans le fait que sa suppression poserait plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait, on sent que conscience est prise des "effets excessifs", ce qui est un euphémisme. Mais on a pu voir que par ce biais, certains vérificateurs zélés visent d'autres objectifs en réalité (par exemple imposer une prime d'assurance exonérée dans le régime des revenus fonciers).

 

 

173.  Cela conduit plus encore à prôner la suppression de l'article 206-2, car les motifs de son maintient sont peu convainquants.

 

Ainsi après un aperçu de ce que le professeur Cozian nome des "désordres législatifs" (§1), il sera intéressant d'avoir un panorama plus large de ces "effets excessifs", et ce en faisant un rapide survol des sociétés civiles ayant une activité autre que la location immobilière (§2). On aurait certes, pu consacrer des développements plus conséquents à cette question, mais c'est à dessein que nous nous sommes attachés aux questions liées à la location, car c'est le domaine dans lequel les divergences entre le droit fiscal et le droit privé sont les plus flagrantes, question qui plus loin permettra de s'interroger sur la théorie de l'autonomie du droit fiscal. 

 

 

§1 L'article 206-2 dans le CGI

 

 

174.Dans son article de 1979[109], le professeur Cozian fait état des modifications,  des précisions, qui ont été nécessaires afin d'endiguer l'article 206-2, pour protéger certaines structures qui lui prêtaient le flanc.

 Tel est le cas des sociétés civiles de construction-vente, exemple particulièrement parlant. L'activité de celle-ci est manifestement commerciale du point de vu du droit fiscal (article 35-I-1°bis du CGI). L'article 239 ter, introduit par la loi du 23 décembre 1967, les soustrait expressément du champ de l'article 206-2 :

 

"les dispositions de l'article 206-2 ne sont pas applicables aux sociétés civiles  créées après l'entrée en vigueur de la loi n°64-1278 du 23 décembre 1964 et qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente …"  

 

Le non assujettissement de ces structures à l'impôt sur les sociétés, exige que la forme sociale soit autre que celle de société de capitaux et que la responsabilité des associés soit indéfinie. La condition posée par 239 ter est stricte ; l'objet social ne peut être que la construction d'immeuble en vue de la vente, ou, à la limite si une activité est exercée conjointement, celle-ci doit être civile du point de vue fiscal. Enfin, cette activité conjointe doit rester accessoire, c'est-à-dire constituer une modalité ou présenter un intérêt pour la réalisation de l'objet social.

Si ces conditions sont respectées, la société reste soumise au régime des sociétés de personnes, à savoir imposition du bénéfice au niveau des associés dans la cédule des bénéfices industriels et commerciaux. Ainsi la situation est celle qui serait si 206-2 n'existait pas.

Par contre, dès le moment où la société s'écarte de ces strictes conditions et par exemple, exerce conjointement une activité visée par les articles 34 et 35 du CGI, elle perd le bénéfice que procure l'article 239 ter. De surcroît, le revers de ce dispositif est que la tolérance du dixième ne trouve pas à s'appliquer. C'est la position énoncée par une réponse ministérielle de 1982[110].

 

 

175.  On peut citer en exemple, le cas d'une société civile de construction-vente ayant mis en location des immeubles en stock invendus ; or le montant des loyers perçus dépassait celui de son objet social pendant la période vérifiée. Cette activité ne pouvait plus être considérée comme accessoire, ni comme une modalité de réalisation de son objet[111]. Elle ne bénéficie dès lors plus de la "couverture" de l'article 239 ter ; ayant réalisé quelques ventes durant cette période, ventes qualifiées de commerciale au sens de l'article 35-I du CGI, c'est l'article 206-2 qui trouve à s'appliquer, et donc elle est redressée à l'impôt sur les sociétés[112].

 

Déjà à ce stade on se demande pourquoi prévoir une dérogation à une disposition critiquée. Mais le feuilleton ne s'arrête pas là. En 1967, à l'occasion de la réforme des faillites, l'activité de construction-vente devient commerciale du point de vue du droit privé. Il est donc exclu qu'une société civile abrite une telle activité, cette fois pour des raisons tenant au droit privé. Or l'article 239 ter ne comprend dans son champ que les sociétés dans lesquelles la responsabilité des associés est indéfinie ; la seule possibilité restante est alors la forme de la SNC. Or dans une telle structure la responsabilité des associés est bien indéfinie, mais elle est également solidaire. C'est en effet une société commerciale, la solidarité y est donc de rigueur. Mais la pratique était justement réticente face à ce point.

 

Par conséquent, "en toute logique"[113], c'est l'article 632 du Code de commerce (nouveau L110-1) qui a été retouché par la loi du 9 juillet 1970. Depuis sont réputé acte de commerce "tout achat de biens immeubles aux fins de les revendre, à moins que l'acquéreur n'ait agi en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre en bloc ou par locaux". On préfère donc modifier le droit privé, qui déjà semblait en retard par rapport au droit fiscal qui, en vertu de son réalisme avait déjà inclus les opérations sur immeubles dans le champ de sa commercialité.

 

 

176.  Plus tard ce sont les GIE, que l'on veut préserver de l'impôt sur les sociétés. Certes ce ne sont pas vraiment des sociétés civiles. Ce sont pour ainsi dire des structures hybrides, et comme leur objet est d'être un auxiliaire de l'activité de ses membres leur objet peut être civil ou commercial. Or pour une structure de coopération le régime des sociétés de personne semble plus adapté. L'article 239 quater les soustrait expressément du champ d'application de l'impôt sur les sociétés.

 

 

177.  Toujours dans le domaine des structures de coopération on peut citer le cas des sociétés civiles de moyen. L'activité de celles-ci est de faciliter l'exercice de leur profession à des professionnels libéraux. Ainsi ceux-ci pourront se partager des locaux, des charges de secrétariat, …. En tant que prestataire de services à ses membres, elles devraient être soumises à l'impôt sur les sociétés d'après l'article 206-2. Analyse confirmée par une instruction du 29 octobre 1971[114]. La loi de finance rectificative pour 1972 insère donc à l'article 239 quater A, une disposition les faisant échapper à l'impôt sur les sociétés. Cependant, là encore les conditions de cette faveur sont drastiques. Les opérations ne peuvent être réalisées qu'avec ses membres, avec toutefois application de la tolérance du dixième le cas échéant.

 

Il en est de même de sociétés civiles professionnelles aux termes de l'article 8 ter du CGI. Solutions d'ailleurs rappelées par la réponse ministérielle de 2001. Il est précisé que les sociétés de construction-vente, les sociétés civiles professionnelle, et les sociétés de moyens échappent à l'impôt sur les sociétés dès lors que leur activité libérale reste prépondérante et qu'elles respectent les conditions légales et réglementaires relatives à l'exercice de la profession pour laquelle elles ont été constituées. Le moins que l'on puisse dire, est que vu ainsi l'article 206-2 ressemble à s'y méprendre à une sanction.

 

 

178.  Puis c'est un système similaire qui s'applique aux sociétés civiles d'attribution qui doivent, elles aussi, se tenir strictement à leur objet (articles 1655 ter et 8 bis du CGI). Cet objet est la construction d'immeubles qui seront attribués aux associés, l'acquisition de tels biens, leur gestion, leur location pour le compte de leurs membres propriétaires. Si elle s'en écarte, elle perdra le bénéfice de la transparence fiscale dont elle bénéficie et si elle est une société civile 206-2 entrera en œuvre.

 

 

179.  Enfin, on peut citer le cas des SCPI, régies par l'article 239 septies. Ce sont des sociétés civiles ayant comme objet exclusif l'acquisition et la gestion d'un patrimoine immobilier locatif. De surcroît, elles sont par exception, autorisées à faire appel public à l'épargne. Ces sociétés présentent un caractère mixte, mi-sociétés commerciales, mi-sociétés civiles. Pour le régime d'imposition, c'est celui des sociétés de personnes qui s'applique. Mais cette exclusion du champ de l'impôt sur les sociétés ne vaut que tant qu'elles se conforment strictement à leur objet social.

 

 

180.  On a eut ainsi un rapide aperçu, des diverses stratégies d'évitement mises en œuvre pour soustraire certaines structures à l'application de l'article 206-2. Il faut tout de même remarquer que le souci de réduire les effets excessifs de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés en vertu de 206-2, va ici très loin. Ce sont là des mesures de distraction, certes conditionnées, mais l'on va plus loin qu'une simple tolérance, puisque dans certains cas ce sont des sociétés ayant réellement une activité commerciale à part entière.

Dans la plupart de ces cas, ce sont des structures de coopération qui sont concernées, structures pour lesquelles le régime de la semi-transparence est le plus adapté.

Mais ces dérogations sont bien circonscrites, et les simples sociétés civiles n'en bénéficient pas, sauf pour elles a invoquer les mesures de tolérance prévues. Bien sûre ces mesure de tolérance ont parfois elles aussi nécessité des textes, mais nous préférons en parler à l'occasion de l'étude des autres secteurs menacés. 

 

 

§2 Les sociétés civiles en dehors du secteur locatif

 

 

181.  Les victimes de premier rang sont les sociétés civiles qui ont en charge de gérer leur patrimoine immobilier. Nous avons vu que pour échapper à 206-2 celles-ci doivent s'en tenir à la location d'immeubles nus, ne pas conclure de bail comportant une clause pouvant les faire voir comme participant à la gestion ou aux résultats de l'entreprise locataire, et garder une certaine distance avec ce dernier. On a également pu voir dans quelle mesure les ventes d'immeubles peuvent affecter le montage, et de quelle façon l'administration tente de faire admettre sa thèse pour un but plus lointain.

 

Une autre activité, touchant à des immeubles est absolument impossible pour une société civile. C'est celle de lotissement. La loi de finance pour 1990 introduit un article 150 A ter, qui déclare commercial le lotissement d'un terrain et sa vente par lots si celui-ci a été acquis dans une intention spéculative. Toutefois, si les textes sont appliqués strictement, si le terrain est apporté la qualification ne semble pas devoir s'appliquer, car il n'y a pas achat.

 

 

182.En dehors du secteur immobilier, on peut immédiatement régler le sort des activités artisanales. En droit privé, artisans et commerçants sont nettement différenciés, au moins en théorie, car la mise en œuvre pratique est parfois problématique.  Depuis le début du 20ème siècle, la jurisprudence définit l'artisan comme celui  qui "se distingue du commerçant en ce que ses revenus professionnels proviennent de son travail manuel et qu'il ne spécule ni sur les matières premières, ni sur le travail d'autrui" [115].

 

Certes le but de la distinction était d'éviter à ceux-ci les rigueurs des faillites, mais les données ont changé.

 

D'une part, ils y sont expressément soumis par l'article 620-1 du Code de commerce, d'autre part les procédures collectives tendent à devenir un bénéfice, duquel certains souhaitent tirer profit.

 

Le droit fiscal de son côté ne fait pas tant de cas et n'entre pas dans de telles distinctions. L'artisan est fiscalement un commerçant comme les autres. Selon l'article 34 du CGI sont réputés être des bénéfices industriels et commerciaux, les bénéfices provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale.

La voie de la société civile est dès lors totalement fermée à ceux-ci, s'ils ne souhaitent pas être soumis à l'impôt sur les sociétés, qui somme toute, est une imposition plus adaptée à des structures d'une certaine importance.

 

On peut à présent, ces cas étant écartés, s'intéresser au secteur agricole (A) et au secteur des professionnels libéraux (B)

 

A.   Les sociétés civiles du secteur agricole face à 206-2

 

 

183.  Pour le secteur agricole la voie est moins étroite. Une activité est agricole lorsqu'elle correspond à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal, et constitue une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle[116]. Y sont également jointes les activités exercées dans le prolongement de l'entreprise de production et ayant pour support l'exploitation.

 

Or, et cela va sans dire, ce secteur est très largement dépendant de facteurs tant incontrôlables, qu'imprévisibles. Le travail se fait avec des organismes vivants. Si par exemple en chimie on associe des molécules de nitrate avec des molécules de toluène, et ce dans les règles de l'art, on obtient du 2,4,6 trinitrotoluène. Par contre, l'agriculteur aura beau faire toutes diligences nécessaires, viendra une catastrophe atmosphérique, qu'il se retrouvera sans rien. C'est la raison pour laquelle les personnes évoluant dans ce secteur sont souvent tentées de se prémunir contre un tel risque, soit par la diversification, soit en adoptant une mesure d'urgence. Mais, du point de vue de l'administration fiscal, une telle option n'est pas toujours judicieuse. Plus encore, lorsque l'exploitation est assurée par le biais d'une société civile ou un groupement agricole d'exploitation commune.

 

 

184.  C'est la mésaventure d'une société ostréicole qui en fournira un exemple. Celle-ci suite à une grande perte subie sur son exploitation, a osé compléter son activité en achetant des huîtres en vue de les revendre ; huîtres  prêtes à être livrée pour la consommation. Le Conseil d'Etat[117] donne raison à l'administration, en précisant que les motivations de telles opérations n'ont aucune influence, et que 206-2 devait s'appliquer. Vu les circonstances un peu plus de tolérance aurait été la bienvenue.

 

En effet, l'alinéa 2 de l'article 206-2 prévoit une tolérance légale : les recettes accessoires d'une autre nature dès lors qu'elles ne dépassent pas le double seuil de 30 % et de 200000 francs, n'entraînent pas l'application de cette disposition. Or cela n'a pas été suffisant pour la société ostréicole de l'arrêt précité. Donc cette disposition permet d'adjoindre une activité complémentaire, mais ne permet pas de se tirer d'un mauvais pas dû à l'environnement. Donc un fonds, exploité dans le cadre d'une société civile, dans lequel les pertes sont proches de 100 % devra se passer de revenu pendant une année si l'on ne veut pas être soumis à l'impôt sur les sociétés.

 

Or le cas n'est pas exceptionnel. Pour cette seule année, les exploitants de colza ont subi des pertes de l'ordre de 60 % en raison de la trop forte pluviométrie.  Une tolérance supérieure pour de tels cas de figure serait donc souhaitable pour le secteur agricole, d'autant qu'une mesure spécifique existe pour les cas de pertes totale dans le régime du forfait agricole, pour la détermination duquel les parcelles touchées par une calamité agricole sont soustraites pour le calcul de l'impôt. Ainsi par exemple, ont pourrait prévoir que l'article 206-2 sera inapplicable si le dépassement de la tolérance légale provient du fait d'une perte d'exploitation supérieure  à un certain pourcentage, ce qui serait un peu une application de la force majeure ou de l'état de nécessité, la suppression de l'article 206-2 n'étant pas à l'ordre du jour.

