Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Année 2001-2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Essai de distinction entre les clauses définissant l’objet de la garantie  et les clauses d’exclusion de garantie dans le contrat d’assurance

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Laurence BRUGUIER -CRESPY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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        Il  est sans doute permis de traiter sur des choses incertaines, de vendre et d’acheter de simples espérances ; mais il faut que les incertitudes et les espérances qui sont la matière du contrat ne soient contraires, ni aux sentiments de la nature, ni aux principes de l’honnêteté .”  

 

Portalis, exposé des motifs du contrat de vente, chap.3,  Des choses qui peuvent être vendues.

 

 

  1 - La distinction des clauses définissant l’objet de la garantie et des clauses  d’exclusion du risque dans le contrat d’assurance conduit à un cruel  constat : celui de l’échec d’une disposition spéciale, censée mieux protéger et plus adaptée au mécanisme de l’assurance. Si le propos est abrupt, la réalité l’est tout autant : la possibilité conférée à l’assureur d’exclure sa garantie par des clauses rédigées par ses soins et interprétées à sa manière, aboutit à vider cette garantie de toute substance et partant, à faire disparaître le contrat.  En d’autres termes, en excluant sa garantie, l’assureur réduit son champ à néant. Dès lors, pourquoi distinguer entre deux  clauses dont l’une, celle d’exclusion,  prive l’autre de tout effet.

Vue sous cet angle, la distinction serait inutile et inefficace. A  supposer qu’elle mérite d’être analysée,   ce ne pourrait être  que sous la forme d’une controverse.

 

2 - C’est parce qu’il était devenu “ l’un des plus employés ” (1), que le législateur, par une loi du 13 juillet 1930, avait réglementé le contenu du contrat d’assurance. Il s’agissait,  notamment “ d’indiquer quelles étaient les clauses licites sans laisser aux assureurs le droit d’insérer dans leurs polices toutes les clauses de leur choix. ” (2).  Formellement, la clause délimitant l’objet de la garantie est prévue par l’article 8 de celle loi, devenu l’article L 112-4  du Code des assurances, aux termes duquel “ le contrat d’assurance indique la nature des risques garantis ”. Quant aux clauses d’exclusion, après que ce même texte les valide, sur la forme , à la condition d’être mentionnées “ en caractères très apparents ”, leur licéité  se trouve consacrée par l’article 12  de cette loi du 13 juillet 1930, devenu l’article L 113-1 du Code des assurances  suivant une formulation qui, nous semble-t-il , est à l’origine de difficultés  d’interprétations que nous n’hésiterons pas à qualifier de véritable  désordre judiciaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

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1 - H Capitant, La loi du 13 juillet 1930 relative au contrat d’assurance, RGAT 1930, 739.

2 - J Hamel, Notes parlementaires de droit civil, RTD Civ 1925, 966.

 

 

 

 

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3 -  En effet, après avoir imposé à l’assureur un principe contraignant de garantie, selon lequel les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur,  ce principe “tous azimuts ”  de garantie (3) se trouve immédiatement contrarié par la suite de la phrase “ sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.”

Le principe est donc la garantie et les exclusions, dérogeant à l’engagement général de l’assureur de couvrir le risque sont l’exception. Force est d’admettre aujourd’hui que la non garantie, par la voie d’exclusions soulevées à tort et à travers par l’assureur,  est devenu le principe et la   garantie, l’exception.

 

 

4 - Pendant longtemps,la distinction a pu être considérée comme secondaire,  n’étant envisagée que sur le seul fondement de la charge de la preuve , dans un sens peu protecteur des intérêts de l’assuré,qui se trouvait contraint, en sa qualité de demandeur à la garantie et par application de l’article 1315 du Code civil , de démontrer que les conditions de la garantie étaient réunies et que celles de l’exclusion qui lui était opposées par l’assureur ne l’étaient pas .Une fois la distinction faite sans cohésion par la jurisprudence,  elle a été source de difficultés de qualification,en raison des  effets pervers et de la complexification de l’application de l’article L 113-1 du Code des assurances, suscitant la réaction justifiée d’une partie de la doctrine. Ainsi, malgré la méfiance de la jurisprudence à leur égard et la sévérité avec laquelle elles étaient considérées, les clauses d’exclusion n’en ont pas moins continué à nourrir un contentieux  chaque jour plus abondant. 

 

Sans doute le caractère “ équivoque ”   du contrat d’assurance (4), donnant lieu à des  “ prétentions inadmissibles ”(5), explique,  pour partie,  ce contentieux  “ stérile ” (6).  Mais ce n’est pas tout : à une époque où  “ l’erreur du juge ” est mis en exergue (7), tout comme le principe de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, “ objectif à valeur constitutionnelle ” (8) , on ne saurait  tolérer que ,  dans une matière qui atteint la  personne humaine, dans  sa sécurité physique et matérielle, ses biens, ses espérances,  règne l’arbitraire et que la Cour de cassation, qui s’est assignée depuis quelques années le but de moraliser et rééquilibrer les contrats et les rapports de force,  ne puisse assumer sa mission première :  celle d’unification de la jurisprudence.

 

3 - F Chapuisat, La méfiance de la jurisprudence et du législateur à l’égard des exclusions de garantie, RGAT 1983,

4 - M H Malleville,  Etude jurisprudentielle , Publications de l’université de Rouen, 1991, n°164 : “ La convention la plus souvent jugée équivoque est incontestablement le contrat d’assurance ” , cité par J Kulmann, Lamy Assurances, ed.2002, n°474.

5 - Y Jouhaud , ancien Président de la première chambre civile de la cour de cassation, Evolution de la jurisprudence en matière d’assurance, RGAT 1992, 777.

6 - O Kuhnmunch, La Cour de cassation et l’assurance, RGAT 1992, 237.

7- M-A Frison -Roche, L’erreur du juge, RTD Civ, 2001, 819.

8- M-A Frison -Roche, Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, Dalloz 2000, n°23, Doctr. 361. Egalement, V Lasserre-Kiesow, La compréhensibilité des lois à l'aube du XXI siècle, Dalloz 2002, n°14, Doctr.1157.                                                                                                          

                                   

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5 -  Si difficile qu’elle soit, “ la distinction  des clauses qui déterminent les conditions de la garantie et les clauses d’exclusion de risque fait partie des concepts élémentaires du droit de l’assurance ” (9). Peut-on dès lors admettre que la Cour de cassation,  commentant l’un de ses arrêts,  reconnaisse expressément qu’il s’agit d’une “ difficile question ” et qu' “ il serait vain  de croire qu’il permettra de résoudre toutes les difficultés de cette question ”  (10).

 

 Et c’est en définitive parce qu’elle touche le coeur même “du droit à l’assurance ” que la distinction entre clauses de délimitation de garantie et clauses d’exclusion mérite d’être posée. La possibilité pour toute personne de se prémunir contre les aléas, accidents et autres circonstances de nature à compromettre sa santé ou sa vie,  à l’heure des “risques majeurs et  émergents  ” (11) et des catastrophes  en tous genres, doit être considérée comme un droit fondamental.

 

6 - Bien plus,   responsabilité et assurance étant indissociables (12),  il ne saurait  être fait abstraction de l’évolution fondamentale du droit de la responsabilité civile  de ces dernières années : ainsi, à propos, de l’indemnisation du dommage environnemental, “analysé en fait comme un préjudice portant atteinte au patrimoine commun de la Nation, voire de l’Humanité, l’évolution du droit positif tend  vers la consécration d’un principe de réparation de ces préjudices ” (13).

 

7 - Mieux encore : plus que tout autre, le droit des assurances, compte tenu de ses composantes économiques, se trouve  soumis à un interventionnisme législatif de circonstance : au lendemain  des attentats du 11 septembre 2001 , un  décret

du 28 décembre 2001  a modifié l’article L 126 -2  du Code des assurances prévoyant l’impossibilité pour les assureurs  d’exclure leur garantie pour les dommages résultant  d’actes de terrorisme ou d’attentats :  désormais, des dérogations pour “ les grands  risques ” sont prévues dans les conditions énumérées à l’article L 111-6  du même code ( 14).   

 

 

 

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 9 - H Groutel, note sous Cass, 1ère Civ, 16 juillet 1998, Dalloz 1999,Somm.224.

10 - Rapport de la Cour de cassation pour l’année 1996, 344.

11 - L Haumont, Risques émergents, Ces fantômes qui hantent les contrats, Argus 12 janvier 2001, 20 : “ Les évolutions techniques et juridiques contraignent les assureurs à faire face à deux nouvelles catégories de risques : les risques de développement et les risques ignorés ou risques émergents. Ni détectés, ni gérés par les professionnels, ces risques émergents peuvent conduire à des catastrophes économiques et sociales importantes. Les techniques d’assurance traditionnelles et les outils classiques ne permettent plus à la profession de faire face à ces nouveaux enjeux ..”.

12 - Y Jouhaud, Evolution de la jurisprudence en matière d’assurance, op.cit. : Les règles de la responsabilité ne sont efficaces et fiables que s’il existe une assurance à la clé..”

13 - G Viney, Le préjudice écologique, Resp. Civ et assur.,  n°5 , p 6.

14 - Décret n° 2001-1337, 28 décembre 2001, JCP  G , 2002,  actualité lég. 166.

 

 

 

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8 -  Alors que le législateur a consacré, depuis fort longtemps,  le droit au logement, qu’il existe un droit au compte bancaire de l’article L 312-1 du Code monétaire et financier susceptible de donner naissance  à l’institution d’un droit au crédit,  qu’une loi récente vient de consacrer le droit des malades et  le droit  à la qualité du système de santé,  il n’existe toujours pas de droit à l’assurance. Celui-ci  procéderait à l’évidence des principes de la protection à la santé et à la sécurité matérielle, édictés par les articles 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de manière plus générale  de “ l’ordre public européen de protection ”, prévu par la CEDH (15) et enfin,  du respect à la vie familiale édicté par l’article 8 de ce même texte, impliquant l’existence en droit national d’un impératif de protection juridique.  

 

 

9 - Dès lors , on peut se demander si  l’affirmation de la doctrine selon laquelle , la fin du siècle dernier aurait été marquée par le retour de “ l’ère de l’individu-roi ”, après celui du social et de la solidarité, fondement de l’assurance depuis toujours,  n’a pas perdu de  sa portée (16). Il faut donc reconnaître  que la possibilité pour l’assureur d’exclure sa garantie,  dans le cadre de l’application de  l’article 113-1 du Code des assurances,  a des répercussions iniques et partant, inadmissibles au regard de ces droits  et libertés fondamentales. Envisagé comme tel, cette disposition pourrait bien être jugée incompatible avec l’ordre public communautaire .

 

 

10 - Certes, un système juridique n’est pas porteur d’une vérité absolue : il n’a de sens que dans un contexte économique et social. Le droit des assurances est autant celui des assureurs que des assurés. Mais il existe des principes fondamentaux communs à toute justice et au premier rang de ces droits, le respect de la personne humaine édicté à l’article 2 de la CEDH. 

 

 

 

11 - Rien , en l’état actuel , ne justifie plus le maintien de l’article L 113-1 du code des assurances, qui oblige à distinguer ce qui ne peut l’être,  à savoir, les conditions et les exclusions de garantie, lesquelles ne sont en réalité que  les deux composantes d’un même élément , le risque que l’assureur entend couvrir.

 

 

 

 

 

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15 -  O Lucas, La convention Européenne des droits de l’homme et les fondements de la responsabilité civile ”, JCP G 2002, 286 : “ Pour une nouvelle garantie au profit des victimes, grâce aux droits consacrés dans la convention EDH...”

16 - J Bigot, traité de droit des assurances, LGDJ, 1992, n°17, p 17.

 

                                                              

 

                                                                                                                     5

 

 

 

 

12 -  Pour toutes ces raisons, il faut abroger l’article L 113-1 du Code des assurances  et ,  soit revenir au droit commun des contrats tout en veillant , dans un domaine où l’insécurité juridique est toute puissante , à ce que soit strictement respectée l’obligation d’information et de conseil de l’assureur (Première Partie ),  soit à une autre législation spécifique, à laquelle les tribunaux n’ont pas hésité à recourir, à savoir la législation sur les clauses abusives, prévue à l’article L 132-1 du Code de la consommation.    (Seconde partie ).

 

Ainsi :

 

- On sortirait de la distinction des clauses de délimitation de la garantie et d’exclusion de la garantie, pour glisser de l’article L 113-1 du Code assurances  au droit commun des contrats et à la législation sur les clauses abusives. 

 

-  On passerait  du stade du contrat formé à celui de son établissement pour envisager l’obligation de conseil et d’information de l’assureur.

 

- On déplacerait les difficultés plus qu’on ne les résoudrait : mais du moins , aura- t-on tenté d’y voir plus clair .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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PREMIÈRE PARTIE : LE DROIT POSITIF

 

 

I )  - Exposé des critères de distinction.

