GLOSE – ACTUALITÉS – Bull. sept. oct. 2001

 

par 

 

Bruno DONDERO

Maître de conférences à l'Université de Paris I

 

 

Commentaire de la jurisprudence en droit des sociétés

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1. Com, 9 octobre 2001, Bull. n° 164, Pourvoi 98-18-487

 

Le créancier impayé d’une société civile de moyens avait été autorisé par le juge de l’exécution à pratiquer deux saisies conservatoires – une sur les comptes et le matériel de la société, l’autre sur des sommes détenues par un organisme de Sécurité sociale pour le compte des deux associés de la société civile.

Par la suite, le juge de l’exécution rétracta l’ordonnance autorisant la seconde saisie conservatoire. Ce jugement fut confirmé par un arrêt d’appel, aux termes duquel la responsabilité des associés de société civile étant subsidiaire, le créancier aurait dû démontrer avoir vainement poursuivi la société civile, après avoir obtenu un titre exécutoire à son encontre, pour que la saisie conservatoire puisse être ordonnée par le juge de l’exécution.

 

La Chambre commerciale de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel, lui reprochant la violation de l’art. 67 de la loi du 9 juillet 1991, relative aux procédures civiles d’exécution. Ce texte énonce les deux conditions nécessaires au prononcé d’une mesure conservatoire : le créancier doit démontrer être titulaire d’une créance paraissant fondée en son principe et doit justifier de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. Or l’arrêt attaqué aurait subordonné l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire à l’existence de la preuve d’une créance.

 

Il semble toutefois que la solution juridiquement exacte se situait entre celle retenue par la cour d’appel et celle retenue par la Cour de cassation. Il était sans doute erroné, au regard de l’art. 67 de la loi de 1991, de subordonner à la démonstration de l’existence de vaines et préalables poursuites contre la société la saisie conservatoire portant sur des sommes appartenant aux associés, ainsi que l’a fait l’arrêt attaqué. Ce texte n’est pas si exigeant. De ce point de vue, la cassation était justifiée. Mais le juge de l’exécution qui autorise une saisie conservatoire peut-il pour autant se limiter à constater l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe contre la société et l’apparence d’une défaillance de celle-ci ? Sans doute… si la saisie conservatoire porte sur les biens de la seule société. La saisie conservatoire portant sur les biens des associés suppose, en vertu de l’art. 67, la preuve d’une créance paraissant fondée en son principe, et de l’existence de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. Or la solution retenue par la Cour de cassation omet cette seconde condition, s’agissant de la saisie exercée par le créancier social à l’encontre des associés de la société civile. L’apparence d’une défaillance de la société ne saurait constituer la preuve des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement du droit détenu par le créancier social à l’encontre des associés. Il aurait fallu également exiger de ce créancier qu’il rapporte la preuve de circonstances susceptibles de menacer l’exécution de leur obligation aux dettes sociales par les associés. La Chambre commerciale favorise à l’excès, par cette décision, le créancier d’une société civile agissant contre les associés, tenus de garantir le passif social (comp. la solution nettement moins favorable au créancier d’une société en nom collectif, agissant contre les associés – Civ. 2ème, 19 mai 1998, Bull. II, n° 161).

 

 

2. Com, 9 octobre 2001, Bull. n° 165, Pourvoi 98-20-394

 

Une concubine reprochait à l’arrêt d’appel de ne pas avoir ordonné la liquidation de la « société de fait » (en réalité une société créée de fait) « résultant de sa vie commune avec [son concubin] ». La concubine avait notamment, en appel, invoqué la confusion de son patrimoine et de celui de son concubin et l’existence de différents éléments du contrat de société (apports, contribution aux pertes, affectio societatis). Son pourvoi visait les art. 455 du Nouveau Code de procédure civile et 1832 du Code civil, ce dernier texte énonçant les différents éléments du contrat de société. La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi, la cour d’appel ayant constaté que la concubine ne rapportait pas la preuve des éléments caractérisant l’existence d’une société créée de fait.

 

Il est certain que la preuve de l’existence d’une société créée de fait suppose la démonstration des trois éléments du contrat de société, lorsque la demande visant à faire constater l’existence de la société émane, comme en l’espèce, d’une personne se réclamant de la qualité (présente ou passée) d’associé de fait. Ce n’est que lorsque l’action émane d’un tiers à la société créée de fait (créancier d’un associé de fait par exemple) que la Cour de cassation se contente de la simple démonstration de l’apparence d’une société (v. not. Com., 29 mars 1994, Bull. Joly 1994, p. 665, note J. Vallansan).

 

L’appréciation de l’existence des éléments constitutifs de la société créée de fait relève du pouvoir souverain des juges du fond (v. not. Civ. 1ère, 3 juin 1997, Bull. I, n° 187). Cependant, la décision commentée ne se contente pas d’un renvoi au pouvoir souverain des juges d’appel pour rejeter le pourvoi. La Chambre commerciale approuve également l’arrêt attaqué d’avoir énoncé que l’existence d’une société créée de fait entre concubins ne peut résulter de leur seule cohabitation et de la participation aux dépenses de la vie commune. Il faudrait donc quelque chose de plus que le concubinage pour qu’apparaisse une société créée de fait (rapp. Com., 7 avril 1998, RJDA 7/98, n° 863) : l’exercice en commun d’une activité économique par les concubins. La première Chambre civile de la Cour de cassation semble cependant moins exigeante que la Chambre commerciale, concernant la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait entre concubins. Elle a en effet admis l’existence d’une société créée de fait entre des concubins qui n’avaient fait qu’acheter ensemble un immeuble d’habitation (v. Civ. 1ère, 11 février 1997, Bull. I, n° 46 ; rapp. Civ. 1ère, 20 mars 1989, Bull. I, n° 130).

Cet arrêt confirme donc la conception restrictive de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en matière de société créée de fait entre concubins.