 

Le secteur libéral, quant à lui, est dans une position similaire.

 

B.   Les sociétés civiles du secteur libéral face à 206-2

 

 

185.  Entre le secteur libéral et le secteur commercial les frontières tendent à devenir fuyantes, et l'on a parfois du mal à les dissocier. Imposés dans la cédule des bénéfices non commerciaux, les revenus tirés des activités libérales en sont le volet traditionnel. Cependant cette cédule est de nos jours devenue une catégorie dans laquelle sont classés les revenus non rattachables à une autre catégorie connue.

Deux traits caractérisent ces professions : le caractère plutôt intellectuel des prestations, et son caractère civil. Cela est dû à la relation spécifique entre les clients et le professionnel. Plus que pour les commerçants, la relation est une relation de forte confiance, avec un fort intuitu personae. Le professionnel libéral est souvent proche du confesseur.

 

 

186.  Cependant la concurrence actuelle pousse ces professions à la mise en œuvre de moyens de plus en plus proche des techniques des activités commerciales (publicité, cabinet de dimension importante, …). En outre, à l'occasion de leurs activités ils peuvent être conduit à réaliser des actes de commerce. Mais si l'exploitation se fait dans le cadre d'une société civile, l'article 206-2 frappera. C'est ce qui a été jugé pour un laboratoire d'analyse, dont l'activité a été qualifiée de commerciale, du fait de l'emploi d'un personnel nombreux, du recourt à des équipements coûteux, et du recours à la publicité[118], autant de moyen courant, nécessaire à la sauvegarde d'une certaine compétitivité.

 

Certes on répliquera que la réponse à Henry Berger du 11 mai 1981, rappelée par la réponse de 2001, consacre une tolérance dite du "dixième"[119]. 

 

Outre l'illégalité de celle-ci, car contrairement à la tolérance en matière agricole, elle n'a aucun fondement légal[120], ce seuil vaut ce que vaut un seuil. On peut rapprocher cela de la matière des offres publiques obligatoires, lorsqu'une participation dans une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, vient à dépasser le taux de 33, 1/3 %. Dispositif tendant à la protection des minoritaires face à un changement de contrôle, il est totalement inefficace pour certaines sociétés, dans lesquelles le flottant est large. En effet un changement de contrôle peut s'y effectuer sans que le seuil soit franchit, car un taux de détention inférieur peut permettre d'avoir le contrôle en assemblée.

Un seuil présente toujours une part d'arbitraire.

 

 

187.  Mais au-delà de telles discussions, touchant à la légitimité et à la pertinence du choix, on peut y voir l'aveu implicite de l'administration des inconvénients d'une telle disposition, puisqu'elle n'a pas hésité à fixer une tolérance sans fondement légal, ce qui se présente tout de même comme une mesure de faveur. Or, neutraliser ce texte lui a paru nécessaire, donc conscience est prise de sa nocivité.

 

Certes l'impôt à plusieurs fonctions. Il est un instrument de collecte des fonds nécessaires au fonctionnement de l'Etat. Ensuite, il est un instrument au service des gouvernants pour intervenir dans l'économie, fonction qui dans certains cas annule l'objectif de neutralité, c'est-à-dire la volonté de ne pas peser sur les choix des opérateurs. Mais cette absence de neutralité se justifie autant que les objectifs interventionnistes (redistribution sociale, incitation) existent. Or a du mal à trouver les justifications de l'assujettissement à l'impôt sur  les sociétés d'une société civile quant ses maîtres ont préféré se passer de l'option qui leur est offerte de l'y soumettre volontairement.

 

D'autre part, on peut relever que dans certains cas l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés apparaît  moins onéreux fiscalement que l'assujettissement à la tranche supérieure de l'impôt sur les revenus. On peut donc considérer que le choix des associés n'est pas dû au hasard.

 

D'ailleurs dans certains cas 206-2 ressemble à une sanction ; de plus on a déjà vu qu'il constituait pour l'administration un argument pour toucher certaines recettes exonérées sous le régime de revenus fonciers, mais taxables quand la société est passible de l'impôt sur les sociétés (exemple une prime d'assurance décès contractée au profit des établissements prêteurs et ayant remboursé un prêt de la société ; en effet dans la cédule des revenus fonciers les frais de constitution du capital ne sont pas déductibles, corrélativement s'ils sont remboursés par un tiers ils ne doivent pas être imposables).

Mais pour l'heure l'article 206-2 du CGI semble bien ancré dans notre ordre normatif, c'est donc un facteur que les opérateurs doivent prendre en considération dans leurs choix.

 

188.  Il n'en reste pas moins que de mesures de tolérance en régimes dérogatoires, la suppression de cette disposition serait la solution la plus heureuse.

 

Reste pour en finir à soulever une dernière question. Nous l'avons vu, l'article 206-2 vit des divergences dans les critères de commercialité utilisés par le droit fiscal par rapport à ceux utilisés en droit privé. De telles divergences sont simplement expliquées par certains comme l'expression du réalisme et de l'autonomie du droit fiscal. Mais il faut nuancer une telle approche et voir si l'on peut réellement parler d'autonomie.

 

 

Section II : Les solutions fondées sur 206-2 : manifestation de "l'autonomie et du réalisme" du droit fiscal

 

               

189.  On s'attachera à replacer ce que nous avons vu jusqu'à présent dans un contexte plus général, et ainsi prendre un peu plus de hauteur

Pour être applicable l'article 206-2 appelle un raisonnement en deux temps. Dans un premier temps il faut requalifier l'activité de la SCI en activité commerciale au sens des articles 34 et 35 du CGI. Or dans certains cas, les qualifications commerciales ne sont pas celles qui ont court en droit privé, et nous l'avons relevé au fur et à mesure.

 

 Pour certains la cause est entendue, il n'y a pas lieu à s'étaler sur la question, c'est tout simplement la manifestation de l'autonomie et du réalisme du droit fiscal.

Cette théorie, dont le doyen Trotabas est un fervent défenseur se présente pour lui de la façon suivante :

 

"Au regard des autres branches du droit public comme au regard du droit privé, la loi fiscale possède une indépendance qui lui permet d'établir ses propres règles ; le droit fiscal, comme "charbonnier", est maître chez lui"[121]

 

Mais une telle vision est depuis un certain temps l'objet de vives critiques. Le terme autonomie est semble-t-il un peu fort. Certainement, il présente des particularismes, mais cela n'est pas propre au droit fiscal, car chaque branche du droit à ses contingences propres. Ce qui d'ailleurs explique la division du droit en branches, qui ne sont pas autonomes pour autant. Le doyen Gény résume fort bien la situation :

 

"En passant de l'"autonomie" à la "spécificité", nous risquons de tomber du paradoxe dans le truisme. Car, si aucun droit n'est proprement "autonome", à l'inverse, tout droit objectif quelconque est nécessairement "spécifique". Par cela même qu'une partie du droit est séparée du reste, pour être désignée par un nom correspondant à son objet propre, elle atteste de sa "spécificité" et en tire certains caractères d'indépendance"[122]

 

Le Commissaire du gouvernement L. Mehl, dans des conclusions sous un arrêt du Conseil d'Etat du 24 novembre 1967, va dans le même sens, lorsqu'il précise que "le découpage du droit en secteurs distincts n'a qu'une portée pratique".

 

 

190.  De nos jours la question ne suscite plus trop de passions et se résume essentiellement à une querelle sur les termes et leur portée exacte. Malgré tout, il peut être intéressant d'en avoir un aperçu. En effet, le particularisme du droit fiscal vient des diverses contingences auxquelles il doit répondre. Deux sont dénombrées. En premier lieu, la collecte du budget de fonctionnement de l'Etat, ensuite l'interventionnisme fiscal sous forme de redistribution sociale et de régulation conjoncturelle, excluant ainsi le souci de neutralité.

 

 

191.  Certes les auteurs parlent du réalisme du droit fiscal, permettant à celui-ci de déroger au droit privé, comme par exemple en matière de domicile. De la même façon, ceci est invoqué lorsque sont imposés des revenus d'activités illicites. Mais, pourra également être soumis à une procédure collective, par exemple un proxénète, sans pour autant que l'on s'extasie face au réalisme des procédures collectives.

 

Tout au plus pourrait-on avancer que le droit fiscal  en a un besoin plus pressant, du fait de la tendance naturelle des contribuables, qui sont de surcroît de mieux en mieux conseillés, à vouloir éluder l'impôt. Cela ressort du vocabulaire de la pratique parlant de "stratégie fiscale", de "management fiscal", "d'optimisation fiscale". Surtout, enfin car l’administration fiscale en a le plus les moyens, en faisant pression sur les gouvernants pour faire adopter certaines dispositions.

 

Pour développer cette question nous pourrons voir dans un premier temps quelques manifestations de cette autonomie et de ce réalisme (§1), puis en second lieu, nous pourrons voir les tendances actuelles au rapprochement avec les concepts du droit privé (§2).

 

 

§1 "L'autonomie et le réalisme" du droit fiscal en question

 

               

192.  Qu'on  ne s'y trompe pas, il est un peu ironique d'intituler cette subdivision de la sorte. En effet, dans un premier temps, nous nous attacherons à remettre en cause certaines de ces manifestations, en les rapprochant des concepts desquels ils sont tirés (A). Dans un second temps, nous tenterons de présenter un aperçu de quelques vrais particularismes du droit fiscal (B). En effet, en limitant les cas de divergences d'analyse, on peut conclure que les expressions "autonomie et réalisme" sont un peu fortes, et que tout ceci n'est pas propre à la branche droit fiscal.

 

 

A.   Remise en cause de quelques-unes unes de ces manifestations

 

 

193.  Il est des cas où ces concepts ont déjà induit en erreur et certains ont cru pouvoir s'affranchir totalement des concepts du droit privé. Ainsi par exemple un contribuable croyait pouvoir définir la propriété autrement que par le droit civil. Il a été remis dans le droit chemin[123]. Dès lors que rien d'autre n'est prévu, les institutions trouvent leur régime dans la branche du droit de laquelle elles sont issues. Cela est vrai pour le droit fiscal, qui somme toute est du droit, comme pour toute autre division du droit. Toute autre position deviendrait intenable. On peut imaginer l'insécurité juridique qui régnerait alors et la difficulté à concevoir certains montages même des plus simples, s'il n'y avait pas des concepts de base, dont la définition est ferme et transversale. Ce serait une régression certaines vers des époques où le droit n'était pas unifié. Ceci d'autant qu'à l'heure actuelle la construction européenne appelle des harmonisations transnationales, et que la compétition internationale, appelle un minimum de sécurité juridique pour ne pas faire fuir les investisseurs étrangers.

 

 

194.  Souvent, on invoque que le droit fiscal à une longueur d'avance sur le reste du droit et l'on s'extasie devant les audaces de la fiscalité. Ainsi par exemple le cas des sociétés de fait. Celles-ci sont imposées, car selon certains auteurs[124] le droit fiscal ne saurait, du fait de son réalisme, ignorer une telle chose. Ils croient bon d'insister en ajoutant que de telles sociétés n'en sont pas en réalité au regard du droit civil et du droit commercial, et seraient des entités "extra-juridiques". Mais c'est avoir la vue un peu courte. Bien au contraire de telles entités sont considérées par le droit privé. Il suffit d'ouvrir le Code civil et de se reporter à l'article 1873, qui énonce que "les dispositions du présent chapitre sont applicables aux sociétés créées de fait[125]". Ainsi c'est tout un chapitre, du Titre XIX, du Livre III du Code civil qui en traite. D'autre part, tout bon manuel de droit des sociétés en fait état. Ce n'est pas parce que, conformément à l'article 1971 du Code civil, une telle société n'a pas de personnalité morale, qu'elle n'est soumise à aucune publicité, que le droit privé l'ignore. Bien au contraire ce concept est souvent utilisé pour démêler des situations délicates. Sa principale fonction est en fait d'être liquidée puisqu'elle fixera la base d'organisation de la rupture des associés, c'est-à-dire le partage entre eux et le désintéressement des créanciers.

Il ne faut pas confondre absence de personnalité morale et inexistence.

 

 

195.  Les critères d'identification utilisés par le droit fiscal sont, en outre, les mêmes que ceux du droit privé, à savoir, les éléments essentiels du contrat de société. En droit fiscal elles sont, sauf option contraire, soumise au régime des sociétés de personnes ; en droit privé, à défaut de clause contraire c'est le régime des SNC qui trouve à s'appliquer de façon supplétive. Donc tant en droit fiscal qu'en droit privé la société de fait est une société, et des conséquences juridiques sont attachées à la qualification.

 

En droit des entreprises en difficultés, par exemple, elles sont prises en compte, certes négativement, puisqu'une procédure ne peut être ouverte contre elle. Or cela n'est à l'heure actuel n'est pas non plus possible contre un professionnel libéral, mais personne n'irait dire qu'ils ne sont pas.

 

 

196.  Pour continuer dans le traitement des situations de fait, on peut citer l'exemple des dirigeants de fait. Souvent diverses dispositions fiscales l'assimilent au dirigeant de droit. Le droit des procédures collectives n'en fait-il pas autant lorsqu'il soumet à l'action en comblement d'insuffisance d'actif le dirigeant de fait ou de droit (a priori même l'Etat).

 

 

197.  On pourrait multiplier les exemples, tels que la notion d'abus de droit. On se félicite du fait que l'administration fiscale peut passer outre les apparences et se rendre inopposables les actes constituant une simulation ou une fraude à la loi (L 64 LPF). Or tout un chacun le peu, c'est là l'objet de la simulation dont traite le Code civil à l'article 1321. D'ailleurs, il est piquant de relever que dans l'enseignement des deux matières c'est le même exemple type qui est cité : la donation camouflée sous une vente.

 

Pour la fraude à la loi, c'est-à-dire le détournement d'une institution de son but, on peut bien sûr citer en droit international privé l'arrêt Princesse de Beaufremont. Arrêt datant de plus d'un siècle où une personne avait changé de nationalité pour contourner les règles sur le divorce en vigueur en France. Mais on peut aussi penser à toute la jurisprudence relative à la notion d'abus de droit.