 

 

13 - Si la distinction des clauses définissant l’objet de la garantie et des clauses d’exclusion de garantie  a  l’objet d’une analyse minutieuse dans le cadre de la difficile interprétation du contrat d’assurance  (17), elle n’en paraît pas moins mériter un nouvel examen : en effet, la Cour de cassation, par un arrêt du 22 mai 2001, attendu en doctrine (18), rendu au visa de l’article L 113-1 du code des assurances, a énoncé “ qu’une clause ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée ”.

 

14 - Par cette décision, si la Cour de cassation entend ainsi marquer un coup d’arrêt à l’abondant contentieux engendré par cette disposition, cela ne signifie pas pour autant que tout contrôle des clauses d’exclusion est abandonné : désormais, par souci de simplification, considéré par certains comme l’abandon partiel par la cour de Cassation de son pouvoir normatif en la matière, ce contrôle prendra une autre forme. Les clauses qui,  autrefois étaient sujettes à interprétation , devront être écartées au contraire de celles qui, “ claires et précises ” ne peuvent qu’être appliquées. Aussi, la doctrine considère que cette nouvelle règle va “ entraîner directement l’éradication de l’exclusion et peut être favoriser le développement de pourvois destinés à déclencher le contrôle de l’ambiguïté , les assureurs jouant alors sur le tableau de la dénaturation d’une clause qui, à leurs yeux, est claire et précise ” (19).  

 

15 - Or, l’examen du  contentieux  rendu en la matière, fait apparaître que la distinction entre ces deux clauses est malaisée parce que la qualification de la clause pose problème : s’agit-il d’une véritable clause d’exclusion ou de l’absence d’une condition de la garantie ? Sans prétendre faire la lumière dans une matière où règne la plus grande  incohérence, on peut néanmoins tenter de tracer une ligne de démarcation entre les clauses de délimitation de garantie et les clauses d’exclusion de garantie. (20)

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17 – M H Malleville, l’interprétation des contrats d’assurance terrestres, Collection “ droit des Affaires ” , G Flécheux et J Ghestin, LGDG 1996.

 

18 - J Kullmann, note sous Cass, 1ère Civ, 22 mai 2001, RGDA 2001, 944, selon lequel “ Plusieurs auteurs vont être contents: ce n’est pas tous les jours que la Cour de cassation abandonne une jurisprudence bien établie pour se ranger à leurs opinions ”.

19 - J Kullmann, note sous Cass, 1ère Civ, 6 novembre 2001, RGDA 2002, n°1, p 58.

20 - Par souci de simplification et sous réserves

des nuances apportées  par la jurisprudence, seront qualifiées ici  indifféremment les  clauses de délimitation  et d’exclusion de la garantie , les clauses de définition et d’exclusion de risque. Pour une nuance entre ces expressions, Y Lambert-Faivre, Droit des Assurances, Précis Dalloz, 3 ème ed., n°151.

 

                                                                                                                                                                               7 

A - La délimitation de l’aire contractuelle. 

 

16 - Face aux errements de la jurisprudence (21) , il appartenait à la doctrine de distinguer entre clauses de délimitation de la garantie et clauses d’exclusion  et, à l’intérieur de ces dernières, entre exclusions directes et indirectes. “ La définition des risques garantis délimiterait l’aire contractuelle. Tous les risques ne répondant pas à cette définition seraient situés hors assurance.

Ce serait des risques non assurés. A l’intérieur de l’aire contractuelle des risques assurés, certains risques, bien qu’ayant vocation à relever de la définition des risques assurés , seraient expressément et directement exclus de l’assurance et feraient l’objet d’exclusions de risques ”(22).  Cette analyse a, à juste titre,  été critiquée : comme le relève un auteur (23), dénonçant le “ flou terminologique ” du terme “ exclusion” ,  c’est assimiler ainsi  “ les exclusions avec la situation qui en est la conséquence directe, à savoir la non-assurance ”. Cette conception extensive des exclusions selon laquelle les exclusions directes seraient celles situées à l'intérieur de l’aire contractuelle et les exclusions indirectes, celles extérieures à celles-ci (24), à première vue, ne convainc pas. Aussi, d’autres, au nom de la “ clarté ” du contrat d’assurance en appellent à une définition minutieuse des conditions de la garantie ou, à l’inverse, des cas d’exclusion directes ou indirectes ” (25).

7- L’examen de la jurisprudence démontre que c’est au travers des conséquences judiciaires de la mise en jeu de la clause d’exclusion que la délimitation de la garantie s’est trouvée définie. Dès lors, il ne peut s’agir que d’une distinction pragmatique, voir empirique,  éloignée de celle voulue en doctrine. Il revenait à l’un des membres de la Cour de cassation d’en faire le constat  (26) : “ dans le cadre du contrôle du caractère formel et limité des exclusions, s’est dégagée la notion d’exclusion indirecte, laquelle consiste  notamment à  déguiser une forme d’exclusion sous forme de condition de la garantie.”

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21 - Cass, 1ère Civ, 4 mars 1986, RGAT 1986, 227: rendu à propos de l’interprétation par les juges du fond d’une clause d’une police selon laquelle, “ la garantie des bijoux n’est accordée que s’ils sont enfermés dans un meuble fermé à clef si leur valeur ne  dépasse pas 2000 Frs; au delà de cette valeur, ils devraient être enfermés dans un coffre scellé au mur ....” La Cour de cassation estime que cette clause peut recevoir deux qualifications différentes: celle de clause d’exclusion comme celle de clause limitant le montant de la garantie. Toutefois, souligne le commentateur, “ la clause litigieuse paraît bien devoir être qualifiée de clause d’exclusion :  elle correspond très exactement à ce qu’il est convenu d’appeler des exclusions indirectes, c’est-à-dire, une définition du risque comportant des conditions de garantie relatives notamment aux mesures de prévention que l’assuré doit respecter ” .

22-  J Bigot, note sous Cass 1ère Civ, 14 février 1990, RGAT 1990, 611.

23 - J Roussel, Remarques sur la notion d’exclusion en matière de contrat d’assurance: pour une définition restrictive, Gaz.Pal.28 janvier 1984, Doctr. 50.

24-  Picard et Besson, Les assurances terrestres en droit français, LGDJ, tome 1, n° 69 : “ tous les éléments du risque constituent des conditions de la garantie et les risques qui n’entrent pas dans la définition sont par là même exclus ” . Dans le même sens, Y Lambert-Faivre , op.cit, n°103.

25- F Chapuisat, op.cit, n° 62, p 85.

26 - Y Jouhaud, Evolution de la jurisprudence en matière d’assurance, RGAT 1992, 777 : “ A l’égard de l’assuré , la fiabilité de l’assurance découle de celle du contrat : pour être efficace, il faut qu’un contrat soit clair

et net, et qu’il ne souffre pas d'ambiguïté , source de contentieux. Dans ce domaine, la Cour de cassation est un peu désarmée car il est de tradition que les juridictions du fond sont souveraines pour interpréter les contrats ambigus. Il ne pouvait être fait de distinction pour les contrats d’assurance. Du moins, a t’elle cherché à faire passer le message dans de multiples arrêts  qu’il résulte du libellé même de l’article L 113-1 du code des assurances que, dans le champ prévu par le contrat, les exclusions ne pouvant  être formelles et limitées, l’assurance est la règle et la non assurance l’exception ”.   

 

 

                                                                                                                     8                

 

18 - De ce point de vue,  la clause de définition de la garantie ne serait qu’un épiphénomène de la clause d’exclusion, dont l’existence se révélerait au juge dans l’exercice de son pouvoir d’interprétation des clauses ambiguës. Toute la difficulté de qualification et donc l’impossibilité d’établir des critères de distinction  résulterait de la circonstance que l’exclusion de risque pourrait être formulée de manière directe ou indirecte. La consécration officielle entre clause de délimitation de garantie et clause d’exclusion de risque, que Monsieur le professeur Bigot appelait de ses voeux  (27) n’est, à ce jour,  toujours pas intervenue.

 

19 -  C’est pourquoi, nous ne pouvons que partager la satisfaction de cet auteur  lorsque,  par arrêt du 14 février 1990  (28), la Cour de cassation donne à la clause de définition de la garantie un régime autonome  en énonçant que : “ La clause litigieuse garantissant la réparation des désordres à la construction du système garanti... donne une définition de la garantie  et ne constitue pas une clause d’exclusion indirecte..” Par cette décision, la Cour de cassation a-t-elle voulu , pour reprendre les propos du commentateur “ consacrer définitivement la distinction entre non assurance et exclusion indirecte ? ” Et Monsieur le professeur Bigot de poursuivre : “ Au cas où la Cour  entend désormais consacrer cette distinction, sur la base de quel critère précis et applicable en pratique entend-t’elle le faire ? ”

20 - Un arrêt rendu le 13 novembre 1990  (29),  reprenant, dans sa formulation, la distinction entre clause d’exclusion et clause “déterminant le champ  d’application de la garantie”, ne contribue pas, pour autant, à clarifier la situation en commettant une erreur de qualification.

 

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27 - J Bigot, note sous Cass, 1ère Civ, 14 février 1990, RGAT 1990, 611. 

28 - Cass, 1ère Civ, 14 février 1990,  op.cit : “ l’importance de cette décision dépasse le cadre de l’assurance construction et met en relief la distinction préconisée par certains commentateurs entre définition du risque et exclusion indirecte, pour les soumettre à des régimes différents.”

29 - Cass, 1ère Civ, 13 novembre 1990, RGAT 1991, 146, note J Kullmann : dans cette espèce relative à l’a

ssurance de responsabilité civile d’un mandataire social, en présence d’une clause “ demeurent exclues ..les conséquences des fautes professionnelles ou de manquement professionnels assimilables à des fautes professionnelles que les assureurs ne pouvaient ignorer avant la date de souscription du contrat comme étant susceptibles de faire jouer les garanties de la police, en raison de reproches précis qui leur auraient été adressés par des tiers..”, la Cour énonce que cette stipulation “ ne constitue pas une exclusion  mais détermine le champ d’application de la police ”. Compte tenu de la rareté de la jurisprudence relative aux mandataires sociaux, les faits méritent d’être rappelés : Le président d’une société avait fait preuve d’une certaine carence constatée par un procès verbal du conseil d’administration du mois de mai 1979.Il avait souscrit un contrat d’assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle en qualité de mandataire social en mars 1980.La société avait été par la suite , mise en règlement judiciaire, converti  en liquidation de biens. Le dirigeant demandait à l’assureur de le garantir de divers paiements : sur poursuite du syndic, il avait été condamné à combler une partie du passif social sur le fondement de l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967, alors applicable et avait dû payer divers créanciers de la société car il s'était porté caution des dettes de celle-ci. A l’appui de son pourvoi , le président adressait deux griefs à la Cour d’appel qui l’avait débouté de sa demande de garantie d’assurance : d’une part, il n’avait pas eu de reproches précis de la part de tiers, d’autre part, la clause d’exclusion invoquée par l’assureur n’était ni formelle ni limitée au sens de l’article L 113-1 du code des assurances. La Cour de cassation considère, à tort,  la clause litigieuse comme une  clause de délimitation de la garantie, alors qu’il s’agit d’une clause d’exclusion directe.“ En effet, s’agissant d’une police garantissant la responsabilité civile professionnelle des mandataires sociaux, le risque est réalisé lorsqu’une action en comblement de passif conduit à la condamnation de l’assuré, équivalente à un engagement de la responsabilité civile du dirigeant.”

 

 

                                                                                                                     9                

 

 

21 - Ainsi, la qualification de la clause étant considérée par certains comme une opération  “ excessivement délicate ”, ce n’est qu’au travers du nécessaire contrôle des clauses d’exclusion que les juges sont amenés à distinguer les deux clauses . Pour ce faire, ils sont parfois conduits à élargir le champ contractuel lorsque la clause ne se présente pas expressément comme une exclusion .Tel était le cas dans une espèce où il avait été remis à l’assuré un résumé des dispositions du contrat d’assurance duquel il résultait que devait être “ considéré comme chômeur tout assuré salarié qui, par suite de licenciement, bénéficierait d’une des allocations chômage prévues par l’article L 351.1 du Code du travail , la date d’entrée en chômage étant censé être celle à laquelle s’ouvrirait le droit  auxdites allocations ”. Puis, il était fait mention de “ l’absence de garantie pour les mises en préretraite, retraite et toute autre forme de cessation d’activité dont la réglementation implique la recherche d’un nouvel emploi  ” La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir considéré “ que cette dernière clause constituait une simple précision découlant de la définition même du chômage , ce dont il ressortait qu’elle exprimait une condition de la garantie et non une exclusion de garantie, qui n’avait pas dès lors à être rédigée en caractères très apparents ” (30). Pour reprendre la formule du commentateur, “ préciser n’est pas exclure ”.                 

 

22 - Or, la délimitation de l’aire contractuelle est peu aisée : elle figure souvent en tête des contrats sous forme d’un “ simple  lexique permettant de comprendre un ensemble général et abstrait de termes susceptibles d’être utilisés dans les documents contractuels  ” (31)

.                          