 

 

198.  On oublie donc parfois que le droit fiscal est moins particulier qu'on veut parfois le faire croire. Il impose des faits, qui sont traités par d'autres branches du droit. Dans la généralité des cas, ces faits sont la transposition en droit fiscal des qualifications opérées par le droit privé sans que rien n'y soit ajouté. C'est notamment le droit des obligations qui tient une place importante. Cela est parfaitement compréhensible. Le contrat est un rouage essentiel de la vie en société. Il est omniprésent, même pour les gestes les plus élémentaires, car les individus en sociétés sont amenés à tisser tout un faisceau de relations contractuelles avec le monde qui les entoure. Il est, sauf exception, l'instrument privilégié de la circulation des richesses. Or sans richesses circulantes, pas d'impôt.

 

 

199.  Enfin, sur certains point le droit privé semble même plus réaliste que le droit fiscal. Par exemple en matière de concubinage, depuis un certain temps la jurisprudence judiciaire attache des effets à cette situation de fait (droit à une indemnité par exemple). Or cette situation est ignorée par le droit fiscal en matière d'impôt sur le revenu, car deux concubins constitueront deux foyers fiscaux.

 

En fait souvent ce réalisme et cette autonomie sont "bien ordonnés", tout à l'avantage de l'administration fiscale. C'est ce que nous allons voir en traitant de quelques vraies divergences, que des considérations pratiques rendent nécessaires.

 

 

B.   De vraies manifestations de divergence

 

 

200.  Les textes fiscaux assurent le traitement fiscal de concepts juridiques. Donc en pratique ceux-ci sont des préalables au déclenchement d'un régime fiscal. Mais inévitablement diverses contingences fiscales appellent, parfois un remodelage de ces concepts. Ce que le professeur Le Gall appelle les "petits arrangements avec le droit"[126].

 

Diverses causes expliquent cela. Parfois le législateur consacre ou accorde, sur demande de l'administration ces arrangements, pour des raisons de lutte contre l'évaporation de la matière imposable, car c'est un fait que les conseils sont loin d'être démunis. Mais ceci se fait parfois également sans appuis  législatifs. D'autre fois, cela résulte d'une mauvaise compréhension. Ces divergences si elles peuvent être nécessaires ne sont cependant pas toujours heureuses, et créées plus de difficultés qu'elles n'en résolvent. Les exemples, ici aussi ne sont pas rares.

 

Ainsi on pourrait faire état de l'utilisation qui est faite du concept de droits sociaux. Celui-ci, peut se trouver amplifié ou disséqué pour appréhender le plus de situations possibles. Pour un régime de faveur sera demandé que le contribuable cumule le droit de vote et les droits financiers par exemple, par contre pour un régime de rigueur, l'un des deux sera suffisant. Il est des cas, certes à la marge où cela pose problème. Cependant, plus problématiques sont les cas où ces institutions sont transplantées hors de leur milieu naturel. Par exemple pour les droits sociaux, le professeur Le Gall relève qu'ils tendent à devenir "d'application générique". Tel est le cas quand ils sont transposés à des institutions comme le trust. Or ce concept a du mal à s'acclimater avec une institution qui lui est étrangère dans notre droit.

 

 

201.  Pour diversifier notre propos nous allons nous pencher plus précisément sur trois exemples de divergences, outre celles que l'on a pu relever ci-dessus et jusqu'à présent au sujet des locations immobilières. Nous verrons d'une part le concept de droits immobiliers (1), qui par ailleurs peut aussi concerner une SCI, puis l'appréhension de la notion de patrimoine (2). Enfin  un dernier exemple concernera la notion d'encaissement (3).

 

 

 

 

 

 

 

1. Droit fiscal et droits immobiliers

 

 

202.  La notion de droits et de biens immobiliers est importante en droit fiscal. Rappelons que dès 1925, fiscalement, l'achat pour revente d'immeubles est un acte de commerce. L'administration fiscale est particulièrement attentive à la situation du patrimoine immobilier, dont le transfert est souvent discret et générateur d'importantes masses imposables. La fraude peut y être aisée. Outre les dispositifs tirés de la simulation, il est fait un usage peu commun de la notion de droit immobilier, afin de ne pas perdre de matière imposable.

 

 

203.  Ainsi l'article 990 D du CGI fait référence aux "biens ou droits immobiliers", qu'il définit comme des droits réels portant sur des immeubles. Pour l'instant rien de bien extraordinaire. Un droit réel, est celui qui a directement pour objet une chose, et, offre à son titulaire tout ou partie de l'utilité économique de cette chose[127].

 

Le plus complet est le droit de propriété, à partir des démembrements duquel sont issus d'autres droits réels, ainsi que les servitudes. Mais le droit fiscal va plus loin. Des droits qui du point de vu du droit civil sont dit mobiliers, peuvent fiscalement être appréhendés comme des immeubles. Evidement de telles divergences ne se retrouvent pas lorsque la propriété est directe, mais quand il y a interposition d'une personne morale entre des individus et un immeuble. Une telle interposition posait des risques d'évasion fiscale. On peut le rappeler, un des avantages du placement d'immeuble dans une société est de "transformer la pierre en papier", ce qui facilite les échanges, mais aurait également pu avoir des répercussions fiscales. En effet l'article 529 alinéa 1er du Code civil dispose que :

 

"Sont meubles par détermination de la loi, les obligations et actions qui ont pour objet des sommes exigibles ou des effets mobiliers, les actions ou intérêts dans les compagnies de finance, de commerce ou d'industrie, encore que des immeubles dépendant de ces entreprises  appartiennent aux compagnies. Ces actions ou droit sont réputés meubles à l'égard de chaque associés seulement, tant que dure la société." 

 

Donc il n'y a pas lieu de considérer les actifs d'une société ; ces parts ou actions sont meubles sans contestation possible, du moins tant que vit la société. Cela est vrai quel que soit le type de société. A ainsi été jugé que "les parts d'un associé dans une société civile immobilière d'attribution ont un caractère mobilier, bien que les parts donnent droit non seulement à la jouissance d'un appartement  mais aussi à son attribution en pleine propriété, leur cession ne peut donner ouverture à une action en rescision pour lésion[128] ; et pourrait-on par conséquent ajouter, sont, a priori, imposable comme une cession de biens meubles.

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204.  Pour pallier à cela, le législateur considère que le porteur de parts à un droit direct sur les actifs immobiliers garnissant le patrimoine de la société. Ceci va totalement à l'encontre des principes régissant le droit des sociétés. Les associés n'ont aucun droit direct sur les actifs sociaux. Ceux-ci ne sont pas les copropriétaires  indivis des actifs, ces biens sont la propriété de la société, qui est un sujet de droit. Ils ne sont titulaires que de droit sociaux qui leurs donnent part à la formation des décisions qui fixeront le sort de ces actifs. Si un associé venait à méconnaître ce principe il devrait en subir les conséquences, qui peuvent être pénales.

 

En droit fiscal, l'écran de la personnalité morale est percé. Ce mécanisme concerne des impositions comme les plus-values immobilières, les droits de mutation à titre gratuit, l'ISF. L'actif sous-jacent doit être français ou composé principalement d'immeubles, c'est-à-dire que la société doit être dite à prépondérance immobilière (ce qui signifie que ces actifs doivent être composés à 50 % au moins d'immeubles). Récemment ceci a été étendu aux sociétés simplement propriétaires d'immeubles.

 

Pour ces impositions le porteur de droits sociaux est alors considéré comme étant personnellement propriétaire des immeubles composant l'actif à hauteur de sa participation.

 

 

205.  Mais la pratique n'est pas restée à ce stade. Pour contourner ce dispositif, on a pensé à intercaler un étage supplémentaire dans le montage.

 

Or il faut se souvenir de ce qui s'était passé en matière de société de personnes. On l'a déjà souvent rappelé, dans de telles sociétés le résultat se calcule au niveau de la société, imposé chez l'associé dans la cédule correspondant à l'activité de la société. Or cela n'est valable que tant que l'associé est un simple particulier. Si celui-ci est soumis à l'impôt sur les sociétés, au régime réel des bénéfices industriels et commerciaux, ou agricoles, sa part doit être traité selon le statut fiscal de l'associé, ce qui est un des facteurs rendant le régime d'imposition des sociétés de personnes assez complexe. Le but de ceci était d'éviter la constitution de sociétés écrans, et l'administration a obtenu du législateur l'article 238, bis, K, I. La pratique avait alors pareillement imaginé pouvoir contourner cette disposition en intercalant une société supplémentaire, procédé pour lequel l'administration a obtenu un complément à ce texte anéantissant cette pratique.

 

En matière de droits immobiliers, une réaction administrative a également eut lieu. Le professeur Le Gall en distingue deux que nous allons reprendre.

 

 

206.  D'une part, ce qu'il appelle la "technique de la transparence", qui fait abstraction des sociétés interposées. Tel est le cas de l'article 990 D du CGI qui soumet à une taxe de 3 % les sociétés françaises ou étrangères, à prépondérance immobilière. La société est exonérée si elle révèle  le nom de ses associés (article 990 E, 2°). S'ils sont eux-mêmes des sociétés, celles-ci deviennent débitrices de la taxe, et ainsi de suite jusqu'à la dernière de la chaîne qui ne révèle pas le nom de ses associés ou, dont les associés ne sont pas résidents français[129].

 

Concernant les mutations à titre gratuit et l'ISF, en vertu des articles 750 K, 2°, alinéa 2 et 885 L, un procédé similaire est prévu.

 

 

207.  La deuxième technique est celle dite d'assimilation. Dans la société à prépondérance immobilière, on considère que  celle-ci peut l'être non pas en vertu de la détention d'immeuble, mais si son actif est essentiellement constitué de droit de cette nature. Selon la documentation administrative[130], les droits portant sur des immeubles englobent les titres de sociétés à prépondérance immobilière. Ceci est donc totalement dérogatoire au Code civil, précisément à son article 529,  et même illégale en l'absence de base législative. Cette solution est valable pour les plus-value (article 150 A bis du CGI) les doits de mutation à titre gratuit (article 750 ter 2° alinéa 4) et l'ISF (article 885 L).

 

La double dérogation, au droit des sociétés et au droit civil, est  souvent cumulée.

Le manque de base légal de cette doctrine administrative est d'autant plus évident depuis la loi de finance pour 1999, qui introduit à l'article 726 du CGI[131], un dispositif dans lequel il est précisé ce qu'est une société à prépondérance immobilière. Dans cette précision, est à prépondérance immobilières les sociétés détenants des  "immeubles, droit immobiliers,  participations à des personnes morales à prépondérance immobilière". Donc cette doctrine assimilait ce que la loi n'assimile qu'en 1999 et pour un dispositif précis.

 

 

208.  Ces dérogations sont certes compréhensibles, l'évasion fiscale serait trop facile, mais comme nous le verrons plus loin c'est la méthode qui parfois laisse à désirer. On ne peut pas reprocher à l'administration une telle réaction. On peut cependant se demander si plus de rigueur dans l'élaboration des textes, ou simplement, un coup d'œil du côté des qualifications en droit privé, ne permettrait pas d'éviter de s'y reprendre à plusieurs fois.  Mais avant cela nous allons nous pencher sur un deuxième exemple de concept avec lequel le droit fiscal prend des libertés, et cette fois-ci c'est avec un monument du droit civil.

 

 

 

 

2. Droit fiscal et patrimoine

 

 

209.  En droit civil la notion de patrimoine est un concept bien connu. Développé par Aubry et Rau, on lui reconnaît différentes caractéristiques. On ne fera pas l'affront au lecteur de s'étendre longuement sur la question, et l'on se contentera d'en rappeler les grandes lignes, afin de bien mettre en exergue le particularisme du droit fiscal sur le sujet.

 

Le patrimoine est à peu près la seule universalité de droit reconnue par le droit français. C'est en tant que tel un contenant, d'où entrent et sortent les droits et obligations de son détenteur ; l'actif répondant du passif, les biens existant et ceux futurs constituent le gage général des créanciers (article 2092 du Code civil). C'est là la notion d'universalité du patrimoine. Autre caractéristique : son unité. Le patrimoine est indissociable de la personne, physique ou morale. Elle est son support indispensable[132]. Une personne a nécessairement un patrimoine, mais elle n'en a qu'un seul.

 

 

210.  C'est en partie pour cela que, devant la demande des commerçants, de voir leurs biens personnels moins exposés aux procédures collectives, et afin de leur permettre d'isoler leur exploitation, se développent depuis 1985, des structures sociales unipersonnelles. Ce ne sont pas des patrimoines d'affectation à proprement parler, mais on arrive à un résultat équivalent par le truchement d'une personne morale, qui conformément à la théorie du patrimoine devient le support d'un patrimoine distinct.

 

En effet il semble qu'en droit privé on ait du mal à consacrer la possibilité de constituer un patrimoine indépendant. Le Code civil est donc dépourvu d'institution analogue au trust anglo-saxon. L'idée fermente cependant ; un projet de loi avait été déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale le 20 février 1992, mais sans suite à ce jour[133]. Il semble que la résistance vienne de l'administration fiscal qui refuse de s'accorder sur la question du double transfert de propriété et sa taxation. Or, sans cela l'institution aurait un lourd handicap de départ. Ceci constitue en droit des procédures collectives un point à problème. Lorsqu'un exploitant individuel y est soumis, l'administrateur nommé le cas échéant, est investit de pouvoirs sur tous les biens du débiteur, y compris ces biens privés. Hors procédures collectives, on peut relever dans la loi "Madelin" du 11 février 1994, une petite avancée en ce qu'elle permet une orientation des poursuites, prioritairement vers les biens professionnels.

 

 

211.  Sur ce point le droit fiscal est par ailleurs plus avancé, bien que cela n'ait pas d'influence au-delà du domaine de la fiscalité. C'est la théorie fiscale du patrimoine d'affectation professionnelle. Particularité fiscale s'il en est, on considère ainsi que l'entrepreneur individuel possède deux masses de biens distinctes : l'une privée, l'autre professionnelle.

 

Le principe d'unité du patrimoine est donc fiscalement dépassé. Cette solution est liée au mode de calcul de l'impôt. L'article 38-2 du CGI prend en compte la variation de l'actif net de l'entreprise entre l'ouverture et la clôture de l'exercice. Il fallait donc isoler l'entreprise. Le critère de ventilation des biens est simple. C'est l'inscription du bien, de la créance ou de la dette au bilan de l'entreprise. Cette inscription résulte d'une décision de gestion de l'entrepreneur. Celle-ci est un choix, un acte de volonté du contribuable, qui ainsi opte entre plusieurs voies que lui propose la loi. Une fois ce choix fait, il est opposable au contribuable mais également à l'administration fiscale, sans que celle-ci n'ait de prise le concernant.

 

Toutefois, une limite existe en ce qui concerne les biens professionnels par nature. Ce sont les biens qui n'existent que pour et par l'activité, essentiellement ces sont les fonds de commerce.

Pour une entreprise sous régime micro, il y a lieu de distinguer les immobilisations par nature, constituant toujours des biens professionnels, et les immobilisations par destination, dont la nature dépend de l'inscription sur un état comptable.

 

 

212.  L'entrepreneur est donc libre quant à son choix, mais il doit garder à l'esprit les conséquences liées à ce choix ; la première est que ce qui est inscrit au bilan servira à déterminer le montant de l'imposition due. De plus, seules les charges et revenus affairant à ces biens seront pris en compte.

 

Ensuite si un bien est transféré d'une de ces masses fictives vers l'autre, il faut distinguer : pour un transfert du patrimoine privé vers le patrimoine professionnel, pas d'imposition sur les plus-values privée car le fait générateur de celle-ci n'a pas eut lieu (cession à titre onéreux selon l'article 150 A) ; par contre le transfert du patrimoine professionnel vers le patrimoine privé entraîne la taxation de la plus-value professionnelle dont le fait générateur est la sortie du bilan.

 

 

213.  Plus étonnantes encore sont les autres relations possibles entre ces deux masses. Il est en effet admis que des relations contractuelles existent entre elles. Certes pas concrètement, mais le résultat produit est le même du point de vu fiscal. C'est le cas de ce qui a été consacré en jurisprudence et que M. Fernoux appelle la théorie du "bail fiscal"[134].

 

 Hérésie du point de vu du droit civil, le bail étant un contrat synallagmatique. On aboutit à la situation étonnante que M. Fernoux décrit avec une pointe d'humour : "le "bailleur" ayant alors pour interlocuteur, pour le moins privilégié, un être cher, en l'occurrence lui-même". C'est pourtant ce qu'a admis le juge fiscal, bien sur pas dans ces terme, dans l'arrêt Meissonier[135]. D'après cet arrêt l'entreprise individuelle peut procéder à la déduction de la valeur locative de l'immeuble que l'entrepreneur a conservé dans son "patrimoine privé" et qu'il met à la disposition de l'entreprise. En contre partie, l'entrepreneur doit déclarer pour la même valeur un revenu foncier. Donc toutes les conséquences qu'aurait eut la conclusion d'un bail.

Bien évidemment, tout n'est pas encore réglé sur la question. Des points, comme l'extension de cette jurisprudence au secteur des bénéfices non-commerciaux, la question de l'option à la TVA, restent à trancher. Bien qu'intéressante, cette théorie est encore bien incertaine, et l'auteur précité suggère le recourt à une SCI, pour plus de sécurité.

 

 

3. TVA et encaissement

 

 

214.  Les articles 269-1 et 269-2 du CGI, traitant de l'exigibilité de la TVA en matière de prestations de service, dispose que celle-ci intervient lors de l'encaissement des acomptes, du prix ou de la rémunération. Le paiement est juridiquement l'exécution d'une obligation, c'est-à-dire que le créancier perçoit sa contre-prestation.

 

Lorsque le paiement, au comptant ou à terme, est réalisé par le client lui-même il n'y a pas de difficulté. L'exigibilité de la taxe interviendra à ce moment. Il n'y aura pas de divergence avec la notion de paiement en droit civil.

 

 

215.  Par contre, si le paiement est prévu à terme, le dernier état de la jurisprudence laisse apparaître une divergence avec la notion de paiement.

 

En effet il est fréquent dans la vie des affaires que le créancier ait des besoins de liquidité immédiatement. Dans ce cas, existe différents moyens de mobilisation des créances.

Dans une affaire où une créance avait été mobilisée auprès d'un affactureur, le Conseil d'Etat[136] a posé une solution qui va à l'encontre du mécanisme civil qui à cours dans de telles opérations. Il y décide que l'opération d'affacturage n'a pas le caractère d'une cession définitive de créance, et constitue simplement une opération de crédit. Dès lors la taxe n'est exigible que le jour du paiement par le client, donc à l'échéance initiale.

 

Or l'affacturage repose sur le paiement avec subrogation, qui, transfert au solvens les droits et actions du créancier qu'il a payé. Donc le créancier est payé, la TVA devrait donc être exigible dès ce moment. Mais cet écart par rapport aux règles de droit civil peut se justifier. L'exigibilité de la taxe a un pendant posé par l'article 207 Annexe II du CGI. Cette disposition fait naître le jour de l'exigibilité, le droit à déduction de la taxe chez le client. Or adopter l'analyse du droit civil conduirait à permettre au client de déduire une taxe qu'il n'a pas encore acquittée. Pour la cohérence du système TVA la solution met en œuvre le principe de droit administratif qui veut que le droit civil s'applique tant qu'un impératif de droit administratif ou une règle ne commande pas une autre solution.

 

 

 

216.  Ainsi on a pu avoir un bref aperçu de quelques vrais particularismes fiscaux, et que certains "usurpent" la qualification d'autonomie ou de réalisme, que certains voient. Il y a donc des particularismes, comme partout ailleurs. Pour terminer, on verra à présent que l'autonomie est déniée, et que de façon générale on reste attaché aux concepts de base tels qu'ils sont définis dans leur élément. 

 

§2 Recentrage vers les concepts de base

 

 

 

217.  Nous venons de voir qu'il est un peu exagéré de parler d'autonomie, du moins quand on prend ce terme dans son sens entier, avec une idée d'indépendance tel qu'en à fait état le doyen Trotabas.

Sur la question du particularisme, comme nous préférons les nommer, ces divergences, heureuses ou non, trouvent souvent une justification ainsi que nous l'avons vu ; justifications telles que la lutte contre l'évasion fiscale, ou la cohérence du système. Que ces divergences soient heureuses, ou justifiées est un autre débat, elles le sont au moins dans l'esprit de leur promoteur.

 

Ce qui est  plus critiquable parfois est la voie empruntée. Que ces divergences résultent d'un texte clair, on en prendra acte. La doctrine fera son œuvre, et en discutera ; on trouvera toujours des partisans et des détracteurs, chacun y allant de ses arguments.

Plus problématiques sont celles issues d'interprétations, parfois "divinatoire" des textes, transcrites dans les instructions fiscales.

 

Est ici parfois en cause le processus d'élaboration des normes : la Direction de la législation fiscale, prépare les textes, aide à leur explicitation avant leur vote au Parlement. Or ces textes sont parfois amendés, parfois modifiés, mais les instructions reflètent le texte tel qu'il a été déposé sur le bureau de l'Assemblée Nationale, avant que le texte ne soit passé par le processus qui le transforme en texte de loi. De cela naissent parfois des divergences, rendant les positions de l'administration dépourvues de base légale.

D'autre fois c'est la malfaçon des textes, vivement dénoncée par la doctrine, qui les rend obscures ; les rédacteurs du texte, les hommes de la Direction de la législation fiscale, se comprennent sûrement, mais le but n'est pas là. Montesquieu ne disait-il pas que les lois ne doivent pas être subtiles, car destinées à des êtres à l'entendement réduit.

 

 

218.  Dans tous ces cas les prévisions sont alors déjouées, soit qu'on s'en aperçoive, soit que la jurisprudence ait déjà censuré. Alors c'est le recours au législateur, pour faire valider ou consacrer la position de l'administration, procédé intolérable du point de vu de la sécurité juridique. Certainement la pratique n'est pas totalement hors de cause puisqu'elle découvre les failles des textes, mais c'est bien là son rôle.

 

Or de telles divergences dépourvues de fondements solides sont critiquables. Parfois c'est aussi la jurisprudence qui élabore des concepts qu'elle fonde sur des textes, dans lesquels il faut puiser profondément pour trouver ce qui y est trouvé ; ainsi par exemple la théorie de la commercialité par ambiance. Mais ce faisant la loi est doublement méconnue Une première fois c'est la loi fiscale, dans laquelle on trouve des exceptions au droit commun qui ne sont pas ; une deuxième fois, c'est la loi à laquelle on pose une exception, puisqu'elle n'est pas appliquée alors qu'en l'absence de dérogation elle aurait dû s'appliquer.

 

Il y a donc différents facteurs de divergence dans les analyses des concepts entre le droit privé et le droit fiscal. Mais avant d'affirmer, comme certains ont pu le faire, que le législateur fiscal a une volonté autonome, il serait peut-être intéressant de voir parmi ces divergences, lesquelles sont telles depuis l'origine, et lesquelles sont devenues la volonté du législateur, suite à la nécessité d'une validation.

 

 

219.  G. Goulard[137] relève que l'affaiblissement du concept d'autonomie du droit fiscal, est du à la volonté de rétablir une certaine égalité des droits entre le contribuable et l'administration. Ainsi la jurisprudence considère, et affirme de plus en plus, qu'en l'absence de dispositions contraires, les concepts que le juge est amené à manipuler, devront suivre le régime tel qu'il existe dans la branche du droit de laquelle ce concept est issu.

On peut même aller plus loin et imaginer quel désordre régnerait si tel n'était pas le cas ; ce serait l'insécurité juridique totale.

 

D'ailleurs, il nous semble anormal, de parler de "législateur fiscal". Le législateur est un, et il édicte des règles applicables à tous. S'il croit bon de poser des aménagements de circonstance lorsqu'ils s'imposent, il le fait. On pourrait alors parler de législateur du travail, puisque l'emploi est une préoccupation de premier ordre, ou de législateur des entreprises en difficultés, corpus de règle comprenant de nombreuses dérogations au droit commun.

 

Il faut rester réaliste. Le droit fiscal n'est pas plus autonome qu'une autre branche du droit. Le doyen Vedel[138] a parfaitement décrit le mouvement qui s'opère suite à l'émergence d'une nouvelle branche de droit :

 

"Les progrès et les transformations d'une discipline juridique se font suivant une dialectique bien connue. A un moment donné, les circonstances politiques, économiques et sociale amène la création d'une branche du droit ou - ce qui revient quelquefois au même - sa séparation du tronc auquel elle était auparavant rattachée. Dans cette phase de développement, la jurisprudence et la doctrine s'attachent à ce que le nouveau champ  d'action et d'étude a de spécifique et d'original. Et de rejeter, comme des vêtements mal adaptés, les concepts et les règles du droit commun. C'est alors que la revendication d'autonomie qui traduit, dirait-on an langage de science-politique, la volonté de désaliénation, voire de décolonisation, prend son essor. Puis vient une seconde phase ; la construction est mise en place ; les spécialistes se sentent chez eux. Commencent-ils à s'ennuyer, à éprouver les désenchantements de l'isolationnisme ? Peut-être. Plus rigoureusement, peut-on pousser l'originalité et l'autonomie jusqu'à l'affirmation d'un ordre juridique spécial au sein de l'ordre juridique national ? On ne peut pas aller jusque là : le temps de la synthèse est venu, en tout cas celui du rapprochement, de la conciliation et des liaisons. Il ne s'agit pas pour la jeune discipline devenue adulte, de réintégrer purement et simplement le giron maternel d'où elle est sortie, comme dans ces films qui, projetés en sens inverse, nous montrent le papillon revenant à l'état de chrysalide. Il s'agit, de façon d'ailleurs plus ambitieuse, de retrouver ce qu'on de commun, à un stade nouveau de développement, l'ancien et le nouveau, d'autant plus que les disciplines mères ne sont pas demeurées immobiles, qu'elles on notamment été elles-mêmes influencées par leur rejetons"

 

 

 

220.  Les différentes branches du droit sont largement interactives et interdépendantes entre elles. C'est donc un retour vers les concepts de base qu'il faut opérer, en dehors des aspects de spécificité de chaque discipline. On pourrait citer nombres d'arrêts adoptant purement et simplement les solutions dégagées par le juge judiciaire (A) car s'il est réaliste de dire que le droit est un, il faut tout de même laisser à chacun la spécialité dans laquelle il excelle. La chambre sociale pour les questions de droit du travail, les chambres civiles …

Du côté de la doctrine, outre les critiques de cette notion d'autonomie, on trouve des études tendant à mettre en évidence les bases du droit commun sous-jacentes à certaines impositions. On verra un exemple en matière de TVA (B).

 

 

A.   Traduction du recentrage en jurisprudence

 

 

221.  On aura ici un aperçu de quelques arrêts, dans lesquels, le juge fiscal reprend les solutions émises par le juge judiciaire, lorsqu'il est amené à manier des institutions, dont d'autres juges ont déjà eut à connaître.

 

Tel est le cas de l'arrêt Trade Arbed France du 21 décembre 1994[139]. Dans cette affaire une société s'était vue transférée une partie d'un secteur d'activité d'une autre entreprise. Du fait de ce transfert, par application de l'article L 122-12 du Code du travail, le nouvel employeur se voit transféré tout contrat de travail en court à ce jour. La société avait remboursé une partie des indemnités de licenciement dues à un salarié, au précédant employeur. Elle avait porté cette charge en déduction de son résultat. Or, lors d'un contrôle l'administration rejette cette charge et réintègre cette somme dans son résultat. Le Conseil d'Etat rejette la thèse de l'administration, et reprend l'interprétation donnée à l'article L 122-12  telle que dégagée par l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation le 16 mars 1990[140], et selon laquelle cette disposition s'applique à tout transfert d'entité économique si celle-ci conserve son identité et si l'activité est poursuivie.

 

On peut de surplus relever que la CJCE adopte une solution identique sur ce point. Outre le fait qu'il y ait harmonie entre les jurisprudences, on peut également dire que le droit communautaire tend à l'harmonisation au sein des Etats de l'Union Européenne. Les décisions des instances communautaires s'imposent à tous, on assiste donc à une unification par le haut, si l'on ose dire, puisque les deux cours suprêmes sont pareillement tenues par la jurisprudence communautaire ; celle-ci est donc un autre facteur de réduction des divergences entre les branches du droit. En dehors  des cas tranchés par le juge communautaire c'est la sécurité juridique qui appelle des analyses équivalentes pour des situations identiques, pour autant que le contraire n'ait pas été prévu.

 

 

222.  On peut également citer un arrêt du 1er février 1995[141]. Le problème était lié au cautionnement. La question était de savoir quel est l'exercice de rattachement des commissions versées à l'organisme caution. Celui-ci contestait la réintégration dans son résultat, car il entendait répartir ces commissions tout au long de la durée de la garantie qu'il offrait. Il se fondait sur l'article 38-2 bis du CGI, qui énonce que les prestations continues rémunérées sont prises en compte au fur et à mesure de l'exécution. Cet article se base sur une logique économique tendant à mettre face à face, produits et charges correspondantes.