23 - De surcroît, alors que l’assuré n’est pas en mesure d’interférer dans la rédaction des termes de la police, il demeure soumis à l’interprétation qui en est faite à la fois par l’assureur et par le juge et donc,  à l’arbitraire. En effet, dans l’appréciation judiciaire des clauses d’une police, l’interprétation des juges se substitue à celle de l’assureur, ce qui n’est pas sans susciter les critiques de la doctrine (32).

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30 - Cass, 1ère Civ, 23 mai 2000, RGDA 2000, note Mayaux , qui formule  la question suivante : l’assuré avait t’il été à même de comprendre les subtilités des termes de la police ?. 

31 - MH Malleville, note sous Cass, 1ère Civ, 7 juin 2001, RGDA 2001, 683.

32 - Cass, 1ère Civ, 21 novembre 2000, RGDA 2000, 42, note M H Malleville :

Un assureur de responsabilité professionnelle d’un agent immobilier, mettant à profit les lacunes d’un décret avait, de manière générale , se prêtant à toutes les interprétations fait rentrer dans le champ de la garantie “ les prestations accessoires non rémunérées de conseil et de rédaction d’actes sous-seing-privé  ”. Son assuré ayant été déclaré responsable du défaut de régularisation par acte authentique d’une cession de fonds de commerce , cet assureur s’est prévalu de l’interprétation  a contrario de cette clause qui exclurait la couverture “ des prestations accessoires rémunérées ” . La Cour de cassation approuve une Cour d’appel d’avoir notamment estimé que cette déduction “ à contrario ” ne ressort nullement de la police qui prévoyait  la couverture la plus large de la responsabilité des agents immobiliers et autres intermédiaires prêtant leur concours à des actes de gestion immobilière et que les dispositions litigieuses doivent s’interpréter au contraire comme une extension de garantie aux actes non rémunérés effectués par les intermédiaires, sauf à priver la police d’assurance de cause et d’effets ”. Le commentateur s’interroge : l’interprétation était-elle réellement justifiée ? La Cour d’Appel aurait dû tout simplement appliquer une police claire et précise n’évoquant certes pas les activités rémunérées, mais les sous-entendant dans l’intitulé même de l’activité garantie ”.

        

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24 - L’absence d’élaboration de critères de distinction entre les clauses de délimitation et d’exclusion de la garantie dans un contrat qui, de par sa nature même, est équivoque (33), est source d’insécurité juridique. La Cour de cassation n’a-t-elle pas été jusqu’à rendre, le même jour, dans des affaires  similaires, deux décisions contraires (34 ) , ce qui a fait dire au commentateur : “ Tout dépend non pas du jour mais de l’heure à laquelle la première chambre civile de la Cour de cassation  statue...Curieuse technique de régulation et d’unification de la jurisprudence !” (35) Il s’agissait de qualifier les clauses usuelles des contrats d’assurance mettant à la charge de l’assuré l’accomplissement de certaines mesures de prévention.

 Dans la première espèce, la Cour de cassation estime que la clause subordonnant la garantie du vol de marchandise, lorsque le camion est en stationnement à l’équipement d’un dispositif antivol agréé par l’assureur et installé par un professionnel conformément aux instructions du fabricant  s’analyse en une clause d’exclusion “ en ce qu’elle prive   l’assuré du bénéfice de la garantie en cas d’inobservation des conditions qu’elle prévoit ”.

Dans la seconde espèce, s’agissant d’une clause d’une assurance “ multirisque de l’occupant ” aux termes de laquelle “ la garantie n’est acquise que pour les vols commis dans les locaux entièrement clos et couverts dont toutes les portes d’accès sont munies d’au moins une serrure de sûreté ...” , la même juridiction approuve les juges du fond d’avoir retenu qu’il s’agissait d’une condition de la garantie.

 

25 - Ce n’était pas la première fois qu’une clause prévoyant une mesure de prévention provoque une certaine confusion (36) : à défaut d’être clairement mentionnée dans le contrat comme une clause d’exclusion ou d’aggravation, on ne peut que souscrire au souhait de l’auteur qui préconise “ de revenir à ce  qu’est fondamentalement la mesure de prévention : une obligation contractuelle à la charge de l’assuré , dont la preuve de l’exécution lui incombe et dont l’inexécution doit être sanctionnée sur le fondement de l’article 1147 du Code civil ”. Cette position, reposant sur une application stricte de la police, a été celle adoptée par un arrêt du 7 juillet 1992 : “ Mais attendu qu’ayant constaté que la société Brocassian , qui n’avait pas fait installer les éléments de protection imposés par la police, n’avait pas rempli les conditions auxquelles l’assureur avait  expressément subordonné sa garantie , la Cour d’appel  en a exactement déduit que le vol n’était pas couvert par les AGF,  peu important  que la méconnaissance par l’assuré, des obligations imposées par les stipulations contractuelles précitées, qui ne constituaient pas une exclusion, mais une condition de la garantie, n’aient eu aucune incidence sur la réalisation du risque.” (37)

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33 - MH Malleville, op.cit.n°4.

34 - Cass, 1ère Civ, 3 janvier 1991, RGAT 1991, 177 ( deux espèces).

35- J Kullmann, note sous Cass, 1ère Civ, 3 janvier 1991,  op.cit.

36-  J Kullmann, note sous Cass , 1ère civ, 26 juin 1990, RGAT 1990, 644.

37- Cass, 1ère Civ, 7 juillet 1992, RGAT 1992, 617, Resp.Civ et assur. novembre 1992, n°429.

 

 

 

 

 

 

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26 - Or, si le critère tiré de la rédaction de la clause, peut être révélateur d’une exigence formulée par une partie, en l’occurrence l’assureur,  il ne peut, à lui seul, résoudre les difficultés d’interprétation, le Juge n’étant pas lié par les qualifications utilisées par contractants.  C’est pourquoi la doctrine avait accueilli   avec satisfaction un arrêt fournissant “ une  clé précieuse ” pour mettre en oeuvre la distinction (38).

 

 

B -  La considération des  circonstances particulières de réalisation du risque.

 

 

27 - Relatif à une assurance vol , le critère dégagé par cet arrêt du 26 novembre 1996 est de portée générale : “ La clause qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie des risques de vol en considération de circonstances particulières de réalisation du risque s’analyse en une clause d’exclusion de garantie; c’est donc à bon droit que la cour d’Appel , qui a relevé que la clause visait une circonstance de fait faisant échapper le vol au risque couvert,  en a déduit que la clause constituait une exclusion de garantie ”. En l’espèce, les juges du fond sont approuvés d’avoir qualifié comme un exclusion la clause selon laquelle “ la garantie des vols caractérisés est acquise si en cours de stationnement l’antivol posé sur la direction est toujours enclenché ”.

 

 

Dans son rapport pour l’année 1996,  après avoir déclaré que cet arrêt “ fournit un critère qui devrait clarifier  quelque peu le problème dans un nombre de cas non négligeable ”, la Cour de cassation précise que cette décision “ oppose ainsi les stipulations qui prennent en considération les circonstances dans lesquelles le sinistre s’est effectivement réalisé - antivol non enclenché - pour écarter la garantie de l’assureur - clauses d’exclusion - à celles qui formulent une exigence générale - installation d’un système d’antivol - à laquelle la garantie se trouve subordonnée- condition de la garantie ”. “ Dit d’une autre façon, la formule tend à opposer les circonstances en quelque sorte occasionnelles du sinistre aux conditions permanentes du risque garanti , opposition qui étaient apparus dans la confrontation de deux arrêts rendus le même jour en 1992 -1ère Civ.,7 juillet 1992, l’un publié au Bulletin civil  (I, n°216), qui admettait la qualification de clause d’exclusion de garantie pour une clause relative à des exigences particulières , notamment de durée de stationnement , pour la garantie des risques de vol ; l’autre, non publié au bulletin, qui admettait au contraire la nature de condition de la garantie pour l’installation d’éléments de protection.” (39)  . Dans ce domaine, il semble que la Cour de cassation  se résigne aux  contrariétés de  décisions (40).

 

 

 

 

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38 - H Groutel, distinction de l’exclusion et de l’absence d’une condition de la garantie, a propos de Cass, 1ère Civ, 26 novembre 1996, Resp.Civ. et assur. Hors Série, Décembre 1998, 359.

39 - Rapport de la Cour de cassation pour l’année 1996, 211.

40 -  Cf. J Kullmann, note sous Cass, 1ère Civ, 3 janvier 1991, RGAT 1991, 177.

 

 

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28 - Si cette définition contribue à clarifier les contours de la clause d’exclusion, elle a suscité les critiques de la doctrine. Pour ce qui est de la privation de la garantie,  il est de l’essence même d’une clause d’exclusion que de priver l’assuré du bénéfice de la garantie. Comment, en effet, parler à propos d’une clause d’exclusion, de privation de la garantie puisque par hypothèse, celle-ci n’existe pas ? (41)

 

Quant à la prise en compte  “ des circonstances particulières de réalisation du risque”, Monsieur le professeur Kullmann fait observer  qu' “ on retrouve ici la substance de l’article L 113-1 du Code des assurances puisque ce texte cite les exclusions relatives, soit aux pertes ou aux dommages, soit aux cas fortuits ou aux fautes commises par l’assuré ” (42). Monsieur le Professeur Bigot avait, quant à lui , rattaché la difficulté de distinguer à “ l’ambiguïté de la notion de risque qui, selon les cas, peut désigner le dommage ou le bien assuré lui-même (43).

29 -  Pour peu satisfaisante qu’elle soit, cette décision  n’en constitue pas moins un arrêt de principe. C’est en effet dans les mêmes termes que, dans une affaire similaire, la Cour de cassation réaffirme “ qu’il est exact que la clause qui prive l’assuré de la garantie des risques de vol en considération de circonstances particulières de réalisation du risque s’analyse comme une exclusion de garantie ” (44). Cette solution, liée à la réalisation du risque, a cependant  le mérite de mettre en relief  la difficulté essentielle posée par les clauses d’exclusion : celle de détermination   “ des limites du risque assurable ” (45). Ainsi, selon une décision de la Cour de cassation, “ l’exigence d’une stipulation par une clause claire et précise d’un effondrement ou d’une menace imminente d’effondrement constitue, non pas une exclusion mais une condition de la garantie définissant le risque couvert ” ( 46).

 

 

 

 

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41 - H Groutel , Le contrat d’assurance, Dalloz, connaissance du Droit, 1997, p 87.

42 - J Kullmann , Lamy Assurances, ed 2001, n°172.

43- J Bigot , note sous Cass, 1ère Civ, 14 février 1990, RGAT 1990, 611.

44- Cass, 1ère Civ, 2 avril 1997, RGAT 1997, 737 note Malleville , qui estime que “ la clause litigieuse aurait pu faire l’objet de cinq qualifications différentes: exclusion de garantie, aggravation de risque, définition de risque, conditions de la garantie ou obligation contractuelle imposée à l’assuré ” . Cass, 1ère civ, 23 février 1999, RGDA 1999, 307, note J Kullmann.

45  - J Bigot, Assurances de responsabilité : Les Limites du risque assurable, RGAT 1978, 169 : “ C’est en combinant les dispositions légales et les exclusions contractuelles que les assureurs s’efforcent , non sans mal, de cantonner leur garantie à ce qu’ils considèrent  comme un risque assurable ” .

46 - Cass, 1ère civ, 4 décembre 2001, RGDA 2002, n°1, p 65 , note L Mayaux : “ En l’occurrence, l'effondrement n’est pas une  circonstance particulière de réalisation du risque ( ou, si l’on préfère une circonstance du sinistre ) , mais un élément du risque lui-même. De ce point de vue, la destruction par effondrement est assimilable au vol par effraction....La circonstance constituée par l’effondrement ou l’effraction participe à la définition du risque couvert , qui est un risque “ spécifique” par opposition au risque “ générique ” que constitue le vol ou, comme ici , la responsabilité civile de l’assuré .Elle est consubstantielle à l’objet de la garantie .”   

 

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30 -  Ce qui était une condition est devenu, au fil des espèces, une exclusion, même si l’on continue à affirmer que  “ lorsque les conditions de garantie subordonnent la couverture du risque à l’accomplissement d’une mesure de prévention, l’assurance n’est pas acquise et il ne s’agit pas d’exclusion, mais de condition de la garantie ” (47). Le glissement peut se décomposer de la manière suivante : d’une part, l’assureur définit la garantie en s’attachant à l’évènement et à ses conséquences, dont la survenance déclenche son engagement. D’autre part, cette définition de la garantie s’accompagne de conditions de la réalisation desquelles, l’assureur fait dépendre sa garantie. Ces conditions ont trait aux circonstances de l’évènement (à titre d’exemple, en assurance vol, l’escalade, l’utilisation de fausses clés) ou aux mesures de prévention que l’assuré doit mettre en oeuvre. Enfin, l’exclusion écarte certains faits que l’assureur entend ne pas prendre en charge. Or, du fait de cette délimitation si ténue, la tentation est grande de considérer l’exclusion comme une condition. C’est précisément ce qu’a fait la Cour de cassation par l’arrêt précité du 26 novembre 1996.    