Avant de trancher le Conseil d'Etat devait donc déterminer si un contrat de cautionnement est un contrat portant  des prestations continues rémunérées, et ce pour dire s'il est possible à cet organisme d'étaler les commissions.

Ce type de contrat étant traité par le Code civil, c'est dans cette direction qu'il faut chercher.

 

 

223.  L'article 2011 du Code civil, dispose que, la caution s'engage à exécuter la prestation du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. Le contrat, bien que créant des rapports triangulaires, est un contrat conclu entre les seules cautions et créanciers. Mais ce à quoi s'est engagé la caution dure  tant que dure l'obligation du débiteur principal ou le temps prédéfini par le contrat de cautionnement.

 

Traditionnellement en droit des contrats, on classe les contrats en contrats à exécution instantanée, engendrant des obligations qui peuvent s'exécuter en une fois  ; dans la catégorie des contrats successifs on dissocie les contrats à exécution successive, créant un lien d'obligation permanent, des contrats à exécution échelonnée, engendrant des prestations récurrentes.

 

A priori, le cautionnement répond à la définition du contrat à exécution successive, puisque la caution est tenue tant que dure le contrat. Pourtant ce n'est pas l'analyse qu'a adoptée le juge judiciaire. Il considère qu'il n'y a pas à faire de cas du caractère accessoire sur cette question, et que c'est un contrat entre la caution et le créancier. Le Conseil d'Etat reprend cette solution en jugeant que le cautionnement étant un contrat à exécution instantanée, les commissions perçues en rémunération sont à rattacher à l'exercice de conclusion du contrat.

 

 

224.  Solution  quelque peu critiquée, le considérant du Conseil d'Etat relève que la rémunération du contrat à pour objet l'octroi d'une garantie permettant au bénéficiaire de signer un contrat d'emprunt. Certes tel est le cas à courte vue, mais le contrat de cautionnement fait naître d'autres obligations, dont notamment l'obligation de couverture, délimitant le cadre de la garantie offerte, et qui elle est continue, même peut-on dire à exécution successive. De plus les spécialistes de la question, ne sont pas fixés sur le caractère du contrat de cautionnement, et dans  ce cas il aurait été opportun que le juge fiscal prenne des libertés sur ce point comme il l'a fait en matière d'exigibilité de la TVA, comme nous l'avons vu plus haut, et ce eut égard à la finalité économique de l'article 38-2 du CGI. Donc ce cas est très démonstratif de ce recentrage, puisque dans cette hypothèse on aurait pu comprendre une divergence d'analyse.

 

 

225.  Le dernier point à voir concerne les études qui sont de plus en plus consacrées aux fondements des impositions. En effet en y cherchant bien il est presque toujours possible de déceler une base issue d'une autre branche du droit, notamment du droit des obligations, qui organise le principal vecteur de ce qui servira de base à l'impôt, à savoir le contrat. On prendra l'exemple de la TVA et de ces fondements en droit des obligations.

 

B.   TVA et droit des obligations

 

 

226.  Un auteur[142] s'est efforcé de dégager les fondements juridiques de la TVA, taxe qui se voulait pourtant à caractère très largement économique. Nous nous inspirerons largement de son travail. L'auteur a brillamment démontré que la TVA a pour socle le droit des obligations. C'est beaucoup l'influence du droit communautaire et de la jurisprudence de la CJCE développée autour de la 6ème directive, qui lui donne ce visage. Ceci est dû à la généralisation de la taxe, qui entraîne une modification de son champ d'application, en le recentrant sur la nature des opérations effectuées. Au plan communautaire, elle a été développée et étendue car elle est fondée sur une logique exclusivement économique, et est douée de la neutralité.

 

                Auparavant, son champ d'application se définissait par rapport aux affaires industrielles et commerciales. Or le concept d'opération taxable, à présent à l'honneur, conduit à s'intéresser aux opérations juridiques ainsi visées.

La TVA est un impôt qui s'applique à la création de richesse (valeur ajoutée), son lien avec le contrat est incontestable.

 

 

227.  Tout d'abord, concernant le champ d'application de la taxe, l'article 256-1 du CGI, énonce que sont soumises à la taxe les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées par un assujetti agissant en tant que tel. Cette dernière proposition vise les personnes qui exercent une activité économique de commerçant, de producteur, de prestataire de services, y compris du secteur agricole et libéral. C'est là l'aspect subjectif du champ.

 

Pour son côté objectif, sont visées des opérations. Celles-ci se réalisent par des opérations juridiques. Les textes sur la TVA, issus de la transposition de la 6ème  directive, connaissent une grande influence du juge communautaire, comme nous l'avons déjà dit. Celui-ci par une série d'arrêt insiste sur l'exigence d'un lien directe entre les biens et services fournis et la contre-valeur reçue en échange. Or cette interdépendance appelle deux conséquences : un service directement rendu à un bénéficiaire et une relation entre le niveau de l'avantage et la contre-valeur.

 

Ceci n'est pas sans rappeler une institution bien connue du droit civil : le contrat synallagmatique.

Dans ce type de contrat il y a également une interdépendance entre les obligations réciproques des parties. L'obligation d'une des parties est la cause de l'obligation de l'autre. La CJCE est très attachée à ce lien direct pour fixer le champ d'application de la TVA. Tel est le sens de l'arrêt Apple and pear development council  du 8 mars 1988[143], solution de principe sur la notion de lien directe, et qui aura pour suite un infléchissement de la jurisprudence du Conseil d'Etat.

 

 

228.  Le Conseil d'Etat n'évoquait pas toujours directement cette notion de lien directe. Mais la notion de relation contractuelle synallagmatique est sous-jacente. Cela se ressent jusque dans la jurisprudence relative aux subventions. En effet, pour savoir si une subvention doit être assujettie à la TVA, le juge de l'impôt recherche si le bénéficiaire souscrit un engagement en contrepartie de celle-ci. De plus avec le développement d'une tendance relevée par certains auteurs, qui va vers la contractualisation des aides publiques, Mme Droin affirme, que même dans ce cas la base est contractuelle ; il s'agit alors d'un contrat administratif.

 

En ajoutant à cela la jurisprudence qui  s'est élaborée autour des taxes parafiscales, pour lesquelles est également recherchée s'il existe une relation entre le montant et l'avantage, l'auteur aboutit à la conclusion que "les critères du lien directe ne sont pas remplis lorsque à la base il n'y a pas de contrat (de droit privé ou de droit administratif) comportant des obligations réciproques".

 

 

229.  Ensuite, le second point concerne une condition essentielle à la validité des contrats, l'objet. La livraison de biens ou la prestation de services  équivaut à une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, dont l'article 1126 du Code civil fait état. En matière de TVA, la contrepartie doit être réelle et sérieuse pour que l'opération entre dans le champ de la taxe. De la même façon en droit des obligations, l'absence de contrepartie dans un contrat synallagmatique entraîne l'annulation du contrat pour absence de cause, ou, à tout le moins sa requalification  en libéralité, qui le placera hors du champ de la TVA du point de vu fiscal.

Quant à la licéité de l'objet, la jurisprudence de la CJCE place hors champ les opérations portant sur des biens qui ne rentrent pas dans un circuit économique[144], ce qui évoque la notion de biens dans le commerce dont parle l'article 1128 du Code civil.

 

 

230.  Enfin parfois il est fait explicitement renvoi à des notions de droit civil concernant certains points. Ainsi en est-il de la livraison, qui est le fait générateur de la taxe, ou encore concernant l'assiette de l'impôt lorsqu'il est décidé que la taxe est un élément du prix convenu, conformément au Code civil.

 

 

 

 

231.  Il apparaît ainsi que le droit fiscal est bien moins autonome que l'on veut parfois le faire croire, et que les notions issues des autres branches du droit notamment du droit civil sont fondamentales à la matière des impôts.

On a ainsi pu voir quelques exemples de ces manifestations d'autonomie usurpées.  Nous avons ensuite fait état de quelques particularismes du droit fiscal. Nous avons ainsi eu l'occasion de critiquer certaines manifestations de ces divergences, nuisibles à la sécurité juridique.

 

                Ainsi il ressort que l'autonomie du droit fiscal perd du chemin pour ses partisans. La question est de savoir s'il y a vraiment déjà eut une autonomie du droit fiscal. En fait des divergences ne sont pas nuisibles en elles-mêmes, parfois elles sont inévitables. Ce qui est plus contestable est le fait que ces manifestations ne soient pas toujours prévisibles. C'est à notre avis sur ce dernier point que des efforts seraient nécessaires pour ne pas nuire à la sécurité juridique. Le régime fiscal des opérations réalisées par les opérateurs doit être prévisible, afin qu'ils ne soient pas pris au dépourvu. Bien sûr, on l'a déjà dit, du fait des rôles assignés à la fiscalité, celle-ci ne pourra jamais être neutre, mais elle ne doit pas être un piège. Telle par exemple le cas de la commercialité de la location du fait de clauses d'indexation. Bien sûr, nous n'avons pas effectué de décompte précis, mais le contentieux en volume concernant l'application de l'article 206-2 du fait d'une telle clause apparaît plus abondant que du fait des autres critères.

Conclusion générale :

 

               

232.  Tout au long de ce travail, on a pu voir, dans un premier temps, la clef d'entrée à l'application de l'article 206-2. Cette clef est la qualification de l'activité de location en activité commerciale. Cette qualification est tantôt fondée sur un critère "brumeux", où l'on se perd et ou parfois la jurisprudence elle-même se perd, et en vertu duquel la location prend une coloration spéculative. Tantôt elle est fondée sur des dispositions, certes divergentes par rapport au droit privé, mais prévues expressément  par l'article 35 du CGI. La réalisation d'opération de marchand de biens si son interprétation n'est pas amplifiée, et si la jurisprudence tient ferme l'exigence d'une intention spéculative à l'achat, ne risque pas de poser trop de problèmes, sauf à n'être qu'un prétexte, mais alors le juge en tirera les conséquences.

 

 Quant à la location d'immeuble équipé, la notion étant à peu près clairement identifiable, permet que les opérateurs sachent à quoi s'en tenir. La question de la raison et du bien fondé de cette divergence, on la laissera aux soins de la doctrine.

 

 

233.  Ensuite, nous avons  vu  l'étendue des troubles causés par l'article 206-2. Dans un premier temps on a pu avoir un aperçu de la mise en œuvre de l'article 206-2, et de ces conséquences plus lointaines. Celles-ci sont susceptibles de s'étendre à toutes les parties prenantes au montage ; tant des associés de la SCI, que  de la société locataire.

 

Puis l'on a replacé cette disposition dans son "milieu naturel", le droit fiscal, où il crée également des désordres.  Troubles tant au niveau des contribuables, mais même au niveau de l'ordre normatif, par les multiples précisions nécessaires pour endiguer certaines institutions que l'on veut préserver.

 

Enfin nous nous sommes penché sur la question de l'autonomie du droit fiscal. A première vue aucun rapport avec le sujet, mais il nous a semblé intéressant de nous y arrêter un peu et de dresser une sorte de synopsis. Il y donc  un rapport entre le sujet traité et la question de l'autonomie du droit fiscal, puisque l'article 206-2 se nourrit des divergences entre le droit fiscal et le droit privé concernant la commercialité. On ne pouvait donc pas ne pas s'y arrêter.

 

Or, on a vu à cette occasion, que la question de l'autonomie du droit fiscal est en fait une fausse question, et qu'en droit fiscal il n'y a pas plus d'autonomie et de réalisme que par ailleurs. Il devrait plutôt être question de particularismes ou d'adaptations aux contingences de la matière. A cette occasion, on a pu porter un regard critique sur quelques-unes unes de ces manifestations, notamment celles qui ne sont pas explicitement prévue par un texte. Tel est à notre sens la tournure qu'a prise la jurisprudence concernant la "commercialité par ambiance" résultant des clauses d'indexation, et que l'on fonde sur l'article 34 du CGI. On a peine à cerner pourquoi un loyer indexé se mue en activité commerciale. Quant bien même ceci pourrait se justifier le fait que l'article 206-2 existe ajoute un inconvénient supplémentaire, qui exigerait que l'on reste en concordance avec le droit privé en l'absence de dérogation claire. Cela d'autant que l'on a pu voir que l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés peut se ressentir comme une sanction.  Donc, non seulement une SCI est réputée accomplir une activité commerciale, au sens du droit fiscal uniquement, et reste donc parfaitement régulière au regard du droit privé, mais en outre on l'assujettit à l'impôt sur les sociétés, ce qui pour le reste ne se justifie plus de l'aveux même du ministère.

 

               

234.  Sur ce point la justification avancée pour le maintient de cette disposition est décevant, voir inacceptable. On a pu ressentir tout au long de cette étude que l'application de 206-2, ressemble à une sanction. De plus l'administration y trouve un bon prétexte, pour tenter d'appréhender des sommes qui risquent de lui échapper comme on l'a vu dans le cas de la SCI alsacienne. Dans cette affaire sa mise en œuvre a conduit la société à la cessation des paiements. Quand on voit avec quel mal des solutions efficaces sont trouvées pour régler efficacement le problème des entreprises en difficultés, on peut être surpris de voir que des sociétés en arrivent là pour "des questions de principes extrêmement pointues", que dénonçaient certains.

 

De plus on imagine l'impression amère de ceux qui se retrouvent soumis à une procédure collective, pour une telle raison, quand il est dit que la suppression  de 206-2 poserait plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait, et qu'en fin de compte cela est dû à une application dévoyée de cette disposition.

On comprend mal ce que l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés ajoute, d'autant que les cas d'option se multiplient et que son régime paraît plus avantageux. Si l'argument de la fraude a pu peut-être, dans quelques cas se vérifier à l'époque où la catégorie des revenus fonciers apparaissait comme un petit paradis fiscal, de nos jours cela est moins sûr. C'est ce qu'a d'ailleurs relevé un Commissaire du Gouvernement depuis un certain temps maintenant.

En fait l'objectif de la mise en œuvre de l'article 206-2 du CGI est autre. Par ce biais dans certains cas l'administration tente de toucher des sommes hors d'atteinte si la SCI reste hors du champ de l'impôt sur les sociétés. Cette disposition est donc parfois dévoyée en pratique. On en veut pour preuve que toutes les conséquences directes et secondaires sont rarement tirées de la mise en œuvre de 206-2. Une fois la SCI assujettie à l'impôt sur les sociétés le but véritable sera sans doute atteint, à savoir appréhender une somme inaccessible ou encore relever un taux.

Mais s'il y a quelques possibilités de mettre sur pied une fraude fiscale, les auteurs de celle-ci ne se laisserons sans doute pas piéger par cette disposition. Or, dans la généralité des cas ce sont des contribuables de bonne foi qui sont frappés, or ce ne sont pas ces derniers qu'il faut ennuyer parce qu'ils ignoraient toutes les subtilités fiscales, mais bien les vrais fraudeurs.

 

Dans l'introduction on a pu faire un tour d'horizon des quelques autres tracasseries susceptibles de toucher au montage SCI/société commerciale. Il apparaît que les montages juridiques dès lors qu'ils sont un tant soit peu sophistiqués, soulèvent des problèmes. Cela peut provenir de leur nouveauté, ou encore du fait qu'ils sont transversaux, c'est-à-dire réclame l'application de multiples régimes juridiques, qui parfois sont difficiles à articuler. Mais souvent ces problèmes sont réglés. Il nous semble donc qu'il ne faille pas de surcroît miner le parcours des opérateurs par des tracasseries supplémentaires, notamment par l'existence de textes dont personnes ne parvient à fournir une justification convaincante à son maintient, sauf son utilisation en opportunité. Il nous semble injuste de vouloir à tout pris "réprimer" les esprits doués capables de jongler avec les concepts juridiques, surtout quand le but est uniquement le rendement de l'impôt. Tel est notamment le cas des "surdoués de la fiscalité"[145], or on ne devrait pas assimiler habileté et fraude.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Annexe :

 

Exemple de redressement proposé par l'administration au titre de l'impôt sur les sociétés pour une affaire jugée par le tribunal administratif de Strasbourg le 27 juillet 1999 :

 

Année                Base                                                  Impôt sur les sociétés du

1990

24650

11857

1991

88830

36544

1992

699390

266328

1993

0

5500            (IFA)

Pénalités d'assiette comprises

 

Donc un redressement de 320229 francs, qui a provoqué la cessation des paiements de cette société.

 

Détail :

1990                                          1991                                     1992                                      1993

Chiffre d'affaire                

loyer è342040                   loyer è464186                    loyerè412539                           0

autre è20400                                                                            autreè653637

= 362400                               =464186                               =1066176

 

Charges

Honorairesè3219                           è3000                                  è3000

         è1026                       

assuranceè2268                             è2384                             è1457

              è824                                                                          è1624

                                                                                                     

Impôts taxes :

Droit bailè22733                           è5074                              è12077   

Taxe adition.è10624                     è10195                            è8408

Taxe foncièreè3642                      è6948                              è8499

 

Entretienè18604                           è9659                              è21927

Diversè7600                                 è16389                            è178+260+11138

Intérêtsè267248                            è321701                          è240577

 =33768                                            =375350                            =309145

 

 Baseè24652                                 è88836                            è757027

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie :

 

 

Ø       Ouvrages généraux :

 

- M. Cozian ; Les grands principes de la fiscalité des entreprises ; 4ème édition Litec

- Lamy Droit fiscal

- J. Grosclaude, Ph. Marchessou ; Droit fiscal général ; 3ème édition Dalloz

-  Ph. Merle Droit commercial Sociétés commerciales ; 6ème  édition Dalloz

- F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette ; Droit civil Les obligations ; 7ème édition Dalloz

-F. Pérochon, R. Bonhomme ; Entreprises en difficultés Instrument de crédit et de paiement ; 4ème édition LGDJ

- Allix et Lecerclé, L'impôt sur le revenu, t1, 1918.

 

 

Ø       Jurisprudence :  (dans l'ordre d'apparition)

·         Cour de cassation  et cour d'appel :

 

- Crim. 4 février 1985 ; revue des sociétés, 1985, p. 648, note B.Bouloc.

- Com. 25 novembre 1997 ; Dalloz affaire, 1998, note Boizard.

- Com. 3 février 1998 ; Bull; Joly Soc. 1998, n° 6, § 219.

- Com. 28 juin 1994 RJDA 1994, 94, n° 1206

- Com. 11 juin 1996, Bull.Joly Soc. 1996, n°11, § 347, p. 954.

- Crim. 4 septembre 1996 ; Bull. Joly Soc., 1997, n° 2, § 38, note Rontchevsky.

- Cour d'appel de Paris, 19 décembre 1991 ; Bull. Joly Soc. 1992, n°3, § 101.

- Com. 31 mai 1988, note J.P. Legros ; Revue des sociétés 1993, p. 99.

- Cass. Civ.3, 10 mars 1993, JCPe, 1993, II, 460, obs. Boccara.

- Com. 3 juin 1986, Revue des sociétés, 585, Y. Guyon.

- Com. 19 novembre 1956, GP 1957,  I, p.203.

- Com. 12 octobre 1993, Bull. Joly Sociétés 1993, n°12, §381, note Jeantin.

- Com. 24 avril 1981, JCP 1982, II, 19740.

                - Com. 15 octobre 1963 pour un bail commercial devenu bail d'habitation ; Bull. civ. III, n° 414.

- Crim. 27 octobre 1997, Bull. crim., n ° 352.

- Civ. 22 avril 1909 ; DP 1909.1.344.

- Cass. AP ;16 mars 1990 ; RJS 1990, n° 281.

- Civ. 3, 9 avril 1970 ; Dalloz 1970, 726.

 

 

 

·         Conseil d'Etat et cour administrative d'appel :

 

- Conclusion de M. le Commissaire du gouvernement Dufour sous : conseil d'Etat 1 juillet 1964 ; Droit fiscal p.18.

- Conseil d'Etat, 28 mai 1962, Droit fiscal 1962, n° spécial, p. 131.

- Conseil d'Etat 13 mars 1974, Droit fiscal 1975, p.59, comm. 58.

- Conseil d'Etat, Plénière, 24 mai 1967,  DOC. F. Lefebvre BIC VIII, 20 et svt.

- Conseil d'Etat, 4 octobre 1972, Droit fiscal 1973, p.36, comm. 131.

- CAA Bordeaux, 29 juin 1994, Droit fiscal 1995 n° 13, p.596, comm. 628 ; Doit des sociétés 3/1995, p.13, n° 66, note M. Deslandes sur le bon usage des clauses d'indexation.

- Conclusion sous Conseil d'Etat 3 mars 1971.

- Conseil d'Etat, 3 mars 1976 ; RJF 1976, n° 5, p. 169 ; Droit fiscal 1976, n° 16, comm. 577 ; n° 39, comm.1306.

 

- Conseil d'Etat, 30 juin 1967 ; Droit fiscal 1967, n° 38, comm.978.

- Conseil d'Etat, 13 février 1980 ; Droit fiscal 1980, n° 42? Comm. 2056 ;

- CAA Nantes, 5 février 1992, Droit fiscal 1993, n° 20, comm. 1024.

- Conseil d'Etat, section, 29 décembre 1995, RJF 1996, n°2, p.102.

- Conseil d'Etat, 26 juillet 1982 ; Droit fiscal 1983 n°10, comm. 378.

- Conseil d'Etat, 28 mai 1984 ; Droit fiscal 1984, n° 41, comm. 1718, conclusions Racine.

- Conseil d'Etat, 13 mars 1974, Droit fiscal 1975, n°2, comm.58, conclusions Mandelkern.

- Conseil d'Etat, 28 septembre 1984, Droit fiscal 1984, n°51, comm. 2335.

- Conseil d'Etat 28 novembre 1984, Droit fiscal 1985, n°15, comm. 763.

- CAA Paris 28 novembre 1994, Doit fiscal 1995, n°30, comm. 1583.

- Conseil d'Etat, 29 janvier 1982.

- Conseil d'Etat, 12 mai 1980.

- Conseil d'Etat, 12 juin 1992.

- Conseil d'Etat, plénière, 25 juillet 1980 ; Droit fiscal 1981, n° 7, comm.331.

- CAA Lyon ; JCP n 1996, n° 6,jurispdce p. 233.

- Conseil d'Etat, 6 novembre 1992 ; Droit fiscal 1993, n°22-23, comm. 1155, ccl Ph. Martin.

- CAA Nancy, 20 novembre 1990.

- Conseil d'Etat, 8 novembre 2000 ; Doit fiscal 2001, n°12, 264, p..540.

- Conseil d'Etat, 25 juillet 1980 ; Droit fiscal 1980, comm986, p. 614.

- Conseil d'Etat, 18 mars 1983 ; RJF 1983, n° 5, p. 274.

- Conseil d'Etat, 31 mai 1972 ; Droit fiscal 1973, P.17, n°889.

- Conseil d'Etat, 16 juin 1982 ; RJF 1982, n°8-9, p. 395, n° 781.

- Conseil d'Etat, 29 décembre 1995 ; Bull. Joly Soc., mars 1196, §77 ; ccl. Ph. Martin.

- Conseil d'Etat, 8 juillet 1992, Droit fiscal 1993, comm. 125.

- Conseil d'Etat 7 juillet 1958, Droit fiscal 1958, n° 44, comm. 938.

- Conseil d'Etat, 12 décembre 1987, Droit fiscal 1988, n° 20-21, comm. 935, affaire Guerlain.

- Conseil d'Etat, 6 juillet 1988, Droit fiscal 1989, n° 51, comm. 2405.

- Conseil d'Etat, 11 mars 1988, Droit fiscal 1988, n°26, comm.1331.

- Cour administrative d'appel de Paris, 29 octobre 1991, Droit fiscal 1993, n°25, comm. 1272.

- Conseil d'Etat, 4 décembre  1974, Droit fiscal 1975, n° 29-30,comm. 1002.

- Conseil d'Etat, 25 juillet 1980, Droit fiscal 1981, n°42, comm. 1851 ; ccl Lobry.

- CAA de Lyon, 14 juin 1995 ;JCPn, 1996, Jurisprudence, p. 234.

- Conseil d'Etat, 9 décembre 1981 ; droit fiscal 1982, n° 20, comm. 1104.

- Conseil d'Etat, 15 novembre 1985 ; Droit fiscal 1986, n° 10, comm.446.

- Conseil d'Etat, 24 novembre 1967 ; Droit fiscal 1969, n° 26, comm. 884 ; ccl. L. Mehl.

- Conseil d'Etat, 8 juillet 1998 ; Droit fiscal 1998, n° 42, comm. 986.

- Conseil d'Etat, 27 juillet 1984 ; Droit fiscal 1984, n°48, comm. 2150.

- Conseil d'Etat, 21 décembre 1994 ; RJF 2/1995, n°103.

- Conseil d'Etat, 1er février 1995 ; RJF 3/1995, n°298.

 

·         CJCE :

 

- CJCE, 8 mars 1988 ; Droit fiscal 1989, n° 15, comm. 813.

                - CJCE, 5 juillet 1988, Mol ; REC. CJCE, p. 3627.

 

 

 

Ø       Etudes :

 

 

- M. Cozian ;  "Du bon usage de la SCI"

- M. Cozian, Société civile immobilière-société d'exploitation : est-ce vraiment un couple infernal ? ;JCPe 1997, n° 10, p. 107.

- J.P. Garçon, La séparation de l'actif immobilier et de l'actif commercial par superposition de deux sociétés, civil et commerciale, et confusion de patrimoine ; Bull. Joly Soc. 1996, n° 11, § 327.

- M. Tricot, Confusion de patrimoine et procédures collectives  ; Rapport de la Cour de cassation pour 1997.

- J. Calais-Auloy ; "Grandeur et décadence de l'article 632 du Code de commerce (Considération sur le domaine du droit commercial)",  Mélange Cabrillac, 1968, p.37et svt.

- M. Cozian ; "La définition fiscale du commerçant", Mélange Roblot ; 1984 ; p. 85 et svt..

Chronique mensuelle par J.F. Verny ; RJF 1980, n°4, p. 143

- M. Cozian ; "Une disposition fiscale <<attrape-nigaud>> : la soumission à l'impôt sur les sociétés des sociétés civiles à objet commerciale", , Semaine juridique, éd. gén.1979, n° 2961.

- D. Grillet-Ponton "La spéculation en droit privé", D. 1990, crhon.,p.157.

- J.-Cl. Ricci, Le pouvoir discrétionnaire de l'administration fiscal, PU Aix, 1977.

- J.P. Le Gall, Du bon ou du mauvais usage de quelques concepts juridiques par la fiscalité française" ; Droit fiscal 2001, n° 12, p. 514.

- Exposé des motifs du projet de loi ; Bull Joly Soc. Du 4/1992, § 125.

- P. Fernoux, Entreprise individuelle : stratégie de location de l'immobilier ; Bull. Fisc. Francis Lefebvre, 3/01.

- G. Goulard, Que reste-t-il de l'autonomie du droit fiscal ? ; RJF 5/1995, p. 322.