 

 

31 - Au reste, le recours aux critère de définition du risque, à ses circonstances particulières (48) permet de qualifier de conditions  certaines clauses se situant aux confins de l’exclusion. Telles les clauses de “ délai d’attente délai de carence, clause de stage.... toutes expressions manifestant la volonté de l’assureur de ne pas garantir le risque, objet du contrat d’assurance souscrit, quand il se réalise au cours d’une période déterminée ...” Bien qu’il s’agisse à l’évidence d’une circonstance temporelle de réalisation du risque correspondant à la définition de l’exclusion telle qu’elle ressort de l’arrêt du 26 novembre 1996, la jurisprudence, sans le dire expressément, y voit une condition de la garantie. Ainsi, la clause qui définit le risque pris en charge par l’assureur au cours de la première année qui suit la date de souscription de la garantie, qualifiée de “ délai d’attente ”, ne stipule ni une garantie, ni une déchéance ” (49).   Suffit-il de dire ce que ne stipule pas le contrat ? Au nom d’une certaine clarté,  ne pourrait-on affirmer explicitement qu’il s’agit d’une condition de la garantie ?. Plus récemment,  la Cour d'appel de Paris énonce que “ n’encourt pas la nullité la clause relative au délai d’attente du contrat d’assurance groupe “ perte d’emploi ”qui prévoit que n’est jamais indemnisé par la CNP , le chômage signifié à l’assuré ( par notification écrite, entretien préalable )  alors même qu’elle aurait dû mentionner le chômage consécutif à un licenciement signifié ” (50).

 

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47 - G Defrance, l’Argus de l’Assurance, Dossier juridique, n°6750, 31 août 2001.

48 - Les conditions permanente

s du risque couvert relèvent, quant à elles , de la délimitation de la garantie.

49 - J Kullmann , note sous Cass, 1ère Civ, 27 mai 1997, RGDA 1997, 835.Cass, 1ère Civ,  6 novembre 2001, RGDA 2002, n°1, p 58, note J Kullmann.

50 -  Cour d’appel de Paris, 7ème Ch. A , 15 Janvier 2002, n°10, IR 861 : “ Bel exemple de rigueur juridique dans le choix des termes de la clause d’attente ! En tout état de cause, il ne s’agit pas d’une déchéance ( ce n’est pas une sanction pour survenance du sinistre au cours de la première année) mais ne s’agit-il pas tout de même d’une exclusion de garantie fondée sur le temps ? ”.

 

 

 

 

                                                                                         

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Par l’effet d’une telle clause, non seulement l’assuré se voit privé du bénéfice de la garantie souscrite pendant un délai fixé par l’assureur afin qu’il n’existe aucun doute sur le motif qui l’a conduit à contracter, selon une technique propre au droit des assurances, mais bien davantage, la qualification erronée donnée à cette stipulation la fait échapper à la rigueur des clauses d’exclusion .

 

32 - A ce stade de notre propos, nous ne pouvons que partager le point de vue de Monsieur Kuhnmunch, Conseiller à la Cour de cassation : “ Ce contentieux de l’interprétation est irritant...Est-il intellectuellement admissible qu’à propos d’une même clause rédigée dans les mêmes termes, soit rejeté un pourvoi admettant que le juge du fond a souverainement interprété une clause ambiguë en lui faisant dire blanc et que soit rejeté un pourvoi alors que le juge du fond lui a fait dire noir ” (51) . En définitive, la distinction entre clauses de délimitation de garantie et clauses d’exclusion n’est satisfaisante ni en théorie, ni surtout en pratique.  

 

 

II  ) -  Critique de la distinction .

 

A - Une distinction empirique et délicate.

 

 

33 - La distinction entre la  clause d’exclusion et clause de garantie n’est pas fondamentale. La doctrine a même relevé que  “pendant longtemps, cette distinction n’a offert aucun intérêt au point que l’absence d’une condition de la garantie pouvait être qualifiée d’exclusion indirecte sans qu’il en résulte de confusion ” ( 52) . Son intérêt se limite à trois points :  d’une part, l’article L 113-1 du Code des assurances , en ce qu’il prévoit qu’une exclusion doit être formelle et limitée , a été jugé inapplicable aux clauses qui stipulent une condition de la garantie (53). En second lieu, les exigences relatives à la rédaction en caractères très apparents , prévues à l’article L 112-4  du Code des assurances  , ne concernent que les exclusions de la garantie. Enfin et surtout, le fardeau de la preuve le plus lourd pèse sur l’assuré : Alors qu’il n’est pas en mesure, en amont, de  contrôler la rédaction des clauses du contrat, il lui appartient d’établir que les conditions requises par la police sont réunies pour mettre en jeu la garantie ( 54). 

En revanche, il revient à l’assureur qui formule, comme il l’entend les conditions de sa garantie, de démontrer que les conditions qu’il invoque sont réunies .

 

 

 

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51 - O Kuhnmunch, la Cour de Cassation et l’assurance, RGAT 1992, 237.

52 - H Groutel , Distinction de l’exclusion et de l’absence d’une condition de la garantie, op.cit.

53 - Cass, 1ère Civ, 12 mai 1993, Resp.civ. et assur.1993, comm 277.

54 - Cass, 1ère Civ, 11 décembre 1990, Resp. civ; et assur . 1991, comm 70..

 

 

 

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34 -  Cette dualité de régime pose de réelles difficultés : pourquoi en effet mettre à la charge de l’assuré la preuve d’une condition qui peut apparaître comme une exclusion, dont les conditions de mise en jeu et de régularité formelle doivent  être démontrées par l’assureur? Par le biais d’une qualification difficile, voire impossible, ne fait-on pas ainsi échapper une clause au sort rigoureux qui lui est réservé par la loi, celle de la clause d’exclusion ?

 

35 - Il est vrai que , le contrat d’assurance demeurant régi par le droit commun des contrats, la jurisprudence , approuvée par la doctrine, considérait que l’exclusion de garantie faisait partie de la définition du risque pris en charge par l’assureur. Comme tel,  par application de l’article  1315 al 2 du Code civil, il appartenait à l’assuré,  demandeur à la garantie, d’établir que le risque réalisé était bien garanti et ne rentrait  pas dans les clauses d’exclusion (55).  Autrement dit, ce qui ultérieurement  allait être qualifié de  “ condition de mise en jeu  de la garantie ” n’était envisagé que comme une situation de non assurance dont l’assuré, en sa qualité de demandeur, devait rapporter la preuve. Seule la preuve de la  déchéance, toujours par application de l'article 1315 al 2 du Code civil , reposait sur l’assureur qui se prétendait ainsi libéré.    

 

36 - Cette distinction entre cas de non assurance et exclusion de garantie présentait si peu d’importance que Monsieur le professeur Perrot a pu écrire, à son propos : “ Il n’est pas exclu que la qualification retenue est finalement déterminée par la solution qu’il parait opportun d’adopter relativement au fardeau de la preuve ” (56).  Ce n’est que par deux arrêts des 15 et 22 octobre 1980, que, de manière favorable à l’assuré et pour la première fois, la Cour de cassation  a posé qu’il “ incombe à l’assureur,  qui invoque une exclusion de démonter la réunion de fait de cette exclusion ” (57).  Mais il n’est pas certain que l’allègement du fardeau de la charge de la preuve qu’ont voulu mettre en place les arrêts de 1980 ait réellement profité à l’assuré : ils ont obligé, dans chaque cas, les juges à qualifier les clauses de manière spécifique en se demandant s’il s’agit d’une condition de la garantie ou d’une exclusion indirecte, ce qui a donné lieu à un certain désordre judiciaire.

 

37 - La nécessité de distinguer se réduirait donc à une  simple question de preuve :

C’est du moins la position de la Cour de  cassation, pour qui “ la distinction fondamentale est faite entre les conditions de la garantie , dont la preuve est faite par l’assuré et les exclusions de garantie , dont la preuve incombe à l’assureur ”,   en laissant penser que la “ différence de nature entre condition de la garantie et exclusion de garantie ” ne doit être envisagée qu’au regard de la charge de la preuve (58)._____________________________________________________

 

55 - Notamment, Cass, 1ère Civ, 18 janvier 1965, RGAT 1966, 42 : “ Il appartient à l’assuré de démontrer que le risque pour lequel il réclame la garantie s’est réalisé dans les conditions prévues à la police pour le jeu de cette garantie”.

56 - R Perrot, la preuve en assurance, RGAT 1961, 21.

57 - Cass, 1ère Civ, 15 et 20 octobre 1980, RGAT 1981, 51, note A Besson, JCP 1981. II. 19611, note J Bigot. Antérieurement , un arrêté du 17 novembre 1978, en matière d’assurance construction a imposé à l’assureur “ la charge de la preuve nécessaire à la mise en jeu des exclusions ” ( Annexe II, article A.241.1 du Code des assurances). 

58 - Rapport de la Cour de cassation pour l’année  1’année 1997,  RGDA 1998, 390.

 

                                                                       

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38 - Les auteurs ne pouvaient qu’être partagés face aux difficultés engendrées par la distinction : pour l’un, il faudrait “ aller jusqu’au bout du contrôle et dresser une liste limitative des exclusions valables dans chaque type d’assurance, comme on le fait dans les textes concernant les assurances obligatoires ” (59 ). Un autre,   est  partisan d’une solution plus radicale : “ Quand on joue le jeu de l’exclusion, on doit en accepter les règles ” (60) allant même jusqu’à considérer ,  de manière pour le moins surprenante,  que “ pour la distinction entre les conditions de la garantie et les exclusions de risque,  la jurisprudence a su élaborer des critères raffinés ” ( 61).

 

39 - Pour notre part, nous considérons que toute controverse a valeur d’alerte   : A impossible qualification, impossible distinction. Car si la juridiction suprême, par son arrêt du 22 mai 2001, juge désormais que toute clause qui doit être interprétée ne peut être  ni formelle, ni limitée, n’entend - t-elle pas,  par là même, restreindre, voir  mettre fin au contentieux “ stérile ”  (62)  de l’interprétation des clauses ambiguës ( 63).

 

40 - Aussi,  estimons nous devoir incriminer ce qui nous semble être à l’origine des difficultés : la faculté , accordée à l’assureur  par l’article L 113-1 du Code des assurances, de prévoir des exclusions de garantie . Car permettre à l’assureur  de ne plus garantir , par le biais d’exclusions multiples, c’est accorder au vendeur, une fois le contrat formé, la possibilité  de ne plus vendre,  c’est admettre que le bailleur puisse donner  congé à sa guise et selon sa convenance, c’est, en définitive, soumettre une partie  à l’arbitraire de son cocontractant.

 

 

B ) -  Pour l’abrogation de l’article L 113- 1 du Code des assurances .

 

 

41 - Ce texte , de caractère impératif, introduit par un amendement à l’article 12 de la loi du 13 juillet 1930 , avait pour objectif d’éviter que, par des clauses trop générales dans  leur rédaction  o

u trop étendues dans leur objet, on ne vide la garantie  de son contenu.

 

 

 

 

 

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59 - F Chapuisat, La méfiance de la jurisprudence et du législateur à l’égard des exclusions de garantie, RGAT 1983, 5.

60 - L Mayaux, note sous Cass, 1ère Civ, 20 juin 2000 , 821 : “ le mieux est de s’en tenir à la volonté des parties en retenant comme exclusions celles qui se présentent comme telles. Et tant pis si l’application du régime stricte des exclusions , que ce soit ses règles de forme  ( qui imposent des caractères très apparents ) ou de  fond ( qui exigent que l’exclusion soit formelle et limitée ) conduit à écarter la clause...” 

61 - L Mayaux, Rép.civ Dalloz, janvier 1999,  assurances terrestres, p 9, n°54.

62 - O Kunhmunch,  la Cour de cassation et l’assurance, op.cit.

63 - En ce sens, B Beignier, Fin de l’interprétation des clauses d’exclusion de garantie dans les contrats d’assurance : revirement de jurisprudence, Dalloz 2002, comm.2778.

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42 - Or, il ressort du contentieux généré par ce texte, qui a pourtant fait l’objet d’une interprétation restrictive par les tribunaux (64) que, loin d’avoir l’effet dissuasif escompté, il a été détourné , en pratique, de sa finalité protectrice , l’assureur usant et abusant de sa faculté d’exclure.    

 

43 -   De plus, pour se montrer “ sévère ” ou “ méfiante ” , la Cour de cassation n’en demeure pas moins prudente : Une société d’expertise comptable , à la suite d’un sinistre ayant entraîné la perte d’écritures comptables , s’était vu opposer par l’assureur deux clauses d’exclusion de garantie . La première concernant “ les dommages résultant de façon inéluctable et prévisible pour l’assuré des modalités qu’il a prescrites ou mise en oeuvres ”, la seconde portant  “ sur les dommages subis  par les biens mobiliers ou immobiliers ou confiés à quelque titre que ce soit à l’assuré ou aux personnes dont il est responsable”. La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’assureur à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel l’ayant condamné à garantie , aux moti

fs que “ s’agissant d’un contrat d’assurance couvrant la responsabilité civile professionnelle d’une société de prestations de service en matière informatique, l’ensemble constitué par les deux clauses d’exclusion invoquées , avait pour conséquence d’exclure la garantie de l’assureur tout sinistre se rapportant précisément à ce type d’activités ”. Or,   seule la seconde clause, prise isolément, par sa généralité, suffisait à vider le contrat de sa substance dès lors que , précisément,  l’activité professionnelle de l’assuré induisait la remise de documents comptables par ses clients.  Deux précautions valent mieux qu’une ! (65). 