- E. Droin, Les fondements juridiques de la TVA en droit des obligations" ; Droit fiscal 1999, n°14, p.561.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Index : Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphes

 


A

Abus de biens sociaux : 15,160

Abus de confiance : 15

Abus de droit : 197

Acte anormal de gestion : 158 s

Affectio societatis : 69 s

Agriculture : 182 s

Artisan : 182

Autonomie : 189 s

Avoir fiscal : 150 s

 

B

Biens professionnels : 146 s

 

C

Cautionnement : 222 s

Cessation d'entreprise : 143 s

Compte courant d'associé : 139 s

Commercialité (décadence) : 27

Confusion de patrimoine : 11,12

 

D

Désinvestissement : 167

Droits - immobiliers : 202 s

           - sociaux : 200

Dirigeant de fait : 196

 

E

Extension : 11

 

F

Fictivité : 11,12,13

 

G

GIE : 176

 

I

Indexation : 61 s

Intérêt social : 160

 

L

Lien direct : 227 s

 

M

Meuble : 111

 

N

Novation : 106 s

 

O

Objet : 103

Organisme sans but lucratif : 22

 

P

Paiement : 214 s

Patrimoine : 209 s

Prix de transfert : 159 s

R

Revenu distribué : 150 s

 

S

Secteur libéral : 185 s

Société - civile de moyens : 177

             - civile professionnelle : 177

             - d'attribution : 179

             - de fait : 28, 196 s

             - de construction-vente : 175

             - nullité : 28

 

T

Transfert de secteur d'activité : 221


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Table des matières :                                                                                                                 pages

 

Introduction……………………………………………………………………………… 3

 

Titre I : Commercialité de l'activité de la SCI au regard du droit fiscal………..…... 12

 

Chapitre I : La location immobilière commerciale selon l'article 34 du CGI ….....… 14

 

Section I : La commercialité de la location immobilière tenant aux changements dans les modalités d'exploitation de l'entreprise ………………………………..………….. 15

 

§1 Un critère abandonné par la jurisprudence …………………………………….…. 16

A. Position jurisprudentielle tenue jusqu'en 1971 ……………..…..……….… 16

1. Présentation du montage litigieux …………………..……..………... 16

                        2. Une concomitance révélant une fraude à la loi (!?) ..……..………... 16

B. Une solution intenable ……………………………….……………….……... 17

1.Une position jurisprudentielle critiquée ………….…………….…… 18

2. Position nouvelle de la jurisprudence……..……...………………..... 18

 

§2 Un critère cependant toujours menaçant …………………………..………...……. 19

A. Aperçu des réactions de l'administration face à une jurisprudence   défavorable ……………………………………………………………………….…….. 19

B. Consécration législative du critère de la concomitance ……………….….. 20

 

Section II : Commercialité due à la participation du bailleur aux résultats ou à la gestion de l'entreprise locataire ……………………………………………………..… 22

 

§1 Clauses permettant la qualification commerciale de la location de par leur seule présence dans le contrat ………………………………………………………………... 23

 

§2 Clauses nécessitant des indices complémentaires ……………………………….… 24

A. Indexation et participation indirecte aux bénéfices ……………………….. 26

B. Indexation et participation aux pertes …………………………………….... 27

 

 

Chapitre II : La commercialité de l'activité  de la SCI fondée sur l'article 35 du CGI. ……………………………………………………………………………………………...30

 

Section I : Le risque d'application de la qualification de marchand de biens……...... 32

 

§1 Personne achetant habituellement des immeubles en son nom …………………… 32

 

§2 Un achat en vue de la revente : une intention spéculative à l'origine …………..… 33

 

Section II : Locaux nus et locaux munis du matériel nécessaire à l'exploitation ….… 36

 

§1 Moment de l'appréciation de la qualification fiscale du bail …………….………… 37

A. Une situation fixée lors de la prise d'effet du bail ………...……………….... 37

B. Une qualification susceptible d'évoluer….…………………………………… 38

 

§2 Détermination de la notion d'immeuble équipé ……………………….……….….... 39

A. Caractère des aménagements ………… ……………………………………... 39

B. Le degrés d'équipement requis ……………………………...…………...…... 40

 

 

Titre II : L'article 206-2 du CGI : ses suites et son contexte …………………………. 43

 

 

Chapitre I : Les suites liées à la requalification de l'activité de la SCI …………...…. 44

 

Section I : Le redressement de la SCI ……………………………………………….…. 45

 

§1 Un changement de statut fiscal dans une ambiance de suspicion ……………….… 45

A. La SCI assujettie aux impositions des sociétés commerciales ……………... 45

B. Procédure de redressement  ………………………………..……………...…. 46

 

§2 Les effets induits ……………………………………………………...……………..... 47

A. Effets secondaires au niveau de la SCI …………………………………….... 47

1. Désagréments liés au changement de régime fiscal …………...…….. 47

a. Sort des amortissements .………..…………………………..… 48

b. Problème lié au financement par compte courant d'associé .. 49

2. Changement de régime fiscal et cessation d'entreprise .…………….. 50

B. Désagréments subis par les associés de la SCI ……………………………… 50

1. Statut de la participation dans la SCI .……………………………….  51

2. Un changement de qualification des revenus distribués par la SCI… 50

 

Section II : Effets possibles du côté de la société locataire ……………...…………….. 54

 

§1 Acte anormal de gestion et loyer "anormal" ……………………………………..… 54

A. Acte anormal de gestion et charges déductibles  .………………………...… 54

B. Acte anormal de gestion et TVA…………………..………………………….. 55

 

§2 Acte anormal de gestion et revenu distribué ………………………. …………….... 56

 

 

Chapitre II : L'article 206-2 replacé dans le droit fiscal ……………………………… 59

 

Section I : Aperçu des désordres causés par l'article 206-2 …………………………... 60

 

§1 L'article 206-2 dans le CGI ………………………………………………………….. 60

 

§2 Les sociétés civiles en dehors du secteur locatif …………………………………..… 62

A. Les sociétés civiles du secteur agricole face à l'article 206-2 …………….… 63

B. Les sociétés civiles du secteur libéral face à l'article 206-2 ………………… 64

 

Section II : Les solutions fondées sur l'article 206-2  : une manifestation de "l'autonomie et du réalisme" du droit fiscal  ..……………………...…………………. 65

 

§1 "L'autonomie et du réalisme" du droit fiscal en question………………….……… 66

A. Remise en cause de quelques-unes unes de ces manifestations ………….… 66

B. De vraies manifestations de divergence …………………………………….. 68

1. Droit fiscal et droits immobiliers …………………………..… 69

2. Droit fiscal et patrimoine……………………………………… 71

3. TVA et encaissement……………………………………………72

 

§2 Recentrage vers les concepts de base ……………………………………………….. 73

A. Traduction du recentrage en jurisprudence ……………………………..…. 74

B. TVA et droit des obligations …...…………...…………………………………76

 

Conclusion générale ………………………………………………………………………78

 

Annexe ……………………………………………………………………………………..80

 

Bibliographie ………………………………………………………………………………81

 

Index ………………………………………………………………………………………. 84

 

Table des matières ……………………………………………………………………….. 85

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Remerciements :

 

 

                Je tiens à remercier Monsieur Q. Urban pour son suivi le long de ce travail,  Monsieur Th. Schmitt

pour son aide.     

               

                Je remercie également Maître A. Eber pour les exemples fournis et les précisions données, ainsi que Monsieur Aloyse Warhouver, député de la Moselle, qui a accepté de poser la question écrite dont il est question.

 

                Enfin, la dernière mais non la moindre, ma maman qui me supporte, mais malgré tout me soutient depuis toutes ces années.

 

               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Summary :

 

 

The umbrella organisations are dreaded in a fragmented way by the French law. It is especially a functional instrument optimizing the other capacities. The groups appear under various sizes. The one that we study is in the majority of the cases of modest size. It is necessary partially by the fact that the French law does not know the institution of the affectation patrimony, so one arrives at a similar result by using a company. Now the sophisticated assemblies are often exposed to risks. The group commercial SCI / COMPANY lends the side to different threats as the misuse of company property or the extension of procedure of bankruptcy. Here we shall see a risk connected to the tax law. An arrangement makes a company civilian a priori fiscally translucent, opaque and subjected to the company tax. Often the recovery is of for disparities which exists in the apprehension of the factors of commerciality between the private law and the tax law. So the presence of certain clauses in the rental agreement returns the commercial activity. Now the civil recovery of the company has side effects on the associates and sometimes on the company tenant. It in the affable final has to wonder about this autonomy of the tax law which is all the more debatable when it is not clearly due to a text of law. It is the legal security which is threatened.

 

 

 

 

 



[1] Crim. 4 février 1985 ; revue des sociétés, 1985, p. 648, note B.Bouloc.

[2] Ph. Merle : "Sociétés commerciales" ; Dalloz  6ème  édition ; p. 706

[3]M. Cozian ;  "Du bon usage de la SCI"

[4] M. Cozian, Société civile immobilière-société d'exploitation : est-ce vraiment un couple infernal ? ; JCPe 1997, n° 10, p. 107.

[5] J.P. Garçon, La séparation de l'actif immobilier et de l'actif commercial par superposition de deux sociétés, civil et commerciale, et confusion de patrimoine ; Bull. Joly Soc. 1996, n° 11, § 327.

[6] M. Cozian, précité note 3.

[7] M. Tricot, Confusion de patrimoine et procédures collectives  ; Rapport de la Cour de cassation pour 1997.

[8] F. Perrochon, R Bonhomme ; Entreprises en difficultés - Instruments de crédit et de paiement, 4ème édition, LGDJ, p. 94.

[9] Exemple Com. 25 novembre 1997 ; Dalloz affaire, 1998, note Boizard.

[10] Com. 3 février 1998 ; Bull ; Joly Soc. 1998, n° 6, § 219.

[11] J.P. Garçon précité.

[12] En ce sens Derrida, Godé, Sortais.

[13] Voir par exemple, Com. 28 juin 1994 RJDA 1994, 94, n° 1206 ; Com. 11 juin 1996, Bull. Joly Soc. 1996, n°11,  § 347, p. 954.

[14] Crim. 4 septembre 1996 ; Bull. Joly Soc., 1997, n° 2, § 38, note Rontchevsky.

[15] Cour d'appel de Paris, 19 décembre 1991 ; Bull. Joly Soc. 1992, n°3, § 101.

[16] Allix et Lecerclé, L'impôt sur le revenu, t1, 1918.

[17] Réponse à M. A. Warhouver, JOAN 23 juillet 2001, p. 4246.

[18] J. Calais-Auloy ; "Grandeur et décadence de l'article 632 du Code de commerce (Considération sur le domaine du droit commercial)",  Mélange Cabrillac, 1968, p.37et svt.

[19] M. Cozian ;   "Les grands principes de la fiscalité des entreprises", Doc. 21 "Un "traquenard" les sociétés civiles à objet commercial" p.278.

[20] Com. 31 mai 1988, note J.P. Legros ; Revue des sociétés 1993, p. 99.

[21] M. Cozian ; "La définition fiscale du commerçant", Mélange Roblot ; 1984 ; p. 85 et svt..

22 Conclusion de M. le Commissaire du gouvernement Dufour sous : Conseil d'Etat, 1 juillet 1964 ; Droit fiscal p.18.

[23] Chronique mensuelle par J.F. Verny ; RJF 1980, n°4, p. 143

[24] précité Conseil d'Etat, 1er juillet 1964.

[25] Conseil d'Etat, 28 mai 1962, Droit fiscal 1962, n° spécial, p. 131.

[26] Conseil d'Etat, 4 octobre 1972, Droit fiscal 1973, p. 36, comm. 131.

[27] Conseil d'Etat 13 mars 1974, Droit fiscal 1975, p.59, comm. 58.

[28] Conseil d'Etat, Plénière, 24 mai 1967,  DOC. F. Lefebvre BIC VIII, 20 et svt.

[29] Conseil d'Etat, 4 octobre 1972 précité.

[30] CAA Bordeaux, 29 juin 1994, Droit fiscal 1995 n° 13, p.596, comm. 628 ; Doit des sociétés 3/1995, p.13, n° 66, note M. Deslandes sur le bon usage des clauses d'indexation.

[31] M. Cozian ; "Une disposition fiscale <<attrape-nigaud>> : la soumission à l'impôt sur les sociétés des sociétés civiles à objet commerciale",  Semaine juridique, éd. gén.1979, n° 2961.

[32] Vocabulaire juridique, G. Cornu.

[33].M. Cozian ; "Une disposition fiscale <<attrape-nigaud>> : la soumission à l'impôt sur les sociétés des sociétés civiles à objet commerciale", précité.

[34] Conclusion sous Conseil d'Etat 3 mars 1971.

[35] §1 B 2.

[36] M. Cozian précité note 15.

[37] Vocabulaire juridique, G. Cornu.

[38] Cass. Civ.3, 10 mars 1993, JCPe, 1993, II, 460, obs. Boccara ; Civ.3, 7 mars 2001 ; Dalloz 2001, n° 23, p. 1874-1875, obs. O. Rouquet : "Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que par les stipulations relatives à la fixation du loyer (loyer fixe indexé plus une partie variable indexée sur le chiffre d'affaire du locataire) les parties avaient entendu déroger aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 et que la société Vèlizy Petit Clamart ne pouvait invoquer le pouvoir reconnu au juge des loyers commerciaux en cette matière;"

[39] D. Grillet-Ponton "La spéculation en droit privé", D. 1990, chron., p.157.

[40] Conseil d'Etat, 3 mars 1971 précité.

[41] Conseil d'Etat, 3 mars 1976 ; RJF 1976, n° 5, p. 169 ; Droit fiscal 1976, n° 16, comm. 577 ; n° 39, comm.1306.

[42] M. Cozian, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, doc.18 "Indexation et commercialité", p.241 et svt..

[43] Com. 3 juin 1986, Revue des sociétés, 585, Y. Guyon.

[44] Com. 19 novembre 1956, GP 1957,  I, p.203.

[45] Com. 12 octobre 1993, Bull. Joly Sociétés 1993, n°12, §381, note Jeantin.

[46] Conseil d'Etat, 30 juin 1967 ; Droit fiscal 1967, n° 38, comm.978.

[47] Documentation administrative 4F 114, du 1 décembre 1993.

[48] Conseil d'Etat, 13 février 1980 ; Droit fiscal 1980, n° 42, Comm. 2056 ; J.-F. Verny précité note 6.

[49] CAA Nantes, 5 février 1992, Droit fiscal 1993, n° 20, comm. 1024.

[50] Conseil d'Etat, section, 29 décembre 1995, RJF 1996, n°2, p.102.

[51]. M. Cozian, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, doc.18 "Indexation et commercialité", précité.

[52] Conseil d'Etat, 26 juillet 1982 ; Droit fiscal 1983 n°10, comm. 378.

[53] Conseil d'Etat, 28 mai 1984 ; Droit fiscal 1984, n° 41, comm. 1718, conclusions Racine.

[54] Conseil d'Etat 28 septembre 1984 ; Droit fiscal1984, n° 51, comm.2335.

[55] Conseil d'Etat, section, 29 décembre 1995 précité.

[56] Conseil d'Etat 9 décembre 1991 ; JCP e, 1993, II, 398, note M. Deslandes.

[57] Conseil d'Etat 21 juin 1995, RJF 1995, n°8-9, p.574 ; conclusions Ph. Maritn, p.559.

[58] Conseil d'Etat 13 mars 1974, Droit fiscal 1975, n°2, comm.58, conclusions Mandelkern.

[59] Conseil d'Etat, 13 mars 1974, précité.

[60] Conseil d'Etat 28 septembre 1984, Droit fiscal 1984, n°51, comm. 2335.

[61] Conseil d'Etat 28 novembre 1984, Droit fiscal 1985, n°15, comm. 763.

[62] CAA Paris 28 novembre 1994, Doit fiscal 1995, n°30, comm. 1583.

[63] précité .

[64]M. Cozian ; "La définition fiscale du commerçant", précité.

[65] Voc. Juridique G Cornu.

[66] Com. 24 avril 1981, JCP 1982, II, 19740.

[67] Conseil d'Etat, 29 janvier 1982.

[68] Conseil d'Etat, 12 mai 1980.

[69] Conseil d'Etat, 12 juin 1992.

[70] Conseil d'Etat, plénière, 25 juillet 1980 ; Droit fiscal 1981, n° 7, comm.331.

[71] CAA Lyon, 14 juin 1995 ; JCP n 1996, n° 6, jurisprudence p. 233.

[72] Conseil d'Etat, 6 novembre 1992 ; Droit fiscal 1993, n°22-23, comm. 1155, ccl Ph. Martin.

[73] CAA Nancy, 20 novembre 1990.

[74] CAA Lyon, 14 juin 1995, précité.

[75] Conseil d'Etat, 8 novembre 2000 ; Doit fiscal 2001, n°12, 264, p..540.

[76] CAA Lyon, 14 juin 1995, précité.

[77]  Tribunal administratif de Strasbourg, 22 juillet 1999, cas aimablement fourni par Maître A. Eber.

[78] Conseil d'Etat, 25 juillet 1980 ; Droit fiscal 1980, comm986, p. 614.

[79] Conseil d'Etat, 18 mars 1983 ; RJF 1983, n° 5, p. 274.

[80] F. Terré, Ph. Simler, Y. Lecquette, Les obligations ; Précis Dalloz, 7° édition, 1999.

[81] Com. 15 octobre 1963 pour un bail commercial devenu bail d'habitation ; Bull. civ. III, n° 414.

[82] M. Cozian  "La définition fiscale du commerçant" précité.

[83] Conseil d'Etat, 18 mars 1983, précité.

[84] Conseil d'Etat, 13 février 1985 ; RJF 4/1985, n°547, p.301.

 

[85] Conseil d'Etat, 31 mai 1972 ; Droit fiscal 1973, P.17, n°889.

[86] Conseil d'Etat, 16 juin 1982 ; RJF 1982, n°8-9, p. 395, n° 781.

[87] Conseil d'Etat, 3 mars 1976, précité.

[88] J. Grosclaude, Ph. Marchessou ; "Droit fiscal général", Dalloz, 3eme éditon.

[89] M. Cozian, "Les grands principes de la fiscalité des entreprises", doc. 20, p.271 ; Litec, 4eme édition.

[90] M. Cozian, "Les grands principes de la fiscalité des entreprises", doc. 22, p.289 ; Litec, 4eme édition.

[91] Toutefois la solution ne semble pas toujours s'imposer en pratique et le contentieux est abondant sur la question. La société entend bénéficier de la souplesse d'un crédit bancaire et donc entend que ces sommes soient bloquées ; les associés veulent bénéficier des avantages et conserver une relative liberté de récupérer ces fonds. Par un arrêt du 24 juin 1997 (Bull. Joly 1997, § 314) la Chambre commerciale de la Cour de cassation a tranché la question : ces dépôts s'analysent comme un prêt et c'est à cette lumière que les conflits doivent être tranchés. Les arguments tendant au blocage des sommes tels que maintient du capital social ou soumission du remboursement à la contribution aux pertes sont donc voués à l'échec. Mais les solution ne sont pas toujours aussi fermes ; ainsi la cour d'appel de Caen par un arrêt du 16 janvier 1990 (Bull. Joly 1991, P. 916, § 326) a appliqué les règles de la prohibition des clauses léonines à de telles sommes.

D'ailleurs même dans cet arrêt la chambre commerciale ne semble pas tirer toutes les conséquences de son analyse puisque pour rendre une décision de blocage prise en assemblée, inopposable à l'associé-prêteur, elle parle de prohibition de l'augmentation des engagements alors que le droit des obligations y aurait suffit.

[92] Taux des intérêts fiscalement déductibles des comptes courant d'associé :

exercices clos entre le 31 mars et le 29 juin 2001:

                               2ème  trimestre 2000 : 5,8 %

                               3ème  trimestre 2000 : 6,22 %

                               4ème  trimestre 2000 : 6,48 %

                               1er trimestre 2001 : 6,36 %.

[93] Pour cette condition sont également comptabilisée les participations détenues  par les proches : ascendant, descendant, conjoint, concubin, partenaire d'un PACS. De plus la participation n'a pas à être de 25 % si cette participation représente 75 % des revenus bruts imposable.

[94] Exemple : A détient 20 % dans une SA et 30 % dans une SCI lui louant les locaux ; si l'immeuble vaut 1000000 è la part considérée comme bien professionnel sera de 200000 ;

si A à 25% dans une SA et 10 % dans une SCI la part exonérée sera de 100000.

[95] L'avoir fiscal a été institué par la loi du 12 juillet 1965 ; il se définit comme un crédit d'impôt matérialisé sous forme de certificat délivré aux accipiens de dividendes. Il correspond à 50 % du montant des dividendes pour une personne physique. Le mécanisme est le suivant : le contribuable ajoute sur sa déclaration la somme perçue de la société a laquelle il ajoute le montant de l'avoir fiscal (il déclare donc 150 %  de ce qu'il à reçu) ; après calcul, sur le montant de l'imposition dont est redevable notre contribuable, est imputé le montant de l'avoir fiscal. Avec un impôt sur les société au taux de 33, 1/3 %, la neutralisation de la double imposition est totale.

C'est là la situation normale, si l'impôt sur les sociétés acquitté par la société distributrice n'était pas à taux normal, ou pour les revenus de source étrangère non taxés, la société doit acquitter une taxation supplémentaire, le précompte, égale au montant de l'avoir fiscal dont bénéficieront les associés sur ces sommes.

Plusieurs conditions sont requises pour ouvrir droit à l'avoir fiscal : la société distributrice doit avoir son siège en France et être passible de l'impôt sur les sociétés ; l'avoir ne peut porter que sur les revenus répartis entre les actionnaires et distribués selon une décision régulière des organes compétents ; le bénéficiaire de l'avoir doit être une personne physique ou morale domiciliée ou ayant son siège en France, sauf convention internationale.

[96] Conseil d'Etat, 29 décembre 1995 ; Bull. Joly Soc., mars 1196, §77 ; ccl. Ph. Martin.

[97] Doc. Administrative n° 4J 1311, du 1er novembre 1995, Lamy fiscal n° 1408.

[98] Conseil d'Etat, 8 juillet 1992, Droit fiscal 1993, comm. 125.

[99] Conseil d'Etat, 16 mars 1976, précité.

[100] Conseil d'Etat 7 juillet 1958, Droit fiscal 1958, n° 44, comm. 938.

[101] Crim. 27 octobre 1997, Bull. Crim., n° 352.

[102] Position fixée depuis 1983, selon laquelle le caractère illicite d'une disposition n'en fait plus nécessairement une dépense anormale ; différents arguments sont avancés : l'administration ne pourrait pas dépasser son rôle en ajoutant des dépenses non déductibles non prévues par la loi, cette position serait en outre conforme au principe que le revenu est un revenu net, or comme le revenu ainsi dégagé est imposé les charges y afférents doivent être déductibles. Donc, sauf disposition spécifique, les dépenses mêmes illicites sont déductibles dès lors que leur montant est normal et que cela est conforme à l'intérêt social.

[103] Conseil d'Etat, 12 décembre 1987, Droit fiscal 1988, n° 20-21, comm. 935, affaire Guerlain.

[104] Conseil d'Etat, 6 juillet 1988, Droit fiscal 1989, n° 51, comm. 2405.

[105] Conseil d'Etat, 11 mars 1988, Droit fiscal 1988, n°26, comm.1331.

[106] Cour administrative d'appel de Paris, 29 octobre 1991, Droit fiscal 1993, n°25, comm. 1272.

[107] Conseil d'Etat, 4 décembre  1974, Droit fiscal 1975, n° 29-30,comm. 1002.

[108] Conseil d'Etat, 25 juillet 1980, Droit fiscal 1981, n°42, comm. 1851 ; ccl Lobry.

[109] M. Cozian, " Une disposition fiscale "attrape-nigauds" …", précité.

[110] Réponse ministérielle à M. Wolf, JOANQ, 19 juillet 1982, p. 2990.

[111] Encore que cela soit discutable, en effet, ne pourrait-on pas considérer qu'il ressort de l'objet, implicitement de l'objet qu'une société se détourne de celui-ci pour faire face à une conjoncture difficile ; le Conseil d'Etat avait déjà fait preuve de clémence pour une société qui avait racheté un immeuble impayé d'un client qui avait était soumis à adjudication pour le revendre, et ce, dans le but de réduire une perte.

[112] CAA de Lyon, 14 juin 1995 ;JCPn, 1996, Jurisprudence, p. 234.

[113] Le professeur Cozian parle ironiquement "du principe qui veut que l'on déplace le piano pour le rapprocher du tabouret".

[114] DODGI 5G-7-71.

[115] Civ. 22 avril 1909 ; DP 1909.1.344.

[116] Article 2 de la loi du 30 décembre 1988 sur l'adaptation de l'agriculture à son environnement.

[117] Conseil d'Etat, 9 décembre 1981 ; Droit fiscal 1982, n° 20, comm. 1104.

[118] Conseil d'Etat, 15 novembre 1985 ; Droit fiscal 1986, n° 10, comm.446.

[119] Réponse à Henry Berger ; JOAN 11 mai 1981, p. 2009 :

"Tout d'abord, il a été décidé que les sociétés civiles ne seraient pas soumises à l'impôt sur les sociétés tant que le montant hors taxes de leurs recettes de nature commerciale n'excéderait pas 10 % du montant de leurs recettes totales hors taxes… D'autre part, et pour limiter les conséquences d'un franchissement occasionnel de ce seuil de 10 %, il sera admis que la société ne soit pas effectivement soumise à l'impôt sur les sociétés au titre de l'année de dépassement si la moyenne des recettes hors taxes de nature commerciale réalisées au cour de l'année en cause et des trois années antérieures n'excède pas 10 % du montant moyen des recettes totales hors taxes réalisées au cours de la même période ".

[120] Illégalité qui pourra utilement être couverte par le dispositif prévu par l'article L 80 A du LPF, protégeant les contribuables de bonne foi contre le changement de doctrine administrative.

[121] Extrait cité par M. Cozian dans "les grands principes de la fiscalité des entreprises", doc. 1, "Propos désobligeants sur une "tarte à la crème" : l'autonomie et le réalisme du droit fiscal, extrait de L. Trotabas "Essai sur le droit fiscal", dans Revue de science et de législation financière, 1928, p. 201 à 236.

[122] Extrait cité par M. Cozian dans "les grands principes de la fiscalité des entreprises", doc. 1, "Propos désobligeants sur une "tarte à la crème" : l'autonomie et le réalisme du droit fiscal, extrait de "le particularisme du droit fiscal", RTDC, 1931, p. 800.

[123] Conseil d'Etat, 24 novembre 1967 ; Droit fiscal 1969, n° 26, comm. 884 ; ccl. L. Mehl.

[124] J.-Cl. Ricci, Le pouvoir discrétionnaire de l'administration fiscal, PU Aix, 1977.

[125] On peut distinguer plusieurs situations, qui en pratique sont regrouper sous le vocable "société de fait" ; ainsi une société irrégulièrement constitué mais qui à tout de même fonctionné jusqu'à son annulation : c'est la société de fait ; autre est la situation d'associés n'ayant pas exprimé la volonté de s'associer, mais une société résulte de leur comportement : c'est la société créée de fait, contrairement encore à la société en participation qui elle résulte de la volonté exprimée des associés, qui simplement on voulu conférer à leur groupement une certaine discrétion ; souvent c'est la structure privilégiée des pools bancaires.

[126] J.P. Le Gall, Du bon ou du mauvais usage de quelques concepts juridiques par la fiscalité française" ; Droit fiscal 2001, n° 12, p. 514.

[127] Voc. Juridique Cornu.

[128] Civ. 3, 9 avril 1970 ; Dalloz 1970, 726.

[129] "Est réputée posséder des biens ou droits immobiliers en France par personne interposée, toute personne morale qui détient une participation, quelles qu'en soient la forme et la quotité, dans une personne morale qui est propriétaire de ces biens ou droits ou détentrice d'une participation dans une troisième personne morale, elle-même propriétaire  des biens ou droit …"

[130]  Doc. Adm. Du 30 décembre 1976, 8M-124-§4 ; BODGI 8M-1-76.

[131] Texte qui assujettit au droit d'enregistrement les cessions de parts de sociétés à prépondérances immobilière.

[132] On assiste cependant à de plus en plus de remise en cause avec l'apparition d'institution pouvant être vue comme des patrimoines d'affectation, comme par exemple les fonds commun de placement ou de créance. Mais la multiplication d'exceptions ne permet pas de renverser un principe.

[133] Exposé des motifs du projet de loi ; Bull Joly Soc. Du 4/1992, § 125.

[134] P. Fernoux, Entreprise individuelle : stratégie de location de l'immobilier ; Bull. Fisc. Francis Lefebvre, 3/01.

[135] Conseil d'Etat, 8 juillet 1998 ; Droit fiscal 1998, n° 42, comm. 986.

[136] Conseil d'Etat, 27 juillet 1984 ; Droit fiscal 1984, n°48, comm. 2150.

[137] G. Goulard, Que reste-t-il de l'autonomie du droit fiscal ? ; RJF 5/1995, p. 322.

[138] Cité par M. Cozian, dans "Les grands principes de la fiscalité des entreprises", doc. 1, "Propos désobligeants sur une "tarte à la crème" : l'autonomie et le réalisme du droit fiscal".

[139] Conseil d'Etat, 21 décembre 1994 ; RJF 2/1995, n°103.

[140] Cass. AP ; 16 mars 1990 ; RJS 1990, n° 281.

[141] Conseil d'Etat, 1er février 1995 ; RJF 3/1995, n°298.

[142] E. Droin, Les fondements juridiques de la TVA en droit des obligations" ; Droit fiscal 1999, n°14, p.561.

[143] CJCE, 8 mars 1988 ; Droit fiscal 1989, n° 15, comm. 813.

[144] CJCE, 5 juillet 1988, Mol ; REC. CJCE, p. 3627.

[145] M. Cozian ; Les grands principes de la fiscalité des entreprises ; Doc. 2 "La notion d'abus de droit"