 

44 - Ce que le législateur de 1930 n’avait, semble-t-il, pas prévu, est devenu aujourd’hui une donnée du droit des assurances : l’exclusion chasse la garantie. Pour reprendre les propos de Monsieur l’avocat général Charbonnier, à propos des clauses, dites de “ claims maid  ”, qui aboutissent à une situation de non garantie : “ l’assuré se retrouve , en fin de compte sans assurance...et l’assureur esquive, d’une manière injustifiable ses obligations vis-à -vis de son assuré..”( 66) 

 

45 -  La question mérite d’être posée : “ Est-il admissible qu’une clause d’exclusion aboutisse, par sa portée, à vider de la plus grande partie de sa substance la garantie contractuelle, même si cette exclusion paraît formelle et limitée ? ” (67) .  En d’autres termes, une clause d’exclusion  formelle et limitée au sens de l’article  L 113-1 du Code des assurances et, depuis l’arrêt du 22 mai 2001, ne nécessitant aucune interprétation, devra produire effet, même si elle vide le contrat de sa substance.

 

 

 

 

 

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64 - F Chapuisat, La méfiance de la jurisprudence et du législateur à l’égard des exclusions de garantie, RGAT 1983, 5.

65 - Cass, 1ère Civ, 25 février 1992, RGAT 1992, 351, note Rémy.

66 - Conclusions de Monsieur l’avocat général Charbonnier, .développées à l’audience du 3 j

uillet 1990,  RGAT 1991, 155, Cass, 1ère Civ, 19 octobre 1991. Egalement, Favre-Rochex, note sous, Cass, 1ère Civ, 15 décembre 1999, RGAT 1999, 60 : “ Reconnaissons que l’assureur garantissait 9 et reprenait 10 ..” 

67 - O Kunhmunch, La Cour de cassation et l’assurance, RGAT 1992, 239.

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46 - Nous nous serions contenté de cette solution si la qualification de la clause, de délimitation ou d’exclusion, ne soulevait aucune difficulté et ne souffrait aucune discussion. Mais, nous l’avons vu, il n’en est rien , et partageant l’avis d’une partie de la doctrine (68), nous estimons qu’il s’agit d’une opération difficile, voir impossible, qui ne peut être supplée , en l’état, par une éventuelle et bien hypothétique amélioration de la rédaction des polices, à laquelle appelle l’arrêt du 22 mai 2001 (69) .

 

47 - Suffit-il d’être méfiant ou sévère à l’égard des clauses d’exclusion, de s’en remettre à la sagesse des rédacteurs des contrats ?

Ne pourrait-on, comme nous le pensons, éradiquer le mal à sa racine en  proposant d’abroger l’article L 113-1 du Code des assurances ?

 

48 - La difficulté de qualifier avec certitude les clauses de délimitation de garantie et d’exclusion de risque,  l’inéquité en résultant quant au fardeau de la charge de la preuve, combiné avec les effets pervers de la mise en jeu de l’article L 113- 1 du Code des assurances, qui aboutissent a vider  le contrat de sa substance, sont tels que l’on peut légitimement se demander  si une telle disposition,  qui s’est voulue protectrice de l’assuré, conserve encore une quelconque utilité. Certains  auteurs se sont, pour des motifs similaires, prononcés explicitement en faveur de l’abrogation d’une disposition spéciale, voir même d’un texte du droit commun (70).

 

49 - L’article L 113-1 du Code des assurances s’est révélé insusceptible d’atteindre l’objectif de sécurité juridique que le législateur lui a assigné. Ainsi, l’examen des décisions rendues en cette matière depuis plus d’un siècle démontre que la “ pathologie ” des clauses des polices est toujours la même : ayant recours aux techniques issues du langage des assurances,  l’assureur prudent  se met à l’abri de tout recours de son assuré en rédigeant des clauses ayant toute l’apparence de la légalité, dans le dessein que son assuré n’en mesurera pas la portée exacte.

 

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 68 - J Kullmann, Lamy Assurances, éd. 2001, p 153 : “ A notre avis, après avoir envisagé favorablement une interprétation, il parait préférable d’éviter celle-ci. Mieux vaut annuler systématiquement toute exclusion ambiguë car le contentieux enflant  démesurément , il est temps que les rédacteurs des polices d’assurance tiennent compte de la lettre de la loi et de la complexité de la jurisprudence.” 

69 - B Beignier, Fin de l’interprétation des clauses d’exclusion de garant

ie  dans le contrat d’assurance, op.cit.: “ De ces changements, les assureurs n’ont rien à regretter, bien au contraire. Ils seront plus attentifs à l’élaboration juridique des contrats : les procès diminueront d’autant. Ils n’iront que devant les juges du fond..” . RJDA 2002, n°465 , note sous Cass, 1ère Civ, 22 mai 2001: “  L’arrêt du 22 mai 2001 constitue une nouvelle raison pour les assureurs de prêter une attention particulièrement vigilante à la rédaction des clauses d’exclusion de garantie.”.

70- Notamment P Vaillier, Faut-il abroger l'article L 121.10 du Code des assurances ? , Resp.Civ et assurr., Novembre 2000, p 8.  Egalement, L’abrogation de l’article 1384 al 2 du Code civil, une nécessité aujourd’hui impérieuse, Chron. du droit de la responsabilité civile, Petites Affiches, 27 mars 2002.

 

 

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50 - Le maintien de cette disposition,  aboutissant à faire disparaître  la garantie,  se justifie d’autant moins, que parallèlement on assiste à une prolifération des régimes spéciaux  destinés à améliorer le sort des victimes, tel celui mis en place par la loi  n° 85-677 du 5 juillet 1985, tendant à la protection des victimes d’accident de la circulation et à l'accélération des procédures d’indemnisation.

 

51 - Aussi,  abrogeant l’article L 113-1 du Code des assurances  et considérant néanmoins qu’il demeure  absolument nécessaire  de contrôler  les clauses d’exclusion, nous nous trouvons devant l’alternative suivante : soit le recours au droit commun des contrats, en l’assortissant d’une réaffirmation de l’obligation de conseil et de loyauté de l’assureur, soit le recours à un autre Droit spécial, qui ne peut être que celui du Code de la consommation , compte tenu de sa forte imprégnation dans le domaine des assurances.

 

 

SECONDE PARTIE : LE DROIT PROSPECTIF

 

 

I ) - Le recours au droit commun

 

 

52 - Le droit commun a naturellement vocation à s’appliquer là où la législation spécifique a échoué. Tout d’abord, parce  qu’il n’existe pas d’autonomie du droit des assurances, de particularisme de ses techniques, en dehors de la réglementation minimale par les textes édictant des assurances obligatoires. Ensuite, parce qu’il n’y a pas davantage en la matière d’ordre public du droit des assurances qui empêcherait le retour au droit commun, spécialement à l’égard des clauses du contrat.

 

53 - Certes, l’article L 111-2  du Code des assurances  prévoit que la plupart des dispositions concernant les titres I , II et III du livre Premier sont impératives, à l’exclusion de celles qui donnent aux parties qu’une simple faculté et qui sont limitativement énumérées. Mais il ne peut s’agir que d’un ordre public de protection  “ limitant la volonté des parties au contrat d’assurance, soit pour éviter qu’elles ne s’entendent au détriment de tiers pouvant prétendre au bénéfice du contrat, soit pour éviter que, dans leurs rapports respectifs, l’assureur ne parvienne à priver l’assuré de la protection et de la garantie que lui confère son statut légal ” (71). Il apparaît ainsi que, sous réserve de certains mécanismes contractuels propres à la technique même de l’assurance, le contrat d’assurance est sous doute moins réglementé que d’autres contrats, comme le contrat de travail ou le contrat  de bail.

 

 

 

 

               71 – Berr.Groutel, De l’usage abusif  de l’ordre public en Droit des assurances, Dalloz 1984, 469. 

 

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  54 - Enfin et surtout, parce que les références de la jurisprudence au droit commun des contrats sont fréquentes, pour ne pas dire omniprésentes. On a pu remarquer que la jurisprudence, faute de points de repères dans les législations spécifiques, faisait un fréquent usage des techniques contractuelles du droit civil, celui-ci ne contenant, en lui-même, aucun risque de déformation de cette législation spéciale.  En d’autres termes, la référence au droit commun a le mérite de trouver une solution, là où l’absence de réponse par le texte spécial fait défaut.

 

55 - Ainsi, l’évolution du droit des assurances fait apparaître que “ c’est parfois le retour au droit commun des contrats et notamment au principe de la force obligatoire des contrats , qui conduit aux  solutions les plus justes ”  (72).

Dans un premier temps, la référence aux principes de la cause, de l’équité et de l’effet obligatoire du contrat, l’a été de manière alternative, le fondement des décisions demeurant un texte du droit spécial (A- Le recours alternatif ou implicite  au droit commun). Mais à l’heure actuelle, preuve de “ l’incomplétude du droit spécial ” (73),  de plus en plus de décisions sont rendues au seul visa du texte du droit commun  (B - le recours exclusif au droit commun).

 

A - Le recours alternatif ou  implicite au droit commun .

 

56 - Bien que se rapportant au contrat d’assurance, l’interprétation des clauses litigieuses  demeure régie  par le droit commun. Ce principe avait été posé, avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1930 : “ Le juge doit, en matière d’assurance comme en matière de contrat ordinaire, interpréter les clauses incomplètes, obscures ou ambiguës, d’après l’intention réelle commune aux deux parties et les exigences de l’équité et de la bonne foi  ( 74).  Dans ces conditions, la question se pose de savoir si  l’assuré n’eût  pas été mieux protégé sous l’empire du droit commun  que par la disposition dérogatoire  et partant plus restrictive que constitue l’article L 113-1 du Code des assurances .

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72 -  F Lesage, la place du droit commun des contrats et du droit des assurances dans les assurances obligatoires, RGDA 2001, 875.

73 - F Leduc, L’oeuvre du Législateur moderne : vices et vertus des régimes spéciaux, Resp. civ. et assur.Hors-série juin 2001, n°9 : “ Dans la mesure où les régimes législatifs spéciaux tendent à améliorer le sort de certaines victimes, l’oeuvre législative ne peut accéder à la complétude ”

, qu’à diverses conditions.... “Or, telle n’est pas la démarche du législateur moderne, loin s’en faut. En un siècle, il a multiplié au coup par coup les interventions circonstancielles, tantôt déclenchées par la survenance de quelques catastrophes ou trouble social,  tantôt commandées par la ratification d’une Convention internationale ou la nécessité de transposer une directive européenne, tantôt dictées par la pression de l’opinion publique , tantôt arrachées par une provocation jurisprudentielle. Loin d’être le fruit d’un plan raisonné, l’oeuvre du législateur moderne se présente bien plutôt comme un agrégat de “ lois d’occasion ” A l’évidence, elle tient du pointillisme plutôt que de la fresque....”    

74  - L Crémieux, jurisprudence Française en matière d’assurance, RTD Civ 1913, 915. L Crémieux , op.cit. : “ l’interprétation du juge en matière d’assurance est régie par trois séries de règles : les règles g

nérales de l’interprétation judiciaire, les règles qui gouvernent le contrat d'adhésion et les règles qui dérivent du contrat d’assurance.... L’assuré ne s’oblige qu’à ce qu’il a connu et ce qu’il a pu connaître.C’est ainsi qu’un jugement du tribunal d’Epinal a décidé que lorsque “ un ouvrier a souscrit une police contre l’incendie, et qu’il a été dit , dans cette police qu’il  encourt la déchéance s’il exerce sur place un commerce aggravant le risque,  il y a lieu de refuser d’appliquer cette clause à un  commerce d’épicerie qui a été prévu comme risque spécial dans les tarifs généraux, si ces tarifs n’ont pas été connus de l’assuré ” ( Trib. Epinal, 27 mars 1912, Gaz. Pal. 1912.2.2 ).

 

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57 -  Le droit des assurances, prenant en considération le mécanisme du contrat d’adhésion, aurait donc contenu, en germe, les principes protecteurs qui allaient commander l’élaboration du futur Code de la consommation. Toujours est-il que c’est précisément sur ce principe d’équité que  s’est fondée la Cour de cassation pour prononcer la nullité d’une clause d’exclusion, lorsqu’il y a eu connaissance par l’assureur du fait que les conditions de l’exclusion , à savoir une très forte obésité, étaient déjà réunies lors de la conclusion du contrat :“ Vu l’article 1135 du Code civil et L 113.1 du Code des assurances, attendu  qu’il résulte du premier de ces textes que les conventions obligent  non seulement à ce qui est exprimé, mais encore, à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donne à l’obligation d’après sa nature, que le second, frappant de nullité dans les contrats d’assurance toute exclusion qui ne serait ni formelle, ni limitée, implique qu’une exclusion n’est pas valable lorsqu’il est établi que l’assureur a su, lors de la conclusion du contrat , que les conditions de cette exclusion étaient  déjà réunies ”. (75) 

 

58 - Mais l’outil principal de vérification de la validité de la convention d’assurance et le plus significatif, est incontestablement la référence à la cause du contrat. En effet, dans le cadre de l’admission contractuelle de non-garantie (76), l’assureur peut être tenté d’inclure dans le contrat une disposition souvent inaperçue ou incomprise de l’assuré, par laquelle il se réserve, sous certaines conditions, le droit de refuser sa garantie, vidant celle-ci de son objet. En vertu d’une jurisprudence fermement établie, voire même renforcée par le principe de sécurité juridique, la Cour de cassation a posé, en matière d’assurance  “ qu’une clause d’exclusion ne peut produire effet dès lors qu’elle prive de toute efficacité la garantie contractuelle ”. (77)

 

59 - Si une clause d’exclusion isolée peut vider le contrat de son objet, a fortiori, il en est de même lorsque l’assureur a recours à de multiples exclusions. Ainsi , dans une espèce où  un assureur  se prévalait de deux exclusions prévues aux conditions générales: l’une relative aux dommages subis par les biens confiés à l’entreprise assurée dans son activité de réparation, maintenance et dépannage hydraulique, l’autre, écartant de la garantie, les dommages dus à l’incendie, à l’explosion, à l’action de l’eau ou d’autres fluides, aux vols, vandalismes et disparitions...... Ces clauses sont sans portée dès lors que “ par leur nombre et leur étendue, les exclusions aboutissaient  à priver de tout effet, la garantie souscrite ”(78).

 

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75 -Cass, 1ère Civ, 10 mai 1989, RGAT 1990, 168, note JL Aubert.

76 - Le terme “ exclusions ” semble être propre au droit des assurances. En effet, on ne le trouve , ni dans la vente, ni dans le louage, ni dans aucune autre réglementation d’un contrat  nommé.

77 - Notamment, Cass, 1ère Civ, 3 juillet 1990, RGAT 1990, 888; Cass , 1ère Civ, 18 février,   1987, RGAT 1988, 364, note R Bout.Cass, 1ère Civ, 19 décembre 1990 ( 4 arrêts ), JCP 1991.II.21656 , note Bigot.

78 - Cass, 1ère Civ, 15 décembre 1999, RGAT 1999, note Favre-Rochex.

 

 

 

 

 

                                   

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B ) - Le recours exclusif au droit commun :

                                                                                                  

 

60  - De manière plus significative, c’est aux seuls visas  des articles 1131 et 1134 du Code civil  que la Cour de cassation refuse de faire produire effet à des exclusions qui,  soit “ dénaturent  la convention des parties ”, soit  “ vident  le contrat de sa substance ” (79). On peut donc en déduire que, dans l’hypothèse d’une abrogation de l’article L 113.1  du Code des assurances,  dans le nécessaire contrôle judiciaire des clauses d”exclusion, les juges du fond pourraient fort bien recourir aux  seuls articles 1131, 1134 et 1135 du Code civil. A ces diverses pistes, on pourrait également faire prévaloir la notion de “ violation de la loi  du contrat ”,  à laquelle se réfèrent de récentes décisions (80).

 

61 - La doctrine voit dans ce retour au droit commun une manifestation du principe de proportionnalité “ hymne jurisprudentiel dédié à l’exigence d’équilibre contractuel ”  et “ c’est le même esprit qui a manifestement imprégné la Cour de cassation lorsqu’elle a annulé ou encore réputé non écrite , en se fondant sur une cause objective, la clause de réclamation de la victime ou de limitation de la durée de la garantie stipulée dans les contrats de responsabilité civile professionnelle, dont le jeu peut conduire à stériliser l’assurance dans les cas les plus graves et aboutit ainsi à priver le contrat d’objet et de raison d’être ” (81). Il est d’ailleurs symptomatique de relever que c’est précisément en matière d’assurance que la jurisprudence, alors pourtant que la clause litigieuse a été déterminante aux yeux des parties , a préféré  limiter la nullité à cette clause, dès lors que la nullité totale se retournait contre celui que la loi ou le juge entendait protéger : “ Ainsi, en va-t-il par exemple dans les arrêts du 19 décembre 1990, relatifs à la clause de réclamation dans les contrats d’assurance de responsabilité. Et de fait, annuler le contrat au prétexte que cette clause privait de sa cause l’engagement de l’assuré, c’était refuser à celui-ci le bénéfice de l’assurance et le laisser sans garantie ” (82). La protection de l’assuré commande alors de retenir l’éradication de la cause litigieuse et donc l’absence partielle de cause.

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79 -Notamment, , Cass, 1ère Civ, 19 décembre 1990 ( 4 arrêts ), cités note 77, Cass 30 janvier 2001, RGDA 2001, N°2, note Kullmann.

80 -  Cass, 1ère  Civ, 5 décembre 2000, n°98.14.102, Cass 1ère Civ 19 décembre 2000, Lamy Droit du Contrat, janvier 2001, n°12 . 1ère esp. : “Attendu cependant que le contrat d’assurance stipulait qu’en l’absence de déclaration de chantier , il n’y avait pas d’assurance;  qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il est constant que le chantier litigieux n’avait fait l’objet d’aucune déclaration, la Cour d’appel  a violé la loi du contrat ” . 2ème esp: “ Qu’en statuant ainsi, alors qu’aux termes de la clause litigieuse, l’information de la société d’assistance incombait à l’entourage du bénéficiaire dès lors qu’il se chargerait d’organiser la prestation d’assistance, la cour d’appel, qui n’a pas constaté l’impossibilité absolue par l’épouse du rapatrié de prévenir la société Mondial assistance pour la mise en oeuvre du contrat, a violé la loi du contrat.” 

81 -  D Mazeaud , Le principe de proportionnalité et la formation du contrat,  Petites Affiches, 30 septembre 1998, n°117.

`82 - F Capitant, F Térré, Y Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Tome II, 11 ème ed.2000, p 85 n°19, comm., Com, 22 octobre 1996 ( Banchererau/Chronopost).

 

 

                 

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62  - Désormais, le contentieux des clauses d’exclusion devra être envisagé sous un autre éclairage, celui de l’absence de cause, totale ou partielle,  l’annulation étant encourue en l’absence de contre-prestation,  indépendamment de savoir s’il s’agit d’une condition de la garantie ou une clause d’exclusion. Cette solution  mérite d’être approuvée : “ Ne s’embarrassant pas de la question de savoir si un juge peut, directement sans le support préalable d’un décret, stigmatiser une clause abusive, la Cour de Cassation  s’appuie désormais sur la bonne vieille cause du Code civil pour gommer des contrats d’assurance une stipulation qui rompt manifestement l’équilibre contractuel du moment qu’elle prive l’assuré de la contrepartie naturelle  de ses versements , pour un fait qui ne lui est pas imputable ” (83).

 

C )  L’obligation d’information , de conseil et de loyauté de l’assureur

 

63 - Quelle que soit la solution envisagée, abrogation nécessaire  de l’article  L 113-1 du Code des assurances, retour au droit commun des contrats , recours à un autre droit spécial,   il est une obligation  fondamentale à laquelle l’assureur et  ses intermédiaires doivent  demeurer tenus : l’obligation d’information et de conseil .

Cette obligation , dont il faut souligner la place de plus en plus croissante dans le droit positif de l’assurance,  est  seule de nature à préserver  l’existence du contrat et l’économie de l’opération d’assurance. Car , en définitive si , comme nous le pensons, la  distinction entre clauses de délimitation de la garantie et clauses d’exclusion est difficile, voir impossible et, à  bien y regarder,  inutile,  l’exclusion jouant inévitablement ,  elle serait à nouveau appelée à jouer le rôle qui est le sien : celui d’une nécessaire délimitation des engagements des parties , que l’assuré, correctement informé, serait à même d’appréhender.

64 - Ainsi , à défaut pour les assureurs de soumettre des conditions de garanties  claires et précises, du moins leur appartient - il  d’en informer leur cocontractant,  en vertu d’un devoir élémentaire de loyauté, qui doit présider à l’élaboration de toute police (84 ). Selon Monsieur le Président Sargos 85)  , “ La loyauté impose ainsi la précision des clauses et des définitions, tant en ce qui concerne l’objet  et l’étendue de la garantie , que les clauses d’exclusion ...Cette exigence de précision  est  d’ailleurs mis en exergue dans le dernier rapport annuel de la cour de cassation pour 1996, pages 345 et 346, à propos de la rédaction des clauses d’exclusion..”   Pour  n’avoir pas su élaborer des critères précis de distinction, la Cour de cassation  stigmatise les comportements qui sont à l’origine du contentieux .

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83 - J Mestre, Des engagements nécessairement causés à ceux qui sont abstraits, RTD Civ 1990, 325.

84 - Y  Jouhaud, La loyauté dans les contrats d’assurance, Rapport de la Cour de cassation 1985, La Documentation française, p 9 et s.

85 - P Sargos, L’obligation de loyauté de l’assureur et de l’assuré, RGDA 1997, 985, à propos de Cass, 1ère Civ, 26 novembre 1996 . “ Attendu que l’arrêt attaqué, statuant dans un litige afférent au règlement d’une indemnité d’assurance incendie subordonnée à une reconstruction dans un délai déterminé, a constaté que quelques jours avant l’acquisition de la prescription biennale, l’assureur avait été informé par son assuré de l’achèvement des travaux, qu’il avait gardé “ un silence malicieux ” dans le but d’échapper au paiement grâce à la prescription et que les correspondances qu’il avait eu avec son assuré avaient “endormi sa vigilance” sur les formalités légales qui lui incombaient ..Que l’assureur , tenu d’une obligation de loyauté dans la mise en oeuvre du processus d’indemnisation après la survenance du sinistre avait commis une faute contractuelle dont il devait réparation.”

 

                       

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65 - Toujours, aux dires de  Monsieur le Président Sargos, “ L’évolution était prévisible ...Il est de multiples situations dans lesquelles un professionnel est tenu d’une obligation d’information vis-à-vis de son cocontractant..” (86 ) .Si le principe ne fait aucun doute,  pourquoi  parler d’évolution , alors qu’il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’appliquer une obligation  élémentaire qui a vocation à s’appliquer à tous les contrats, en vertu du droit commun des obligations ?

        

 

66 - Le manquement de l’assureur à son devoir de conseil apparaît d’autant plus répréhensible et dommageable pour l’assuré lorsque la garantie est importante et que l’attention de cet assuré aurait dû être attirée sur une éventuelle conséquence d’une clause limitative. Ainsi, “ Il appartient à tout assureur de prodiguer à son client le conseil nécessaire pour permettre à ce dernier d’apprécier la qualité et  l’étendue des garanties souscrites . En omettant d’exclure d’un avenant de restriction de garantie , une activité très importante de son client, qui de ce fait, n’était plus assuré, l’assureur a commis une faute en relation de cause à effet avec le préjudice subi ”  (87).

 

67 - Bien plus, cette obligation d’information en matière d’assurance résulterait de la définition de la clause d’exclusion, donnée par trois arrêts rendus le 10 décembre 1996, qui n’ont pas eu la portée que l’on attendait : une clause d’exclusion formelle et limitée au sens de l'article L  111.3 du Code des assurances est celle “ qui se réfère à des faits, circonstances, ou obligations définis avec précision  de telle sorte que l’assuré puisse connaître exactement l’étendue de sa garantie ” ( 88).  

 

68 -. Or, il ressort  du contentieux rendu à propos de l’application de l’article L 113.1 du Code des assurances que  “ la connaissance exacte par l’assuré de l’étendue de la garantie ”

  tient plus de l’utopie que de la réalité. Ainsi, “ En jurisprudence, même des clauses claires et précises doivent être expliquées ”. Sans entrer dans les détails de fait d’une affaire complexe, dans le cadre d’une garantie “ tempêtes, ouragans, cyclones ”, un sinistre  n’avait été indemnisé qu’à concurrence de 3 000000 F, au lieu des 15 154 802 F convenus, somme au paiement de laquelle les assureurs avaient finalement été condamnés par la cour d’Appel de Basse-terre, mais à titre de dommages et intérêts pour manquement à leur obligation de conseil. Malgré “  la multiplicité des angles d’attaque des pourvois ” , la Cour de cassation rejette la critique :  “ La clarté des stipulations d’une police d’assurance définissant les garanties et en fixant le montant n’est pas exclusive d’un manquement de l’assureur à son devoir de conseil, dès lors qu’il est établi , comme en l'espèce que  c’est sur les conseils erronés de l’assureur que ces stipulations ont été acceptés par l’assuré ” (89).

 

 

 

 

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86 - Cité par M H Malleville, La responsabilité civile des intermédiaires professionnels au titre du devoir de conseil, JCP G , II, 2000, n°1222. 85 - CA Montpellier , 30 janvier 1996, Juris -Data n°034148.

87 - CA Montpellier , 30 janvier 1996, Juris-Data n° 34148.

88 - Cass, 1ère Civ, 10 décembre 1996, Resp. civ. et assur.  1997, comm 72.

89 - J Mestre , Clause claire et obligation d’information, Cass, 1ère Civ, 9 mai 2001, RTD civ, 2001, 875.

 

 

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69 - Là encore, l’obligation de conseil et d’information de l’assureur semble   osciller  entre interprétation  restrictive et extensive de la jurisprudence .A titre d’exemple, Par un arrêt rendu le 4 décembre 2001, la Cour d’appel de Paris, énonce que le souscripteur d’un contrat d’assurance automobile doit être “ informé d’un retranchement de la garantie constituant un élément essentiel d’un contrat d’adhésion  souscrit par un profane auprès d’un professionnel ” ...“ Dans ces conditions, le retrait de cette garantie et la perte d’une grande partie de l’intérêt du contrat par le souscripteur, et ce dans le double silence de la compagnie , constitue bien une réticence dolosive  et  une manoeuvre destinée à induire en erreur le cocontractant sur un élément essentiel du contrat ” (90).

 

70 -  Dans le sens d’une information renforcée, la Cour de cassation a rendu   une décision dans une affaire opposant une licenciée de la Fédération Française de handball  à cette dernière et à  son assureur, à la suite d’un accident survenu au cours d’une compétition sportive  L’arrêt de la cour d’appel, statuant sur renvoi après cassation, est censuré aux motifs qu’il “ n’aurait pas précisé , ni le montant de la garantie individuelle souscrite, ni celui de la garantie maximale susceptible d’être souscrite ainsi que son coût et qu’il n’aurait pas recherché le montant du préjudice ” (91) .

 

71 - Mais, de  manière plus restrictive,   la Cour de cassation  vient de poser des limites à l’obligation d’information et de conseil  du souscripteur d’une assurance groupe : “ Attendu que l’établissement de crédit  qui, souscripteur d’une assurance groupe a,  par la remise de la notice, informé avec précision ses emprunteurs des risques déterminés contre lesquels ils étaient garantis , n’est pas tenu de leur conseiller de contracter une assurance complémentaire ” (92). Tout aussi significatif d’un recul dans la protection des emprunteurs, un arrêt du 30 janvier 2001 avait, quant à lui, retenu que “une société de crédit n’exigeant de garantie d’assurance que sur la tête de l’un des emprunteurs, il ne lui incombe pas de conseiller à l’autre emprunteur de s’assurer personnellement  » (93). Entre conseil quant à l’opportunité de l’assurance de l’autre époux et information des époux sur l’existence de l’assurance, cette dernière est jugée suffisante ..

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90 - CA Paris, 7 è ch.A, 4 déc.2001, Dalloz 2002, n°7 : Selon l’annotateur,  “ l’affirmation est rarement aussi nette en jurisprudence.Un des derniers précédents datait de la jurisprudence sur les clauses abusives qui avait  jugé que les contrats types des assureurs étaient des contrats d’adhésion..

91 - Cass , 2ème Civ, 21 février 2002 ( Cassation de CA  Bastia , 8 avril 1999), Resp. Civ   et assur. mai 2002, comm 181 .

92 - Cass, 1ère Civ, 30 Janvier  2002, n°0

0.22. 709, Revue Lamy droit des affaires , avril 2002, n°48.

93 - Cass, 1ère Civ, 30 janvier 2001, Dalloz 2001, Somm 3318,  note H Groutel : “ Pourtant , il y a peu , la même chambre a jugé exactement le contraire  ( Cass, 1ère civ, 19 mai 1999, Resp. civ. et assur .1999) , Admettons que l’arrêt commenté constitue la position définitive de la première Chambre civile ; On s’étonnera de la raison qu’elle en donne , qui revient à dire que que  le devoir de conseil envers l’emprunteur existe dans l’intérêt de l’organisme prêteur..            

Si véritablement, le prêteur ( souscripteur ) n’est plus tenu d’un devoir de conseil, il fallait le dire sans fard, et, un chat devant s’appeler un chat : les emprunteurs sont assez grands pour savoir eux-mêmes où est leur intérêt ...” 

                                                                                         

 

 

 

                                                                                                            26

 

 

72 - Dans certains cas, le respect  ou non et l’étendue de l’obligation  de conseil de l’assureur permet de d’échapper à certaines situations délicates et controversées :  telle celle de la limitation des effets de l’acceptation de la clause bénéficiaire  prévue par l’article L 132-9 du Code des assurances  en matière d’assurance vie. Dans une décision du 23 mars 1999, le Tribunal de grande instance de Belfort avait condamné un assureur à indemniser  partiellement un souscripteur pour avoir  manqué à son devoir d’information et de conseil, sur les conséquences de l'acceptation bénéficiaire (95).  Cette décision  a ouvert un débat sur le fond  sur l’opportunité de réformer l’article L 132 -9 du Code des assurances : “ La stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l’assurance est attribué à un tiers déterminé devient irrévocable par l’acceptation expresse ou tacite du bénéficiaire ”. Ainsi, se prononçant sur une application stricte de l'article L 132-9 précité, une décision ultérieure n’en fournit pas moins aux assureurs un moyen de défense lié à la preuve des motivations du souscripteur : c’est à ce dernier qu’il incombera, le moment venu, la charge d’établir que pour lui, la libre faculté de rachat présentait  un caractère essentiel, la Cour de cassation approuve les juges du fond  d’avoir décidé que “ aucun reproche ne pouvait être adressé à l’assureur dès lors que le souscripteur n’établissait pas qu’il avait accepté la conclusion des contrats qu’en étant persuadé qu’il pouvait y mettre fin à tout moment à son gré ” ( 96) .

 

73 - Mais l’obligation d’information n’est pas univoque : généralement mise à la charge de l’assureur, elle peut être invoquée à la charge de l’assuré, voire même ....d’un tiers au contrat. Dans une affaire relative au remboursement des frais exposés pour un rapatriement sanitaire d’urgence, la prise en charge n’étant prévue que si l’assureur “ a été prévenu préalablement et a donné son accord exprès”, une Cour d’Appel avait jugé que l’assuré, le rapatrié, avait été dans l’impossibilité de respecter cette clause du fait de son état. Néanmoins,  la Cour de cassation considère que cette information incombait alors à l’entourage du bénéficiaire, en l’espèce, l’épouse du rapatrié, laquelle n’avait pas démontré qu’elle était dans l’impossibilité absolue de prévenir l’assureur (97).

 

II ) - Le recours à un autre droit spécial

 

A ) - L’émergence du Droit de la consommation

 

74 - Le droit des assurances ne pouvait échapper à la vague consumériste : Les assureurs eux-mêmes considèrent  leurs contrats comme des produits, soumettant leurs agents généraux à une production, assimilant leur client à des consommateurs d’assurance, cette clientèle devant sans cesse croître dans un marché de plus en plus concurrencé. Phénomène de masse, l’assurance s’est également voulue fiable , le développement de l’assurance obligatoire ayant précisément pour but de donner aux règles de la responsabilité une efficacité qu’elles avaient perdues.

 

 

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95 - TGI Belfort, 23 mars 1999, cité sous Cass, 1ère civ., 27 février 2001, Revue de Droit Bancaire et Financier, mars-avril 2002, Comm 47.

96 - Cass, 1ère Civ, 27 février 2001, Revue de Droit Bancaire et Financier, mars-avril 2002,Comm 47.

97 - Cass, 1ère Civ, 19 décembre 2000, n°98-14.141, Lamy Droit du contrat , n°355-10.

 

 

 

 

                                                                                                                     27

 

 

 

75 - La législation sur les clauses abusives est donc par essence, un outil de protection efficace contre les clauses d’exclusion. De l’aveu même de l’ancien Président de la première chambre civile de la Cour de cassation, “ Il est tout à fait incontestable que peu à peu, lors même qu’elle ne lui a point fait application des textes relatifs à la consommation, la jurisprudence civile  s’est fortement imprégnée , notamment en jugeant de la validité de certaines clauses , de la philosophie de ce droit nouveau ” (98).

La formulation même des célèbres arrêts du 19 décembre 1990 selon laquelle la stipulation de la police “ aboutit à créer un avantage illicite, comme dépourvu de cause au profit du seul assureur qui aurait  alors perçu les primes sans contrepartie ” évoque les clauses abusives  (99).

 

76 – L’émergence du droit du droit de la consommation en la matière s’explique par la nature,  par essence déséquilibrée,  du contrat d’assurance. Il ne fait aucun  doute que le contrat d’assurance est le type même du contrat d’adhésion caractérisé fondamentalement par “  la supériorité économique de l’un des contractants, qui le place en position de dicter les clauses du contrat à l'autre, par le caractère unilatéral des clauses conçues spécialement dans l’intérêt de la partie la plus puissante ” (100). En présence de clauses d’exclusion marquées par un fort déséquilibre, la jurisprudence n’avait pas hésité à recourir à la qualification de  “ clauses  abusives et léonines.” Dans un litige relatif au vol d’un semi-remorque, resté sans surveillance dans une aire de stationnement, le tribunal de commerce de Marseille, par jugement du 15 décembre 1981, tout en relevant que l’assuré n’avait pas respecté les conditions “ très restrictives de la clause” , a néanmoins refusé de leur faire porter effet, selon une motivation qui n’est pas dénuée d’intérêt (101).

 

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 98 et 99 - Y Jouhaud,  Evolution de la jurisprudence en matière d’assurance , op.cit. : notamment, “ Ces arrêts , qui ne se réfèrent pourtant qu’aux seuls textes du code civil , mais qui reflètent  l’idée sous-jacente du droit de la consommation selon laquelle le juge est le protecteur naturel du consommateur et dispose , de ce fait, d’un droit de regard sur les clauses abusives, ont inquiété les milieux de l’assurance....”

100 - Comité économique et social européen - clauses abusives- ,  RGDA 2001, 585 : “ C’est Saleilles, le grand juriste français qui, en 1901, a ainsi baptisé les propositions de contrat au contenu déterminé et non négociable, expression consacrée dans les pays de tradition latine et traduite dans les pays de “ commun law ” par les termes “ standart form contracts”.

101 - Tribunal de commerce de Marseille, 15 décembre 1981, RGAT 1981, 338 : “ Attendu que la clause dont s’agit a été convenue et mise au point  unilatéralement par le syndicat des Sociétés françaises d’assurance maritime et

 transport, qu’elle a ensuite été imposée aux différentes Sociétés d’assurances adhérentes de ce syndicat sans possibilité d’y déroger et qu’ainsi, elle a été répercutée sur l’ensemble des assurés qui ont été amenés,  par la force des choses , à l’admettre en annexe de leur contrat ... que cette façon de procéder inhabituelle est gravement préjudiciable à la profession des transporteurs qui se voient imposer un texte léonin ..., que l’on peut trouver là des éléments d’une collusion à l’intérieur d’une profession qui est en infraction avec la législation française sur la libre  concurrence ..., que la clause syndicale du 27 mai 1977 est en infraction , non seulement avec la loi française , mais aussi avec les directives du Marché commun européen, ......qu’elle est unilatéralement imposée donc abusive et léonine et  doit donc être considérée comme de nul effet”.

                                                              

 

                                                                                                            28

 

 

 

77 - Si l’assimilation de la clause d’exclusion à une clause léonine a, à juste titre,  été critiquée  (102), cette jurisprudence a  néanmoins ouvert une  voie : celle d’un nouveau fondement pour éliminer une clause ne répondant pas aux critères matériels de la clause abusive. Au reste, la doctrine  ne pouvait demeurer insensible à l’intérêt attaché à la notion de clause abusive : ainsi, un commentateur d’une décision rendue au visa de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978 relevait : “ dans tous les contrats  passés entre professionnels et consommateurs - entre assureurs et assurés ayant la qualité de consommateur, notamment - toute stipulation pourra être annulée par le juge dès l’instant que estimera qu’elle a été imposée par un abus de la puissance économique du professionnel et confère à ce dernier un avantage excessif ” (103).

i                                                    

 

B ) - La clause abusive en Droit des assurances

 

 

78 - La Commission des clauses abusives a marqué un vif intérêt à l’égard  des clauses des contrats d’assurance et a émis diverses recommandations,  notamment  le 20 septembre 1985  (104) ,  relative aux contrats multirisque habitation visant à faire suivre les définitions des  garanties  “ d’une liste unique et exhaustive d’exclusions de telle sorte que l’assuré puisse être certain que le risque est effectivement garanti hors des hypothèses expressément visées par cette énumération ”.

 

Mais la jurisprudence ne semble pas faire preuve du même élan consumériste et  considère, de son coté, que  “ n’est pas abusive la clause d’un contrat  multirisque habitation  par laquelle l’assureur fait obligation à l’assuré, lorsque le vol  n’a pas été commis par effraction, à faire la preuve de ce qu’il a été commis par escalade , usage de fausse clés ou par introduction clandestine ” (105).

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102 - Note sous Cass, 1ère Civ, 8 décembre 1987, RGAT 1987, 372  : “ Il convient simplement de rappeler que la notion juridique de clause léonine a un domaine d’application très restreint puisqu’elle joue seulement en principe en matière de sociétés ( art. 1844.1 du Code civil ) ”. 

103 - J Kullmann, note sous Cass, 1ère Civ, 16 juillet 1987, RGAT 1987, 313 : “ Les assureurs risquent de voir maintenant les clauses de leurs contrats  réputées non écrites au titre de la protection des consommateurs ...”                                                 

104 - Recommandation n° 85.04 /CCA , RGAT 1985, 157.

105 - Cass, 1ère civ, 7 juillet 1998, Dalloz 1999 , somm 111, obs D Mazeaud : “ Dans ce type de contrats comme dans bien d’autres, le consommateur éprouve toutes les difficultés à comprendre les stipulations qui lui sont opposées... Cette bienveillance pour la liberté contractuelle, pour ne pas dire , pour la liberté unilatérale du contractant professionnel , n’est d’ailleurs pas exceptionnelle ... Mieux, il semble que la Cour de cassation s’évertue à la protéger contre les vertus de l’abus et ne sanctionne que les déséquilibres contractuels les plus flagrants. Elle le fait au mépris d’une Recommandation de la commission des clauses abusives ( n°85/04 ) , qui recommande que soient éliminées les clauses ayant pour objet ou pour effet “ d’exiger de l’assuré qui se prévaut de la garantie contre le vol ,  non seulement  la preuve de celui-ci mais aussi , à défaut d’effraction, celle de l’escalade ,  de l’usage de fausse clefs , de l’introduction clandestine ou de toute autre circonstance” .

        

 

                                                                                         

 

9

 

 

79 – Le Droit étant sans cesse sujet à mutation, une loi n° 95-96 du 1er Février 1995, a modifié l’article 35 de la loi du 10 Janvier 1978, devenu l’article L 132-1 du Code de la consommation : désormais, est abusive la clause qui a pour objet ou pour effet de créer , au détriment du non-professionnel ou du consommateur , un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat .La clause d’exclusion devra désormais répondre à cette qualification pour être contrôlée par le biais de la réglementation sur les clauses abusives. 

 

 

80 - La commission des clauses abusives n’en relâche pas moins sa vigilance. A titre d’exemple, une recommandation n° 2002-3, adoptée le 24 mars 2002 a dénoncé pas moins de quatorze manquements trop souvent constatés dans les contrats d’assurance de protection juridique : sont visées notamment, “ les clauses ayant pour objet ou pour effet de laisser croire au consommateur qu’il doit, à peine de déchéance, déclarer son sinistre dans un délai inférieur ou égal à cinq jours ou d’imposer comme point de départ de ce délai l’origine du sinistre ” (106).  

 

81 - Bien que présente dans le paysage juridique de l’assurance, la clause abusive a néanmoins beaucoup de mal à s’y implanter , la prudence étant de règle . Ainsi,  selon la Cour de cassation,  “ Le seul fait que la clause litigieuse soit insérée dans un contrat d’adhésion ne suffit pas à lui conférer un caractère abusif ” (107). Dans cette espèce, l’assuré, bénéficiaire  d’une assurance groupe, s’était trouvé en incapacité et a donc  bénéficié d’une indemnisation jusqu’à ce que l’assureur prétende qu’il était redevenu apte à l’exercice d’une activité professionnelle. Or, la question qui était posée à la Cour  ne portait,  ni sur la définition du contrat d’adhésion, ni sur celle de clause abusive, toutes deux à géométrie variable, mais sur la correspondance du risque garanti et du risque réellement présenté par l’assuré. “ le contrat d’assurance garantissait-il le risque de reprendre l’activité professionnelle précédemment exercée ou toute autre activité professionnelle ? ” (108). Toujours est-il que par cette décision, la Cour de cassation considère que la clause litigieuse ne peut entraîner un déséquilibre significatif au détriment des assurés tel qu’elle puisse être  considérée comme abusive. 

 

82 - L’interprétation du contrat d’assurance étant décidément source de difficultés, l’application en la matière de l’article L 132 - 1 du Code de la Consommation  peut donner lieu à des solutions divergentes,  au détriment final de l’assuré qui ne sait toujours pas quel sort sera réservé à sa demande : à défaut d’être considérée comme une clause d’exclusion irrégulière, la stipulation litigieuse sera t’elle considérée comme une clause abusive ?

 

 

 

 

 

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106 - Contrats de protection juridique : trop d’abus! , Revue Lamy Droit des affaires, avril 2002, n°48, p 3 . BRDA , 11/02, Comm 14 , Clauses abusives : Rapport de la commission pour 2001 et recommandations.

107 - Cass, 1ère Civ, 16 janvier 2001, RGDA 2001, 295, note Kullmann.

108 - J Kullmann, note sous Cass, 1ère Civ, 16 janvier 2001, op.cit.

 

                                                                                                                     30

 

83 - La Cour de cassation, dans une décision critiquée , vient de poser  qu’une clause figurant dans un contrat d’adhésion n’a pas  été nécessairement imposée au consommateur par un abus de puissance économique du professionnel : “ Vu l’article L 132-1 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à la loi du 1er février 1995, applicable en la cause... Attendu que pour réputer non écrite la clause d’exclusion litigieuse et condamner l’assureur à exécuter la garantie,  l’arrêt attaqué retient que la combinaison de cette clause avec celle qui limite à 24 mois la durée de la garantie assimile, en les sanctionnant de la même manière , les efforts consentis par l’assuré en occupant un emploi, fût-il précaire, en cours de période de garantie, à une démission de son poste de travail ou à son inaction prolongée et a pour conséquence paradoxale d’interdire à un assuré chômeur  d’occuper un emploi disponible de durée déterminée pendant toute la période de garantie, ce qui procure à l’assureur un avantage excessif ;  qu’il relève encore que s’agissant d’un contrat d’adhésion, la clause n’a pu faire l’objet d’une négociation individuelle et n’a pu qu’être imposée par l’assureur . Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, alors que, d’une part, le seul fait qu’un contrat relève de la catégorie des contrats d’adhésion ne suffit pas à démontrer que telle clause particulière a été imposée par un abus de puissance économique et que, d’autre part,  la référence aux seuls désavantages subis par l’assuré sans les comparer avec les avantages recueillis par l’assureur, ne permet pas de caractériser l’avantage excessif obtenu par celui-ci ” (110).

 

 

84 -  Ainsi, dans un contrat par nature déséquilibré, il conviendra de comparer les avantages de la clause pour l’assureur et ses inconvénients pour l’assuré afin d’en conclure s’il y a abus de puissance économique et donc clause abusive réputée non écrite . Peu importe que la clause soit imposée par un professionnel averti à un consommateur , censé être en position de faiblesse .

 

85 - Mais , à la date  du 26 février  2002, la même juridiction a rendu une décision toujours relative à la validité d’une clause dite de “ délai d’attente”, si satisfaisante pour l’assuré, que nous espérons que la solution dégagée sera maintenue  (111) . En l’espèce, un crédit est accordé par un établissemnt financier pour une durée d’un an , renouvelable par tacite reconduction. Le contrat d’assurance groupe auquel l’emprunteur a adhéré prévoit un délai de carence d’un an pour les risques maladie et accident, de dix-huit mois pour le risque chômage.

 

 

 

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110 -  Cass, 1ère Civ, 12 mars 2002, n°99-15.711, Droit et Patrimoine, mai 2002, n°104, p 92, obs P Chauvel : “ L’avantage excessif procuré par la clause au professionnel se dégage de cette simple constatation que ce dernier se libère de la couverture d’un risque pour lequel il avait été rémunéré, risque survenu lorsque, pour la première fois, l’assuré

s’était trouvé au chômage. La solution sage serait, sans doute, de prévoir une simple suspension ”. 

111 - Cass , 1ère civ, 26 février 2002,  n° 99 - 10.912,  La tribune de l’assurance , n° 57, mai 2002. Bulletin d’actualité - Lamy assurances n°83- Avril 2002, p 7.La clause litigieuse était ainsi libellée : “ Après un délai de franchise absolue de douze mois ininterrompus d’arrêt total de travail pour maladie ou accident ou de 18 mois pour chômage, prise en charge du solde utilisé restant dû à l’expiration de ces délais, sous déduction des éventuelles échéances impayées...”

                                                              

 

 

                                                                                                        31

 

 

86 - A  défaut donc d’avoir obtenu que la clause de délai d’attente soit condamnée par application de l’article L 113-1 du Code des assurances, cette décision la considère comme une clause abusive,  au sens de l’article L 132-1 du Code de la consommation (dans sa rédaction antérieure à la loi n° 95-96 du 1er Février 1995 )  dès lors que le rapprochement de la durée initiale du crédit  (un an ) et celle  du délai de franchise ( un an maladie et accident et 18 mois pour le chômage )  sont susceptibles de révéler un abus de la part de l’assureur. 

 

87 -  Cette solution mérite attention à plus d’un titre . En premier lieu , parce que la clause de franchise n’a pas été condamnée formellement par la commission des clauses abusives : dans  sa recommandation n° 90.01 du 10 novembre 1989 (113), elle a rappelé leur utilité à l’égard des assureurs “ Nécessité de se prémunir contre les déclarations d’adhérents fausses ou incomplètes , ou contre le comportement de certains d’entre eux qui n’adhéreraient à l’assurance que lorsque la réalisation de tel ou tel risque les concernant serait imminente ou fortement probable” . Pour autant, toujours selon la commission, ces clauses peuvent revêtir un caractère abusif, lorsque leur durée est telle “ qu’elle dénature les garanties concernées , en considération notamment de l

a durée du prêt auquel elles se rapportent ” .

 

88 - Ensuite, parce que  cette solution est contraire à celle dégagée par une  précédente décision rendue, dans une affaire similaire , le 13 février 2001  (114) : “ Attendu que pour considérer cette clause comme abusive, les juges du fond ont retenu que le délai de carence n’était justifié que par la nécessité d’éviter l’absence d’aléa  que présentait la manifestation d’une pathologie au moment ou peu de temps après la conclusion du contrat  et que la durée d’une année du délai procurait un avantage excessif, l’assuré payant des primes pendant ce délai de carence sans aucune autre contrepartie que la garantie  décès.. Attendu cependant que la clause  litigieuse n’excluait de la garantie, ni le décès ni les invalidités ou incapacités dues à un accident survenues dans l’année suivant la prise d’effet des garanties ..”

 

 

 

 

 

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113 - Recommandation n°90-01 du 10 novembre 1989, BOCCRF 28 août 1990, concernant les contrats d’assurance complémentaires à un contrat de crédit à la consommation ou immobilier ou à un contrat de location avec option d’achat, Lamy assurances, 2002, n°57..

114 -Cass, 1ère Civ, 13 février 2001 , Responsabilité civile et assurances-mai 2001, p 21, comm 163: Un crédit avait été accordé par un établissement financier  pour financer l'acquisition d’un immeuble. Le contrat  d’assurance groupe auquel l’emprunteur  a adhéré corrélativement pour garantir cet emprunt  prévoit une clause selon laquelle “ étaient exclues de la garantie les invalidités  absolues et définitives, incapacité temporaire totale , invalidité permanente totale dues à une maladie et survenues dans l’année suivant la prise d’effet des garanties..”

 

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               32

                                                                                                                                                                          

89 - Pour autant, si  la législation des clauses abusives  a du mal à être invoquée avec succès devant nos juridictions, l’assuré n’en est pas moins privé de tout recours , les juges en appelant alors ...au droit commun des contrats et en particulier,  au dol prévu à l’article 1116 du Code civil . C’est ce que laisse augurer l’arrêt du 4 décembre 2001, rendu par la Cour d’appel de Paris ( 115) :

“ Considérant , sur le fond des choses, que s’il est vrai que le dol doit être prouvé et ce notamment dans son caractère intentionnel,   il n’en demeure pas moins que, de jurisprudence constante, le silence que l’un des contractants garde sur les éléments déterminants du contrat peut être constitutif d’un dol au sens de l’article 1116 du Code civil  et que cette règle s’applique de plus bel lorsque le contractant traitant est un professionnel qui fait souscrire à un profane un contrat d’adhésion,  ce qui est précisément le cas en l’espèce ....”

 

 

90 - Cette décision, relative au retrait d’une garantie constituant un avantage important pour l’assureur  et à la perte d’une grande partie de l’intérêt du contrat pour  le souscripteur, rendu au visa de l’article 1116 du Code civil, d’une part,  aurait pu fort bien se fonder sur  l’article 1131 du même code pour absence de cause, et d’autre part,  évoquant  le contractant “ profane face à un professionnel dans un contrat d’adhésion ”, contient une allusion non dissimulée à la législation sur les clauses abusives.

 

Voilà, à coup sûr,  un arsenal juridique suffisant de nature à contrôler les  clauses d’exclusion des contrats d’assurance, indépendamment de l’application de l’article L 113-1 du Code des assurances.

 

 

 

 

 

 

                                                

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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108 - CA Paris, 7 ème Ch.A, 4 décembre 2001, Dalloz 2002, n°7, Resp.civ. et assur. mars 2002, Comm 120, note L Grynbaum.